Jérôme Minière : L’enfant créateur

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Bien humblement, Jérôme Minière avoue que c’est sa première entrevue d’auteur à vie. Pourtant, rien n’y paraît. L’auteur-compositeur-interprète a l’habileté des mots, autant dans la chanson que dans la littérature. Son sens du rythme, sa créativité, son audace et sa manière transparaissent dans son premier livre qui se trouve à la frontière des univers de Woody Allen, Julio Cortázar et Haruki Murakami. Mais façon Minière.

Fantastique et magique, le roman L’enfance de l’art marque l’entrée du chanteur dans le monde des lettres et c’est comme si c’était l’annonce de la Bonne Nouvelle tellement les pages tournées nous tiennent dans leurs rets. Pour l’artiste, peu importe la forme qu’emprunte la création, ce qui compte ce sont les fables racontées. « À 30 ans, comme j’étais jeune papa, que nous avions un sacré retard de sommeil et que nous avions peu d’occasions de sortir au cinéma, je me suis mis à lire énormément. J’ai réalisé que mon besoin d’histoires était immense, que sans la fiction (que je sois auditeur, spectateur, lecteur ou auteur), j’étais perdu. » C’est à ce moment qu’il se promet d’écrire un roman dans une dizaine d’années. L’enfance de l’art incarne ainsi la promesse tenue.

Pour Benoît Jacquemin, le personnage du livre de Minière, c’est aussi un rêve de jeunesse que celui d’écrire un roman. Une aspiration qui, avec les années, est allée se nicher dans les intervalles de l’oubli, si bien que lorsqu’un pigeon voyageur vient lui livrer un message au moyen d’un microfilm à la patte, ce sera le début de la reconquête de ses idéaux.

Un vieil homme remet une clé à Benoît qui lui donne accès à une salle de lecture. À sa première visite, une lettre de Réjean Ducharme lui proposera d’être son nègre littéraire. Interloqué, puis suspicieux, Benoît n’en est pas moins épris de curiosité et, jour après jour, il viendra s’abreuver à la source des histoires inventées.« Dans un roman, même si la maîtrise de la phrase est exigeante, la liberté reste totale, je peux imaginer n’importe quelle situation », précise l’auteur.C’est pourquoi on y rencontre des arbres souffrant de mélancolie, un homme dont la parole ne se tarit jamais, Dieu qui s’est fait poser une ligne téléphonique, un photographe devenu célèbre sans avoir jamais pris un seul cliché. Et aussi insolites qu’ils puissent paraître, ces univers font écho en nous, agissant comme de puissantes métaphores réverbérantes.

Partout dans le roman, il y a cette part de fantastique, mais pour l’écrivain ce n’est qu’un outil issu de l’imaginaire pour rendre compte de nos réalités et de notre propre part de mystères. La vie même n’est-elle pas une profonde énigme? Et ne relève-t-elle pas bien souvent du rocambolesque? Un des personnages du roman dira : « Aucune situation n’est strictement normale. La norme est une invention, une convention. » Le regard de Jérôme Minière – car un écrivain, c’est un peu ça, un regard – posé sur le monde le réenchante.

Lorsqu’on pose la question sur ses influences, l’auteur défile quarante-neuf noms. De Proust à Snoopy, en passant par Jean-Sébastien Bach, Guy Delisle et Fellini, l’identité Minière a plusieurs origines. Les différentes histoires que Benoît sera amené à lire s’imbriquent dans la sienne. Pourtant, le roman n’est en rien disparate ou bigarré. La thèse de l’auteur est que la fiction nous trouve exactement là où l’on est puisque le récit de notre vie se crée à chaque moment. « Des histoires inventées de toutes pièces venaient s’intercaler dans ma réalité quotidienne (et même la modifier), comme des rêves éveillés », constate le héros du livre. C’est la somme de nos fables qui nous fait.

Et comme un romancier a tous les droits, Minière ne se gêne pas. « J’aime trouver des formes, des couleurs, des personnages, chercher un peu de sens, même provisoire autour de moi. Tout cela part d’un manque, d’une certaine peur du vide qui me fait inventer des choses », avoue candidement l’écrivain-prestidigitateur. « Je suis un dilettante, spécialiste de rien, uniquement guidé par mon bon plaisir. »Jérôme Minière est un enfant qui joue.

La collection Quai no 5 dans laquelle est publiée L’enfance de l’art est dirigée par Tristan Malavoy, aussi auteur-compositeur-interprète. Si les auteurs qu’il choisit de publier ne sont pas exclusivement musiciens, il avoue avoir «une sensibilité particulière aux harmoniques que crée la musique quand elle croise le littéraire.» Petite marotte d’éditeur!

 

Photo : © Jorge Camarotti

 

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