Louis Hamelin: Chronique des gens ordinaires

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Occupé par l'écriture d'un roman et par bien d'autres choses encore, Louis Hamelin s'est offert une pause avec la publication de Sauvages, un premier recueil de nouvelles. Par ce nouveau livre, l'écrivain plonge avec humilité dans l'univers du récit bref. Ce faisant, il puise dans le meilleur de ses ouvrages précédents et poursuit cet oeuvre qu'il travaille à mettre en place depuis la sortie de La Rage, son premier roman, en 1989. C'est avec bonheur que j'ai renoué avec l'écrivain, le temps de la lecture et d'une discussion téléphonique.

Le recueil est composé d’une dizaine de petits tableaux qui, malgré qu’ils soient éparpillés, orientent le tout dans une certaine direction. Quoique les histoires, pour le fond, ne soient pas toujours très heureuses, Louis Hamelin, à ses dires, s’est beaucoup amusé à les écrire. Une certaine légèreté, un certain humour, traversent l’ensemble pour lui conférer une forme de détachement. Les personnages de Sauvages s’appellent Norm Beausecours, Sam Nihilo, Jérôme Jenson, Jackson Crier ou encore Fred Boyer. Ils sont écrivains, cinéastes, policiers, amérindiens, débroussailleurs en forêt, journalistes, ouvriers dans un moulin à bois, libraires. Certains ont du bagout, d’autres sont plus effacés. Piliers de bars ou occasionnels de la bouteille, ils parlent d’amitié, de politique internationale, d’écriture, d’amour, etc. Par leur existence, tous rendent compte d’un monde singulier, tout juste à côté de nous. Un monde dont on ne parle pas.

Avec ses destins croisés, ses tranches de vie au quotidien, un soupçon d’intrigue et un appel certain à l’intelligence du lecteur, Sauvages se veut, à sa manière, cinématographique. En le lisant, on se croirait par moments dans Crash (celui de Haggis, pas de Cronenberg), 21 grammes ou encore Magnolias. L’écrivain travaille le recueil en évoquant, par allusions, les liens entre les gens et les événements. Il illustre ainsi le côté éclaté de la vie. Les histoires qu’il raconte présentent l’Amérique profonde telle que vécue ici, au Québec, dans nos petites villes et nos régions:
«J’avais envie de parler d’autres lieux qui n’ont pas beaucoup de présence dans notre littérature, plutôt
 »montréalocentriste » et urbaine, souligne l’écrivain. La vie, la réalité et les préoccupations sont différentes d’un endroit à l’autre. Depuis que je vis en Abitibi, j’ai découvert toutes sortes de métiers et de gens. Je m’intéresse à la réalité de ceux qui ont encore aujourd’hui l’esprit des pionniers. La route compte son lot de surprises et de rencontres. Le type qui m’a parlé de James Joyce dans un bar de Chibougamau, par exemple. Je n’aurais pas pu l’inventer, même si je l’avais voulu. C’est la dernière place où je m’attendais à entendre parler de Finnegans Wake.»

Écrire des nouvelles, pour Louis Hamelin, n’est pas du tout un exercice de style. En ce sens, il est plus proche de la tradition américaine. Est-ce une surprise, sachant toute l’affection qu’il éprouve pour la littérature de nos voisins du Sud? «J’avoue que pratiquer la nouvelle, ça force à concentrer le style, explique Louis Hamelin. Quand j’ai commencé en littérature, j’étais vu et présenté comme un styliste, au point où à mon troisième roman, cette étiquette m’agaçait un peu. Mais mon style a beaucoup évolué. Passer une petite année à mettre en forme ce recueil m’a reposé du roman que je suis en train d’écrire. J’avais besoin de changement. Alors l’exercice consistant à écrire et à organiser ce recueil de nouvelles a été une escapade.»

L’importance des histoires
L’acte littéraire, en tant qu’échange entre un écrivain et son lecteur, constitue la pratique artistique la plus intime qui soit. L’œuvre littéraire est créée et accueillie dans l’intimité. Entre les deux, l’histoire racontée. Les gens aiment se faire raconter des histoires, et ils aiment les histoires lorsqu’ils s’y reconnaissent, si différentes soit-elles. Louis Hamelin a pris le parti de raconter la vie de gens ordinaires et de parler de lieux dont on n’entend pas parler. Ce faisant, il nous parle de nous. Voilà toute la force de son œuvre.

Dans la nouvelle «Fragile», le personnage de Samuel, lui qui s’est laissé séduire par une jeune
étudiante torontoise, exprime l’une des idées maîtresses du recueil: «S’il n’y a rien qui se passe entre nous deux ça se passe quand même dans ma tête.» Tout n’est qu’affaire d’imagination, en somme: «C’est Kundera qui disait, je crois, que le matériau autobiographique dans un livre doit avoir le même statut que le matériau fictif et imaginé. C’est-à-dire que tout le monde se doute que les écrivains utilisent un peu ou beaucoup de leurs vies quand ils écrivent. Mais c’est réducteur de chercher ce qui appartient à l’un ou à l’autre. La littérature, c’est le conteur au coin du feu qui se met à raconter sa chasse et qui finit par nous amener complètement ailleurs par les voies de l’imagination. Je pense qu’on part en général d’une expérience vécue. Le choix de raconter telle chose ou de taire telle autre, c’est déjà un effort de création. En même temps, il y a ce besoin de laisser parler un personnage dont on est plus proche: le fameux problème de l’alter ego.»

Avec Sauvages, Louis Hamelin s’est laissé tenter par la création d’un personnage qui lui ressemble — geste tout naturel, même parmi ceux qui se gardent bien de faire de l’autofiction. Mais plus encore: «Je me suis rendu compte qu’il y a une veine quelque peu autobiographique dans ces nouvelles-là. La dernière, plus spécialement, me ramène à Grand-Mère, le lieu de ma naissance, et est fortement inspirée de ma propre famille. Cette nouvelle, intitulée  »Regarde comme il faut », a en quelque sorte orienté tout le recueil. Il était clair dans ma tête qu’elle devait terminer le recueil. Il y a des auteurs qui sont plus habitués que moi à exploiter le filon familial. Moi, je n’avais jamais touché à ça. C’est très gratifiant d’y être parvenu.»

Affirmée comme déterminante, cette nouvelle, après lecture, permet de jeter un éclairage nouveau sur l’ensemble des textes. «Je suis regardé donc je suis», lancera l’un des personnages d’une autre nouvelle du recueil. En plaçant ainsi la question du regard au centre de Sauvages, l’écrivain révèle l’un des sens de sa démarche, et en premier lieu la volonté de tourner les projecteurs vers un Québec dont on n’entend que trop peu parler. Vivement le prochain roman!

Bibliographie :
Sauvages, Boréal, 276 p., 22,50 $
La Rage, XYZ éditeur, coll. Romanichels poche, 512 p., 16,95 $
Cowboy, XYZ éditeur, coll. Romanichels poche, 437 p., 16,95 $

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