Après avoir abordé le deuil amoureux et l’intensité des liens dans Sauf que Sam est mort, Marianne Brisebois explore à nouveau ces thèmes — mais différemment — dans Quelques solitudes, un roman mettant en scène des personnages vibrants, qui illustrent la beauté des relations humaines. Quand le couple de Lili explose, cette dernière se retrouve à cohabiter avec un jeune homme taciturne, lui aussi à la dérive. Même si ces deux écorchés semblent s’emmurer dans leur solitude, ils pourraient bien finir par s’apprivoiser.

Pourquoi vouliez-vous parler d’anorexie masculine dans votre roman?
Avec le personnage de Simon-Pierre, j’ai voulu défaire en partie les étiquettes qu’on appose aux personnes vivant avec un trouble alimentaire. Durant mes études en psychologie, j’ai beaucoup été amenée à réfléchir à la question du diagnostic ainsi qu’à ses nuances, celles propres à l’humain qui existe avant tout et qui donne une unicité à ses enjeux de santé mentale. J’ai trouvé intéressant de développer un personnage masculin aux prises avec des troubles alimentaires parce qu’il vient justement confronter l’idée rigide qu’on se fait d’une personne anorexique; bien souvent une jeune fille en quête de minceur.

Vos personnages se relèvent peu à peu en s’épaulant, en étant ensemble, en créant des liens. Était-ce important pour vous de montrer que l’amitié et l’amour peuvent permettre de se construire ou de se reconstruire?
Effectivement! On entend souvent dire que la solitude a quelque chose de sain, qu’elle permet d’être mieux avec soi-même. C’est peut-être vrai, en partie, mais je crois que pour beaucoup de gens, elle est avant tout ennuyante, jusqu’à ce qu’elle nous renferme sur nous-mêmes. C’est plutôt l’inverse de l’épanouissement dont on a besoin pour se construire ou se reconstruire. Être bien avec soi-même, c’est quelque chose qui se développe et qui s’affirme dans nos liens sociaux, encore plus dans nos relations intimes. Partager son temps, son espace, s’ouvrir aux gens qui nous font sentir bien, c’est de cette façon qu’on apprend à nous connaître, à nous aimer, et ainsi à apprécier nos moments de solitude.

Dans Quelques solitudes, et c’est aussi le cas dans Sauf que Sam est mort, vos personnages sont tellement attachants qu’on aimerait les connaître et faire partie de leur vie. Est-ce que vous créez vos personnages avec cet objectif en tête?
Ah! Ça me fait plaisir d’entendre ça! Je souhaite toujours que les lectrices et lecteurs s’attachent à mes personnages autant que je m’y suis attachée. Mes personnages, c’est vraiment ce qui me rend accro à l’écriture, ce qui transporte mon inspiration. Je pense que j’aurais du mal à créer des personnages principaux qui ne soient pas attachants. Même s’ils le sont tous à leur façon, je crois qu’on finit par vouloir être ami avec eux et c’est ce qui donne envie de se plonger dans la lecture.

Vos deux romans parlent notamment de relations amoureuses. Et dans les deux cas, il y a un deuil d’une relation, à cause de la mort de Sam dans le premier cas, et d’un couple qui éclate dans le second cas. En quoi le thème du deuil amoureux vous inspire-t-il?
Ce qui m’inspire, ce sont surtout les relations amoureuses dans la vingtaine, celles qui mêlent une passion un peu adolescente à des choix de vie très… adultes. Une relation qui prend fin dans ce contexte, ça nous rappelle qu’on s’est aimés sans jamais croire que ça pourrait se terminer, mais je ne trouve pas qu’il devrait en être autrement. C’est tellement beau de s’être aimés avec insouciance! Mais voilà, la reconstruction est difficile parce qu’on avait tout en commun avec quelqu’un, les biens matériels, mais aussi les projets, le soutien, certains arrangements qui ne fonctionnent que si on vit à deux. C’est un sujet qui amène beaucoup de questions pour moi; je pense que j’avais à peine 20 ans quand j’ai ouvert un compte conjoint, juste parce que c’était plus simple que de tout séparer avec mon copain. Je ne veux donc pas que mes histoires soient moralisatrices, bien au contraire, seulement qu’elles abordent la reconstruction dans des situations où on a l’impression de se retrouver à la case départ.

Dans Quelques solitudes, Lili parle en ces termes de son rapport à l’écriture : « J’ai jamais eu la prétention ni l’intention de changer des vies en écrivant, d’être citée dans les grandes universités ou de marquer le monde de la littérature. Mais j’ai toujours voulu que mes mots fassent réfléchir, qu’ils transportent ailleurs, fassent rêver ou tomber en amour. Surtout tomber en amour. Je voudrais que ça vous fasse autant de bien de le lire que ça m’en a fait de l’écrire. » Est-ce que cela correspond à votre vision de l’écriture?
Oui et non. Quelque chose revient chaque fois que je m’installe à mon clavier, soit donner dans l’intensité et les nuances. Mon rapport à l’écriture est plus assumé et ambitieux que celui de Lili, moi, je suis une Serpentard [rires], mais j’avoue que pour ce roman-là, j’avais envie de défendre la place des histoires rafraîchissantes et qui font du bien. Pour moi, l’intention était complètement différente qu’au moment d’écrire Sauf que Sam est mort, et j’avais peut-être peur de décevoir les lectrices et lecteurs avec une histoire moins dense et une narration plus légère. Ce que Lili défend, c’est probablement la petite voix en moi qui voulait retrouver la même confiance pour ce second roman.

Malgré la solitude dépeinte dans le livre, votre roman est empreint de lumière, d’humour et de solidarité. Souhaitiez-vous insuffler de la beauté dans votre histoire?
Oui, tellement! Comme l’indique le titre, j’aborde la solitude au pluriel, passant par celle où on se sent seul au beau milieu d’une foule, celle où on n’a littéralement plus personne vers qui se tourner, mais surtout celle qu’on partage. C’est Tennessee Williams qui a dit que la solitude est un sentiment vécu par tellement de gens qu’il serait égoïste de la vivre seul. (Je l’ai appris dans un épisode des Frères Scott, mais j’y pense très souvent!) J’ai développé deux personnages qui se retrouvent seuls pour différentes raisons, mais qui vont finalement partager cette période de leur vie pour en retirer énormément de lumière. Leurs personnalités différentes créent de beaux échanges, une complicité unique, attachante. C’est un livre qui est avant tout très drôle, même si on y aborde des thèmes qui ne sont pas tous faciles. J’ai l’ambition de promettre une lecture qui fait rire fort, battre le cœur et qui donne envie de partager ses solitudes.

Photo : © Julie Artacho

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