Louise Tremblay-D’Essiambre: Au temps des émotions

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Avec trente-quatre romans à son actif, lesquels se sont vendus à plus de 2,25 millions d’exemplaires, Louise Tremblay-D’Essiambre est l’une des rares auteures québécoises qui vivent confortablement de leur plume. Ses lecteurs lui sont fidèles et elle le leur rend bien. Sa nouvelle série « Les héritiers du fleuve », publiée chez Guy Saint-Jean Éditeur, leur ouvre une nouvelle fois les portes d’un univers attachant, teinté de simplicité et d’émotions.

La prolifique écrivaine remonte le temps jusqu’en 1886, alors que les goélettes voguent à belle allure sur le fleuve Saint-Laurent, reliant les deux rives; celle de Charlevoix et celle du Bas-Saint-Laurent. C’est la première fois que l’auteure de « Mémoire d’un quartier » s’aventure aussi loin dans le temps, mais – complètement sous le charme de la série télévisée Le temps d’une paix qu’elle a reçue en cadeau – elle n’a pas pu résister à l’envie d’aller explorer cette époque où l’électricité n’était encore qu’une rumeur et où l’Église couvait encore avec vigilance ses brebis, surtout en région. Comme toujours, la plume de Louise Tremblay-D’Essiambre glisse avec fluidité et sans embarras pour décrire avec efficacité le quotidien, l’intime, l’humain. « Si je voulais faire des livres à rebondissements, je donnerais dans le roman policier, déclare de but en blanc la sexagénaire qui favorise de loin un récit des émotions. On est quoi comme êtres humains, sinon des grosses boules d’émotions qui se manifestent de différentes façons, selon l’âge, le sexe, l’éducation, le milieu de vie, les expériences? »

 

Le long fleuve de la vie

C’est ainsi qu’on découvre la solitude pesante d’Emma qui a suivi son mari sur l’autre rive, laissant derrière elle famille et amies; le naturel bon vivant de Victoire, que l’incapacité à avoir des enfants assombrit parfois; et le bonheur d’Alexandrine, qui aime passionnément son époux. « Ça aussi ça existait à l’époque! Ce n’était pas juste des mariages arrangés. Oui, il y en avait des mariages de convenance, et il y en a encore aujourd’hui, mais ça existait, à l’époque, des couples profondément amoureux, s’enflamme la créatrice des trois personnages féminins. Dans le tome deux, j’arrive avec une femme qui aime le sexe, parce que, ça aussi, ça existait dans ce temps-là, même si on n’en parlait pas. » Pas question pour Louise Tremblay-D’Essiambre de passer sous silence les tabous, même si – contrairement à ses précédentes séries – ce premier tome des « Héritiers du fleuve » coule paisiblement, ne faisant voler en éclat aucun tabou majeur. Attention, cela ne veut pas dire qu’il en sera ainsi pour les prochains tomes, prévient celle qui tient les rênes de la saga. Cela dit, la tétralogie (car l’auteure n’ira pas au-delà de quatre tomes, cette fois) est d’abord et avant tout une histoire de retour aux sources : « Dans cette série-là, j’aborde vraiment le côté : d’où vient-on? où en est-on? et où allons-nous? » Des questions qui lui tiennent à cœur.

« On voit Emma qui a dix enfants en presque autant d’années de mariage; aujourd’hui, à moins d’être un peu folle comme moi [l’auteure a neuf enfants!], on ne voit presque plus ça. Les femmes ne sont plus soumises à ces maternités à répétition. À l’époque, l’Église était omniprésente jusque dans la chambre à coucher et, à partir du moment où on comprend ça, on peut mieux comprendre ma génération. » Pourtant, si sa génération s’est en effet affranchie du joug de l’Église et a obtenu des acquis considérables, notre écrivaine est loin de se réjouir de la société moderne : « L’histoire pour moi est un pendule qui va d’un extrême à l’autre. Actuellement, on est pas mal au bout de notre spectre habituel. J’ai hâte que notre société revienne à un rythme plus tranquille. Je trouve qu’on vit une période pas très agréable aux niveaux social et familial, déplore-t-elle. Au tournant du millénaire, on me disait qu’on deviendrait une société des loisirs : loisirs mon œil! Au niveau politique, on nous infantilise au maximum. On est réglé, contingenté, par des lois par-dessus des lois qui me choquent terriblement et, finalement, on n’a presque plus de loisirs. » Pour toutes ces raisons, le quotidien d’Emma, Victoire et Alexandrine lui semble par moment plus serein. « Je ne pense pas que j’aurais été malheureuse à cette époque-là. Aujourd’hui, c’est peut-être difficile pour quelqu’un d’accepter ce point de vue, en ce sens qu’on a toute la communication, les méthodes modernes; il y a plusieurs choses qui sont beaucoup plus faciles aujourd’hui, mais d’un autre côté, à l’époque, on était beaucoup moins exigeant face à la vie, donc plus facilement heureux. »

 

Le poids des mots

Alors là, n’allez surtout pas lui parler de Facebook qui, selon elle, loin de rapprocher les gens, est plutôt un appel au secours vis-à-vis du profond manque de liens tangibles que nous entretenons aujourd’hui. « On a perdu un peu, avec notre monde moderne qui nous ouvre tellement d’horizons, le sens profond des mots, comme le mot “amitié”, regrette la Montréalaise d’adoption. Je veux justement que le lecteur aille puiser dans mes romans la richesse d’une vraie relation humaine. » Le lecteur, elle ne le perd jamais de vue. « Je n’écris pas pour moi. J’écris pour me faire plaisir parce que j’aime l’acte d’écrire. Le fait d’aligner des mots de belle façon, pour moi, c’est un plaisir dans la vie, c’est une nécessité comme de boire, manger, respirer : j’ai besoin de ça pour être bien. Mais au-delà de ça, ce n’est pas pour moi que j’écris. J’écris pour être lue. Si j’entends un écrivain dire qu’il n’écrit que pour lui, je vais lui dire : “Mon œil!” Ce n’est pas vrai, au même titre que celui qui fait un cours de médecine et qui va se surspécialiser en chirurgie cardiaque ne le fait pas juste pour apprendre, il le fait pour sauver des vies. » Et des vies, croyez-le ou non, Louise Tremblay-D’Essiambre en sauve à sa façon. Les lecteurs ont été nombreux à lui écrire pour lui dire que ses romans leur avaient donné le courage de se battre contre la maladie (elle a abordé entre autres le délicat sujet du cancer), alors qu’ils avaient baissé les bras. En fait, rares sont les journées de l’année où elle ne reçoit pas de lettres de ses lecteurs.

« Quand bien même mes livres seraient juste la petite goutte d’eau dans les bonnes intentions de l’humanité pour que des gens soient heureux, le temps d’une lecture, ça sera ma contribution à moi. C’est ce que je sais faire, c’est ce que j’aime faire. »

 

PHOTO © Maude Chauvin

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