Marc Séguin: l’amour est un champ de bataille

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Marc Séguin, auteur du roman coup-de-poing La foi du braconnier, ne décolère pas dans Hollywood, doigt d’honneur asséné à la Mecque du cinéma (en particulier) et aux hégémonies (en général). Genèse d’un roman d’amour-passion qui tourne en eau de boudin.

« Pendant la guerre d’ex-Yougoslavie, j’étais gardien de sécurité à l’hôpital Sacré-Cœur de Montréal. Je me souviens d’une nuit où des membres d’organismes présents sur le terrain sont venus nous montrer une vidéo tournée là-bas sur laquelle ils avaient mis la main, ce qui n’était pas aussi évident en 90 ou 91 qu’aujourd’hui. On voyait les atrocités que l’armée perpétrait. Ça m’avait profondément marqué de voir des gens qui pillaient des maisons et des villages, décimaient des familles au complet », répond Marc Séguin, en marge de la parution de son deuxième roman, Hollywood, quand on lui demande pourquoi il a choisi de faire orbiter son histoire se déployant sur plusieurs décennies et plusieurs continents autour d’une survivante de Sarajevo et pas d’une autre guerre (le choix est tristement vaste, lui fait-on remarquer). « Cette guerre-là condense l’hypocrisie de son époque. Pendant les Jeux olympiques de 1984, Sarajevo, c’était un modèle, les querelles ethniques étaient cachées sous des paravents. »

Avec sa prémisse en forme d’ode à la rédemption dont la Mecque du cinéma dégoulinant de beurre ferait ses choux gras, Hollywoodrevendique d’abord sans ironie son titre (mais pas pour longtemps). Branka, réfugiée vivant désormais au New Jersey, doit incessamment donner naissance à un enfant. Sur le pas de la porte de son immeuble, une balle fauche la jeune femme qui avait jusque-là esquivé les nombreux tirs la visant précisément. Sous le choc, son amoureux (le narrateur) part à la dérive dans les rues de New York, en ressassant chaque instant de sa courte relation avec cette libre-penseuse qui, avec la conviction de la survivante, pimentait ses conversations de réflexions lumineuses sur la fragilité de l’existence et l’élasticité des convictions. Au même moment, l’ami d’enfance du narrateur, l’astronaute Stan, fait la manchette pour s’être détaché de sa capsule spatiale dans un geste suicidaire que la planète peine à interpréter avec justesse. « J’ai relu le roman en mai, confie Séguin, et j’ai trouvé ça très, très dur. Les gens qui l’ont lu depuis m’appellent, bouleversés. À ce compte-là, ma job est peut-être faite comme artiste, parce que je crois que n’importe quelle bonne œuvre de fiction devrait être un obstacle pour les gens. Un roman ne devrait pas nous rassurer sur notre condition. »

Armé d’un radical désir de ne pas sombrer dans les eaux édulcorées du divertissement béat, le célèbre peintre vomit, dans Hollywood, cette Amérique qui aurait troqué l’hégémonie morale des religions pour celle plus abrutissante de la culture de masse. Pas de réponses toutes faites ici, plutôt une kyrielle de phrases suspendues par des points d’interrogation ainsi que des attaques frontales contre le lent travail de sape que la télévision et le cinéma opéreraient sur l’imaginaire collectif.

« Ça s’appelle Hollywood, parce qu’on sait que le narrateur contrôle l’information qu’il nous fournit. Le narrateur revit lui-même sa relation avec Branka en flash-back, de manière hollywoodienne. C’est sa job dans la vie, en plus : contrôler ce que les gens sauront ou ne sauront pas [il œuvre dans une boîte qui peut, moyennant une coquette somme, éradiquer d’Internet des informations embarrassantes]. »

« J’ai des problèmes avec la confusion entre le divertissement et l’art », poursuit le récipiendaire du Prix littéraire des collégiens 2010 pour son premier roman, La foi du braconnier. « Sans vouloir être méchant ou condescendant, je suis capable de dire que Céline Dion, ce n’est pas ça, la culture. Je comprends qu’elle a un talent, faudrait juste que les choses soient plus claires. Je ne pense pas qu’elle nous fait beaucoup avancer collectivement. C’est aussi pour ça, entre autres, que ça s’appelle Hollywood, pour cette pensée que le cinéma et la culture populaire imposent aux gens et que certains personnages du roman refusent. Je suis tombé l’autre fois sur une étude qui montrait que même un film terriblement poche fera des profits si un certain montant d’argent est investi pour en faire la promotion. »

De roman d’amour-passion (« À la base, le gars et la fille sont profondément amoureux, c’est d’une vraie beauté sans cynisme ») à fable morale contemporaine, Hollywood avance à tâtons dans la pénombre à la recherche de la ligne séparant le bien et le mal. « Je pense qu’elle est très mince et qu’il en faut peu pour que la nature humaine profonde, qui s’exprime entre autres dans la guerre, revienne au galop », conclut Séguin.

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