Gilles Archambault : Amoureux dans l’éternité

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Vie de pigiste « oblige », c’est couettée, rougeaude, un brin exténuée, l’air tout droit sortie d’un épisode de La Galère, avec mon poupon ronronnant de neuf semaines sous le bras que je me suis pointée dans le Vieux-Montréal chez Gilles Archambault. L’écrivain octogénaire n’en a pas fait de cas, au contraire. Celui qui publie son neuvième recueil de nouvelles en carrière apprécie « les oasis dans un quotidien plutôt banal », qu’il m’écrira par courriel en guise de remerciements après notre rencontre. L’homme est ainsi; parfait gentleman, dont la sensibilité et l’humanisme transparaissent dans Combien de temps encore?, un titre et une question en suspens sur la jaquette de son plus récent opus.

Longtemps j’espère. Voilà ce que je répondrais à celui qui pratique l’écriture de l’intime comme peu d’hommes le font au Québec, se dévoilant à travers un florilège d’histoires et de personnages attachants, des êtres à vif qui nous ressemblent; ancrés dans un réalisme désarmant.

Pas de fioritures, de mots inutiles ou de réflexions alambiquées pour épater la galerie, Monsieur Gilles (j’ai décidé de l’appeler ainsi par politesse d’usage et pour la simplicité qu’il inspire) n’en ressent pas l’envie, ne cherchant pas les honneurs ou la reconnaissance. « Je ne travaille pas à me faire connaître, je travaille à me connaître, qu’il insiste, citant le critique Roger Jutran. Je pense qu’il y a peu d’intérêt à me connaître, qu’il y a peu de choses à découvrir. » Et pourtant… Plusieurs « choses » piquent ma curiosité chez lui, à commencer par son logement sobre et chaleureux, presque zen, sorte d’antre réconfortant où il écrit ici et là sur sa tablette électronique. Puis, il y a les photos de sa chère Lise, son épouse emportée par la maladie en 2010. Tantôt coquette et rieuse, tantôt sérieuse, prenant la pose telle une muse discrète, elle semblait connaître son homme comme personne.

L’amour, toujours l’amour!
Monsieur Gilles aura, toute sa vie créative durant, écrit surtout sur l’amour et le couple, comme s’il n’était jamais venu à bout d’en saisir toutes les complexités. C’est peut-être pour ça qu’il écrit encore, pour tenter en vain de déceler ne serait-ce qu’un petit éclair de vérité à travers les méandres des mystères du cœur. « Or, je n’ai pas de réponse à vous donner. Ce que je sais maintenant à 83 ans, c’est que j’ai commencé à vivre à 24 ans; quand j’ai commencé à vivre avec la femme avec qui j’ai partagé cinquante-deux ans de ma vie. Je serais d’ailleurs menteur si je vous disais qu’à certains moments, je n’ai pas déploré l’absence de liberté… Ce qu’il y a de beau dans l’amour, c’est que c’est se jeter volontairement dans les bras de quelqu’un…», réfléchit-il à voix haute.

Indiscrète, j’ose lui demander si, dans sa vie présente, il aurait retrouvé quelque chose qui ressemblerait à l’amour… « Je ne veux plus d’attachement, parce que je sais que ce serait des demi-attachements et j’ai dépassé ça. Mais il n’y a rien de naturel là-dedans. À mon âge, on n’a plus les moyens physiques de la passion, confie-t-il. Ça ne veut pas dire que le pauvre p’tit vieux que je suis devenu ne sait pas reconnaître la beauté, la séduction, le désir d’ivresse qu’il a déjà connu (rires). »

« On se moquera de moi, mais je me comporte comme si elle pouvait revenir. Elle est décédée il y a sept ans. Je n’ai pas encore disposé des cendres qu’on m’a remises dans une urne bariolée de dessins vaguement chinois. Parfois, les soirs de grande désolation, je me réfugie dans mon fauteuil et j’enserre le vase », lit-on dans Combien de temps encore?

De musique et de mots
Dans son immense lucidité, sa manière sans détour d’exprimer les émotions, Monsieur Gilles nous décroche un sourire en même temps qu’une larme. Rares sont ceux qui réussissent à jouer avec les extrêmes, à en faire des fragments narrés à la première personne comme des tableaux impressionnistes ou des pièces jazzées, musique qu’il écoute encore et qui l’a fait monter sur scène lors de la dernière édition du Festival international de la littérature (FIL), avec l’animateur et écrivain Stanley Péan. À bâtons rompus, ils ont jasé de littérature, de musique, de la vie. Une conversation ponctuée par la lecture d’extraits de Boris Vian, Jacques Réda, Amiri Baraka ou de leur œuvre personnelle, certes, mais aussi d’évocation de musiques et d’artistes chers à leur cœur dont Lester Young, Billie Holiday, Zoot Sims, Miles Davis, Bill Evans, etc.

Moins actif professionnellement qu’avant, il étonne encore par sa manière d’entrer en contact avec le public. C’est d’ailleurs aussi le cas au Salon du livre de Montréal, où, chaque année en novembre, il anime des discussions littéraires. À l’automne 2017, ce sera sa trentième participation à titre d’animateur. Dans ce rôle, ce sera aussi sa dernière. De son plein gré, Monsieur Gilles tire sa révérence. Ainsi va la vie. Il continuera de voyager – une autre de ses passions – et d’écrire, bien sûr. Et puis, il est depuis peu l’arrière-grand-papa d’une petite Éléonore. Il rougit un peu en l’admettant. Arrière-grand-père…

« On est vieux pour les autres, on n’est pas vieux soi-même, avoue-t-il. La folie dans ma façon de vivre ma vieillesse, je n’en suis pas mécontent. D’ailleurs, j’ai horreur de ces vieux qui se servent de leur expérience et qui s’imaginent que leur expérience sert à quelque chose… »

Hier encore…
S’il n’est pas un « donneur de leçons » à travers ses livres comme en personne, il n’en demeure pas moins qu’il est un homme qui a réfléchi, et de qui, oui, certains peuvent apprendre. Sur la mort notamment. Comme l’amour et l’amitié, elle fait partie prenante de son dernier-né. « Elle n’échappe à personne. Elle viendra. Je me rappelle que je vais mourir. À certains moments. En regardant des photos sur les murs, je me dis que j’ai connu ça, que ça ne reviendra jamais. C’est comme de voir un enfant… C’est beau, mais c’est effrayant en même temps. Je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il vivra des choses que je ne connaîtrai pas… »

En disant cela, son regard s’attarde sur cette photographie aux couleurs délavées fixée au mur et sur laquelle, devant un chalet, apparaissent une jolie trentenaire et deux gamins, une fille et un garçon qui ressemblent à l’écrivain. « Tout était encore possible alors… » Pour l’impossible, il continuera d’écrire jusqu’à la fin.

Photo : © Maude de Varennes

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