Lori Saint-Martin : Jouer avec les mots

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Sa feuille de route impressionne : professeure à l’UQAM, chercheuse, essayiste, traductrice et écrivaine. Même si Lori Saint-Martin jongle avec plus d’un métier, toutes ces professions partagent un même terrain de jeu : la langue.

Avec toutes ses occupations, Lori Saint-Martin manque assurément de temps. L’écriture de fiction arrive donc souvent en dernier, après la vie universitaire, très prenante. Mais comme toutes ces sphères cohabitent, son travail de traductrice influence-t-il celui d’écrivaine ou inversement? « Quand on traduit, on a plus de responsabilités que de liberté : c’est l’original qui détermine la traduction même si rendre un texte dans une autre langue exige une grande part d’invention et de créativité. Écrire de la fiction, c’est avoir une liberté totale. Quelqu’un d’autre pourrait traduire le roman ou l’essai que je traduis; personne d’autre ne pourrait écrire celui que j’écris. Cela dit, ma vie c’est le jeu de la langue, des langues, et ces deux activités se nourrissent sûrement l’une l’autre. »

Après deux recueils de nouvelles, le premier roman de Lori Saint-Martin, Les portes closes, explore le temps qui passe ainsi que la création et raconte l’histoire d’un couple, autant du point de vue de l’homme que de la femme, tous les deux artistes peintres. Voilà un sujet presque prédestiné pour l’écrivaine qui traduit avec son mari, Paul Gagné. Pour le couple, qui a une formation en études littéraires, tout a commencé par « un coup de foudre de traduction », soit Ana historique de Daphne Marlatt : « J’en ai lu quelques pages et j’ai su qu’il fallait le traduire, c’était aussi clair et aussi mystérieux que l’amour. J’ai convaincu Paul et tout est parti de là. » Depuis ce temps, toujours à la recherche de coups de foudre, le duo a peaufiné sa méthode : « Paul fait le premier jet, je révise et, en tout, chacun fait plusieurs lectures du texte pour le polir. À deux, nous avons toujours un regard neuf sur le texte. » Après plus de soixante-dix livres traduits, les éloges qui ne tarissent pas et maintes récompenses, notamment le Prix du Gouverneur général pour les traductions de Dernières notes et d’Un parfum de cèdre, la recette se révèle indéniablement gagnante.

Une fois cette démarche établie, qu’est-ce qui s’avère le plus important dans la traduction? « Chaque œuvre a sa voix, sa musique propre (ou parfois une variété de voix et de musiques, une polyphonie) et c’est cette voix qu’il s’agit de rendre, cette musique qu’il s’agit de rejouer sur un autre instrument. Il faut être à l’écoute, s’oublier, suivre l’œuvre où elle va, mais aussi lui ouvrir un chemin dans la nouvelle langue. Par conséquent, un bon traducteur c’est un lecteur très attentif qui, au terme d’un corps à corps avec une œuvre, arrive à la recréer pour le bénéfice de nouveaux lecteurs. »

Comme le couple de traducteurs traduit autant pour des maisons d’édition québécoises qu’étrangères, des questionnements s’imposent en ce qui concerne le public à qui s’adresse le texte. Faut-il dire « chandail » ou « pull », « bleuets » ou « myrtilles »? Il est essentiel « de rendre la réalité d’ici avec les mots d’ici, dans la mesure du possible, même si on travaille pour un éditeur français […] Voilà pourquoi les traducteurs québécois sont les mieux placés pour traduire les auteurs nord-américains : nous partageons la même réalité et nous avons les mots pour la dire. » D’ailleurs, le Conseil des arts du Canada, qui subventionne les traductions et qui décerne les Prix du Gouverneur général, joue un rôle « indispensable pour la visibilité et même l’existence de la traduction littéraire faite ici ». Sans cette institution, « il ne se ferait pas de traduction littéraire au Canada, ou très peu, tout se ferait en France ou ne se ferait pas ». Une réalité non souhaitable pour les lecteurs puisque même s’ils travaillent dans l’ombre, les traducteurs « nous donnent le monde. Les langues sont des espaces et, grâce aux traducteurs, nous pouvons voyager entre elles ».

Oui, les mots voyagent grâce à Lori Saint-Martin. Et pas de doute, elle passera les mots encore longtemps : son terrain de jeu est infini…

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