Jacques Poulin: Bricoler la douceur

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Au bout d'une petite route rocailleuse où volent des centaines de papillons, le fleuve s'étend, majestueux. Devant son chalet, Jacques Poulin, agite la main en guise de salutations. Rencontre en douceur avec cet humble et discret porte-étendard de la littérature québécoise.

Une fine pluie s’échappe des nuages. Jacques Poulin se lève, appelle son chat parti en vadrouille autour du petit lac, dans lequel, dira-t-il plus tard, un héron vient parfois faire trempette. L’odeur de la terre fraîche embaume la pièce décorée sobrement: aucun doute, ce décor est celui de La traduction est une histoire d’amour.

Dans L’homme de la Saskatchewan, le plus récent livre de Poulin, Francis, le jeune frère
de Jack Waterman que le lecteur aura croisé dans L’anglais n’est pas une langue magique,
accepte d’écrire pour son aîné, l’«autobiographie» d’un gardien de hockey convoité. Ce dernier porte à son corps défendant les exploits de ses ancêtres métis, qui ont milité avec fierté en faveur de la langue française, au coeur d’une province anglophone. L’écriture de cette «autobiographie» sert de prétexte à un retour des plus réjouissant: celui de la Grande Sauterelle, qui était restée à San Francisco à la fin de Volkswagen blues. Elle revient à Québec pour donner un coup de main à Francis. Mais sa désinvolture enivrante, ces jambes aussi longues que le désir qui augmente chez Francis ainsi que son esprit mordu de liberté engendreront des ravages dans le coeur du dévoué nègre littéraire. C’est ainsi que se tissent, en parallèle, le récit d’un îlot francophone noyé dans un océan d’anglophones, et celui d’un îlot de tendresse – le minibus de la Grande Sauterelle – perdu dans un océan d’incertitude.

Aux romans de Poulin, enrobés d’une quiétude enveloppante, se greffent toujours les beautés du fleuve, quelques chats, vagabonds ou non, ainsi qu’une réflexion sur les mots, leur pouvoir et leur nécessité. Celui qui a fait de Québec le théâtre principal de ses romans, imprégnant chaque ruelle de la vieille ville d’une poésie et d’une finesse qui lui est propre, sait tout de même se renouveler. En effet, avec le prix Gilles-Corbeil en poche – le «Nobel québécois» –, Jacques Poulin continue d’affirmer sa maîtrise narrative, malgré la récurrence des thèmes, des personnages et des lieux.

Afin de garder constant l’intérêt de ses lecteurs, il a introduit, depuis La traduction est une histoire d’amour, des intrigues un brin policières à ses histoires. L’homme de la Saskatchewan ne fait pas exception, puisque deux hommes à forte carrure en veulent à l’auteur fantôme de l’«autobiographie»: «J’ai toujours peur d’ennuyer les lecteurs. J’ai l’impression que s’il y a une histoire
d’amour ou policière qui s’ajoute au thème, ça va soutenir le lecteur», explique monsieur Poulin, modeste. Soucieux du plaisir de son lectorat, Jacques Poulin apprécie que ce dernier s’implique lors de sa lecture. Pour cette raison, il n’aime pas la surenchère d’émotions: «Dans les romans, le danger, c’est de mettre trop d’émotions. J’aime mieux que ce soit « ramassé », au lieu d’un long gémissement. Quand c’est ainsi, ça laisse plus de place au lecteur, qui continue le travail. Je compte toujours sur lui pour ajouter ce que ma sobriété m’empêche».

Le vieil homme et les livres

Son amour des mots va de pair avec son amour des livres. Ainsi, les librairies tiennent une place
d’honneur dans la plupart des ouvrages de Jacques Poulin, ne pensons qu’à celle de Les yeux bleus
de Mistassini
ou encore au bibliobus de La tournée d’automne. Lorsqu’on lui demande, candidement, quelle serait selon lui la librairie idéale, il répond immédiatement «Mais elle
existe! C’est la librairie Shakespeare and Company, de Paris!» Paris, il y a vécu durant quinze ans. Et c’est au cours de cette période qu’il a eu la chance de découvrir ce lieu où «les écrivains américains allaient chercher des livres et se rencontrer». Plutôt que d’expliquer en quoi ce lieu lui est cher, il invite le lecteur à se plonger dans Paris est une fête, où Hemingway décrit avec précision cet établissement, de même que la libraire, Sylvia Beach, qui y a longtemps travaillé.

