François Gilbert : La part de l’autre

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Avec La maison d’une autre, François Gilbert signe ce qui s’apparente autant à un sensible roman d’inspiration nipponne qu’à un captivant thriller noir. En sondant les désirs enfouis de Nanami, son héroïne, il fissure une entrée vers un gouffre immense qui regorge de pensées secrètes, d’un soi véritable inavoué et d’interdits dépassés.

« Qui suis-je? C’est une question que je me pose encore très souvent », avoue François Gilbert, qui a magnifiquement transfusé son interrogation à son héroïne. Cette dernière, qui se mariera dans douze jours, se plaît plus ou moins dans sa vie de femme au foyer, reconnaissant que tout ce qui l’animait lui est désormais interdit et que le rôle qu’elle endosse lui confère le sentiment de trahir sa volonté. Voilà pourquoi, lorsqu’elle reçoit l’appel d’un ancien amant lui quémandant de l’aide, elle accepte. Mais, ce faisant, jamais elle ne songe que cela impliquera un cadavre et son congélateur. « Nanami s’est mise dans une situation abracadabrante, peut-être un peu pour se “divertir” de son malheur. Tout comme ces polars [qu’elle lit] qui lui permettent, pour un temps, d’oublier qui elle est vraiment, puis de se sentir mieux dans sa propre vie, sans avoir à la remettre en question. Je voulais faire vivre la même chose au lecteur avant de l’inviter à se poser les mêmes questions », explique le jeune trentenaire.

L’écriture y est celle haletante, tranchante, des romans policiers (genre dans lequel l’auteur s’est replongé pour l’écriture de son roman), mais également sobre, dépouillée, comme celle de Tanizaki, Mishima ou Ogawa, que François Gilbert a lus. On s’y sent immédiatement au Japon, tout comme pour Coma, son précédent roman qui lui avait justement valu le prix Canada-Japon. « Je suis très attaché à l’Asie, en général, parce que c’est là-bas que j’ai commencé à me découvrir. Dès le premier séjour, j’ai eu le sentiment de perdre mon identité, mes repères, et de m’ouvrir, prêt à recevoir une autre réalité, à découvrir une autre manière de vivre. L’écriture d’un roman est une façon de refaire ce même voyage, de se poser la question de l’identité, et d’y chercher des réponses », livre l’auteur, expliquant ce choix de camper son roman dans un tout autre ailleurs. De plus, en interviewant des femmes au foyer d’une banlieue de Tokyo, il confirme son intuition : la culture y est effectivement contraignante. « L’endroit semblait parfait pour raconter l’histoire d’une femme qui n’arrive pas être qui elle est vraiment et à libérer son plein potentiel. Le Japon, même si j’y suis allé souvent, garde encore tout son mystère et reste un lieu de fiction, un lieu de tous les possibles. »

 

Photo : © Geneviève Cartier

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