La culpabilité en héritage

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« Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre »: cette phrase des Évangiles convient très bien à Tout m'accuse, le troisième roman de Véronique Marcotte. Avec ce récit à quatre voix, l'auteure trifluvienne entraîne le lecteur dans les affres de la maladie mentale, mais aussi ceux de la profonde culpabilité. Elle fait porter à ses quatre personnages principaux leurs fardeaux respectifs, leurs croix.

« Je me suis aperçue que j’avais écris un roman sur la culpabilité lorsque je l’ai reçu chez moi. Il a fallu que je restructure ma pensée et ma vision par rapport à lui. Toute ma perception avait changé , fait part l’écrivaine de 31 ans. J’avais travaillé sur la maladie mentale. Mais d’abord et avant tout, je pense que j’ai exprimé un certain sentiment de culpabilité. Cela m’a surprise à quel point la suggestivité est bien plus forte que je le pensais. Mon rapport à l’écriture vient de changer et cela va influer sur la prochaine histoire », constate-t-elle.

Rédigé en trois ans, Tout m’accuse suit les pas d’Auguste, un homme souffrant de troubles obsessionnels compulsifs. Le jour, il est archiviste dans un hôpital de Montréal. La nuit, souffrant d’insomnie, il parcourt les rues et épie les gens à travers leurs fenêtres, assouvissant son voyeurisme. « En voyant l’illustration de la couverture, le personnage en prière est tel que j’imaginais Auguste. Il est très grand, très maigre, très « beige ». Le dos courbé par la culpabilité. Et le sombre rat symbolise ses sorties nocturnes », explique Véronique Marcotte.

Durant l’écriture, Québécois au départ, Auguste est devenu Belge à la suite du passage de l’auteure trifluvienne à la résidence d’écrivains Pasa Porta, à Bruxelles en 2005. Ce séjour a également nourri les trois autres personnages, dont les destins se mêlent à celui d’Auguste. Il y a Galya, la mère étouffante, Mathias le père absent, et Victoire, qui agira telle une catharsis. « Ils ne pouvaient pas devenir des personnages secondaires. Pour la première fois, j’ai décidé d’écrire avec quatre  » je  » distincts en temps réel. C’est un procédé que j’ai trouvé difficile; il faut faire en sorte que les actes posés et le temps qui passe soient cohérents tout au long de l’histoire », souligne l’auteure.

Les liens du sang
Si tout accuse le comportement pervers d’Auguste, Marcotte plonge dans le passé afin de mettre à jour ce qui pèse tant sur les épaules de cet homme si malheureux, qui a fui terre et mère, tout comme son père l’a fait trente ans avant lui: « Galya n’a pas d’amour propre, car elle a toujours vécu à travers le regard de ses deux hommes. C’est une femme avec des œillères, qui ne les a jamais écoutés et qui a toujours exigé d’eux. Lorsqu’elle est devenue mère, elle s’est enfermée avec l’enfant, l’a accaparé ». Et c’est là que le premier abandon survient, abandon sur lequel va se bâtir un mensonge qui nourrira le monstre de culpabilité et qui torturera les vies d’Auguste, Mathias et Galya.

Trente ans plus tard, Victoire, jeune peintre anorexique qui gagne sa vie comme serveuse, croise la route d’Auguste. D’abord épiée par celui-ci, elle finit par lui tendre la main. La rencontre entre ces deux êtres, de prime abord improbable, se produit. « Elle est comme un faire-valoir qui permet la rencontre entre le père et le fils. Mais il n’existera jamais de réelle relation entre elle et Auguste. C’est hors de question, car il n’est pas capable d’avoir de relation », analyse Véronique Marcotte. C’est avec Victoire qu’Auguste vivra ses premiers — mais brefs — sentiments de liberté, qui peuvent alléger le poids de sa souffrance.

Pour la romancière, Tout m’accuse a permis de sonder de nouveau les brèches de l’âme humaine, comme dans ses opus précédents, Les Revolvers sont des choses qui arrivent et Dortoir des esseulés. « Cela me fascine de creuser la faille de mon personnage et de l’agrandir. Je fais des recherches sur le sujet et, pour moi, c’est la partie la plus intéressante de la création littéraire. La maladie mentale m’interpelle. L’écriture permet d’apprivoiser ce qui me fait peur mais aussi, c’est une manière de me déculpabiliser car ce n’est pas quelque chose qui a happé ma vie », observe-t-elle.

Véronique Marcotte travaille déjà sur son quatrième roman, qui abordera cette fois le thème du suicide. Inspirée d’un fait divers, ce sera l’histoire d’un couple branché de Los Angeles qui s’est suicidé. « La femme tenait un blogue avant de passer à l’acte et celui-ci est encore ouvert à l’heure actuelle. Je vais faire un premier jet en août prochain. Je compte utiliser le  » je  » féminin et le  » tu  » masculin. Et il y aura un épilogue avec la voix de l’homme », conclut-elle.

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