Louis Hamelin: L’écrivain de la désillusion

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«La crise d'Octobre était restée, depuis ce temps, la face cachée de la lune québécoise. Un trou de mémoire collectif en forme de mise à mort.» Tirée de La Constellation du lynx, cette citation braque la lumière sur l'énigme que Louis Hamelin a tenté d'élucider. Prenant le roman comme lanterne de l'histoire, celui qui avait ébloui en 1989 avec La Rage offre un monument sur les célèbres événements.

Si la crise d’Octobre a été un des drames politiques les plus tragiques de l’histoire du Québec, la littérature n’y a pourtant presque pas touché. Hamelin cite les Jacques Ferron, Pierre Vallières et Pierre Turgeon, qui se sont penchés sur les événements, mais la majorité se contente de la version officielle de l’histoire. Or, Hamelin ne s’en est jamais satisfait: «L’histoire d’Octobre 1970 m’a toujours fasciné, peut-être parce que je suis de gauche et nationaliste. C’est un peu ma famille politique, mais aussi parce que c’est une histoire extraordinaire en soi. Quand j’ai lu l’essai de Vallières, L’exécution de Pierre Laporte, j’étais convaincu que tout n’avait pas été dit sur le sujet, qu’il y avait un silence au centre de l’histoire.»

Le pacte du silence
Après avoir pensé écrire un essai, l’écrivain a opté pour le roman comme seul moyen d’éclairer les zones d’ombre de l’histoire: «Sous le couvert de la fiction, le romancier peut développer des hypothèses et s’aventurer dans des zones où on a besoin du romanesque pour entrer. Par exemple, tout le monde sait que la CIA était proche du FLQ, mais l’historien ne peut pas aborder cette question parce qu’il ne peut rien affirmer.» Lancé dans des recherches intensives en 2002, Hamelin a privilégié les premières sources: petits journaux de l’époque et archives. Il a construit son livre comme un casse-tête en s’inspirant des acteurs réels de l’histoire, tout en les laissant vivre en vrais personnages de fiction.

«Nous nageons en plein arbitraire quand nous essayons de relier les points pour obtenir une figure plausible […]. Peut-être que les explications que nous cherchons ne sont jamais que des approximations, des esquisses chargées de sens, comme les constellations», fait dire le romancier à son alter ego, Samuel Nihilo. Celui-ci expose la démarche du romancier qui ne soutient pas détenir la vérité, mais confronte la version héroïque d’Octobre, qui prétend que les felquistes n’auraient pas été manipulés, à la version officielle, selon laquelle la Loi sur les mesures de guerre aurait été improvisée: «Un bon romancier ne peut pas se permettre de prendre parti. Il n’a pas un camp à défendre, mais des personnages à comprendre.»

Autour d’un cadavre
Dès le début du livre, le spectre du ministre Lavoie (Pierre Laporte) vient hanter l’écrivain Nihilo qui poursuit, en 2001, l’enquête menée par son ancien professeur, l’éditeur et poète Chevalier Branlequeue, décédé récemment. De Montréal au camp d’entraînement en Jordanie en passant par la Cabane du Pêcheur en Gaspésie, l’Abitibi et le Mexique, son enquête s’oriente vers le rôle joué par les services
secrets. «Au centre de mon livre, il y a un mort [le ministre assassiné] et je m’en suis approché par différents angles: les milieux policier et politique, le crime organisé de la Rive-Sud, les felquistes. Tous ces gens gravitent autour d’un corps, et les forces qui s’exercent finissent par résulter en ce qu’on a appelé la crise d’Octobre et la mort tragique d’un homme», explique-t-il. À l’image du lynx étranglé à mains nues, une scène qui sert d’image centrale dans son roman, le ministre Lavoie est l’homme sacrifié, au cœur de la crise d’Octobre.

De sa griffe acérée, Hamelin crée un portrait mordant de la société de l’époque. La bande d’universitaires de gauche des années 1970 s’appellent les «Octobierristes» et passent leur temps à boire de la bière au Quartier Latin, qui jouxte l’UQAM. Les felquistes sont présentés comme des militants plutôt naïfs. «Je crois que les événements d’Octobre sont emblématiques d’une génération qui a voulu changer le monde et qui a en quelque sorte échoué. Le FLQ s’est inspiré des révolutions d’Amérique latine, mais ils étaient jeunes, un peu amateurs et ont sous-estimé l’appareil policier», précise le romancier. «L’atmosphère qui régnait au FLQ était conviviale et informelle. Les cellules terroristes étaient faciles à infiltrer. Parallèlement, il y avait le mouvement hippie, qui créait un climat assez bon enfant», poursuit-il.

La fabrication de l’histoire
Au sujet de la crise d’Octobre, une des versions les plus explorées et les moins sûres est celle du fameux complot, qui est devenue taboue. «L’idée même de conspiration avait été réduite, sous les auspices du complot et de la conspirationnite, à la permanence caricaturale d’elle-même», écrit Hamelin dans le roman. «Aujourd’hui, dès qu’on évoque l’histoire avec l’ombre d’un complot, on se fait regarder croche. Ça interdit une réflexion sur les manipulations politico-médiatiques et policières», se désole l’écrivain.

Qu’à cela ne tienne, Hamelin a choisi d’explorer cette avenue du complot avec les outils du roman, et développe du même coup une véritable réflexion sur l’histoire: «Je considère la version officielle de la crise d’Octobre comme une fabrication, en termes chomskyens, c’est-à-dire une fabrication de l’opinion. La fiction permet de la déconstruire. On sait maintenant que les policiers connaissaient les membres du FLQ et qu’ils les filaient.» Si l’invention prend le relais lorsque les faits viennent à manquer, d’après l’écrivain, il en va pareillement pour l’histoire, considérée comme une «guerre entre des textes». Au final, «ce sera ma fiction contre la leur», s’exclame Nihilo comme pourrait s’exclamer Hamelin.

Entre la parodie, le polar et le récit épique, tantôt ironique et tantôt lyrique, La Constellation du lynx mêle les registres et fait entendre les multiples versions de l’histoire en un vrai roman polyphonique. Au-delà de la controverse soulevée par le 40e anniversaire de la crise d’Octobre, l’œuvre libre et ambitieuse s’interroge sur le sens d’un assassinat politique et transcende le simple roman à clefs.

Bibliographie :
LA CONSTELLATION DU LYNX, Boréal, 600 p. | 34,95$

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