Le sujet d’Hemingway lancé, voilà Poulin qui s’anime: «C’est toujours intéressant de le lire. Plusieurs le voient comme un chasseur de fauves, pourtant, ses textes ont parfois une délicatesse insoupçonnée.» Puis, il étire le bras et attrape un livre de l’auteur en question sur la table, posé à côté du dernier Mingarelli, pour en lire un extrait qu’il trouve révélateur: «Ça prend une délicatesse de sentiment pour
dire des choses comme ça», soupire-t-il, souriant.

Jacques Poulin avoue retourner souvent à Hemingway, pour le style. Un modèle, pour cet auteur dont la plume est également caractérisée par une sobriété, un dépouillement qui laisse place à l’imagination du lecteur. Le métier de traducteur, que Poulin a exercé durant quelques années, lui a enseigné qu’il existe un mot pour décrire chaque chose et qu’il est bon d’user du terme juste: «Des choses m’agacent dans la façon d’utiliser le français maintenant. Par exemple, le mot « incontournable », qu’on trouve sur toutes les tribunes. C’est un cliché qui empêche l’utilisation de l’adjectif précis, une forme de paresse intellectuelle à défaut de rechercher l’épithète adéquate. Les synonymes, si on ne les utilise pas, on va les perdre…», déplore l’auteur.

Haute discrétion

«I have spoken too long for a writer. A writer should write what he has to say and not speak it.» Ces mots sont d’Hemingway, mais seule la langue en trahit l’auteur, puisqu’ils auraient aussi pu être de Poulin. Dans L’anglais n’est pas une langue magique, le narrateur s’exprime en ces termes au sujet de Jack Waterman, l’alter ego de Poulin: «Il valait mieux, selon lui, que le livre occupe l’avant-scène et que l’auteur reste en arrière, le plus loin possible». Vision que, bien entendu, le porteétendard québécois partage à son propre égard.

Désormais presque aussi discret que Ducharme et Salinger — dont il admire l’oeuvre —, Jacques Poulin avoue ne pas avoir toujours été ainsi: «J’ai commencé à écrire pour voir mon nom dans le journal et pour que les filles s’intéressent à moi», dévoile en souriant l’auteur. Maintenant que son nom apparaît dans tous les journaux et que plusieurs filles rêvent de passer un après-midi en sa présence, quelles sont ses motivations? «C’est mon métier et j’essaie de gagner ma vie, tout simplement…»

Mais qui, de Francis ou de Jack, représente le véritable alter ego de Poulin? «Dans ma personnalité, il doit y avoir les deux: l’aspect impatience de Jack et l’aspect gentillesse de Francis.» Poulin justifie cette part autobiographique par son manque d’imagination, laquelle, dit-il, n’est pas assez fertile pour tout inventer. S’en remettant à Hemingway une fois de plus, il le paraphrase en mentionnant qu’il n’écrit que sur ce qu’il connaît, dans le but d’éviter les erreurs. Puis, il ajoute: «L’écriture, c’est du bricolage plutôt que de la création. C’est un mélange de ce qu’on connaît, de ce dont on a envie de parler, de ce qu’on a lu et de ce qu’on aime.»

Pas étonnant, donc, que l’oeuvre érigée par Poulin soit un amalgame de petites douceurs que les lecteurs se plairont à découvrir, lentement, au rythme du narrateur. Lire L’homme de la Saskatchewan, ou tout autre roman de Poulin, c’est mettre de côté, un instant, les soucis du quotidien pour se délecter du temps qui passe…

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