Quand il travaillait en marketing, Éric Plamondon aimait beaucoup le montage. Un gros plan ici, une ellipse là, un ralenti plus loin, puis un plan large suivi d’une séquence syncopée. Pour le rythme, l’efficacité, l’originalité. La beauté.

L’auteur célébré de la trilogie 1984, de Taqawan (pour lequel il a reçu le prix France-Québec au récent Salon du livre de Paris) et, maintenant, d’Oyana (Quidam éditeur) travaille ses romans de la même manière. Variant les « angles ». Mariant la grande Histoire (extraits de livres, articles de journaux, détails de la culture populaire) à son histoire. Emboîtant les faits à la fiction.

Déposant enfin pièce après pièce à la façon d’une courtepointe dont l’un des motifs récurrents est les combats rappelant celui de David contre Goliath. Un thème cher à son cœur : « Il pose des questions importantes sur le droit d’exister », indique l’écrivain, qui vient d’avoir 50 ans et dans la voix duquel s’épousent le Québec et la France méridionale : arrivé à Bordeaux le 6 juin 1996, il aura bientôt passé autant de temps de vie de son côté adoptif de l’Atlantique que de celui qui l’a vu naître.

L’écriture, par contre, le ramenait toujours au bercail. Que l’on songe au puissant Taqawan, qui se déroule sur la réserve de Restigouche envahie, en juin 1981, par 300 policiers de la Sûreté du Québec venus saisir les filets des pêcheurs mi’gmaq.

Le silence
Un basculement — dans la continuité, ses préoccupations et sa façon de faire demeurent — s’est produit avec Oyana : le temps a fait son œuvre et Éric Plamondon, sa place dans une terre d’accueil où il a maintenant des racines solides. Il était prêt à planter son propos dans les paysages qu’il a sous les yeux, à aborder des sujets qui l’ont saisi à son arrivée sur le vieux continent et qui, vingt-trois ans plus tard, le taraudent toujours. La situation basque, par exemple.

« J’ai des amis à Bordeaux qui sont Basques et… on en parle sans jamais en parler, sans jamais aller très loin dans les discussions. Ça m’impressionne à quel point leur histoire est prégnante, importante mais volontairement occultée, même par eux. » Or il se trouve que pour lui, la littérature ne sert pas nécessairement à donner des réponses mais à poser des questions. Beaucoup de questions. À chaque lecteur, ensuite, d’apporter des réponses. « Pour moi, ça fait partie du travail d’équipe entre l’écrivain et celui qui le lit. »

Et le voici en compagnie d’Oyana, née en 1973 au Pays basque au moment où son père, membre de l’ETA, participe à l’attentat qui coûte la vie à un proche de Franco. Le voici en compagnie de Nahia, qui vit à Montréal depuis une vingtaine d’années et dont la vie bascule en mai 2018, quand elle apprend la dissolution de l’organisation terroriste basque. Le voici en compagnie de Xavier, l’homme à qui Nahia, qui a aussi été Oyana, tente de dire et d’expliquer, à travers une lettre moult fois commencée, déchirée, recommencée.

« C’est un roman qui a été écrit rapidement mais pensé longtemps », résume Éric Plamondon. Il y pensait depuis son arrivée en France. Il en rêvait plutôt. Se disait qu’un jour, il serait prêt. Le jour est arrivé. Comme un appel en trois temps.

L’année de la baleine
« D’abord, le 4 janvier 2018, il y a eu cette nouvelle, une baleine s’était échouée sur les côtes du Médoc. » À deux heures de route de chez lui. Lui qui a écrit son mémoire sur le rapport entre science et littérature dans Moby Dick; lui dont les murs du bureau sont ornés de posters de baleines; lui qui s’est fait dire, à la publication de Taqawan, que les saumons de Restigouche étaient sa baleine blanche; lui pour qui cet animal « est depuis toujours porteur de l’imaginaire, qu’il nourrit encore aujourd’hui ». Il se revoit d’ailleurs, l’année de son arrivée en Europe, assis à Saint-Jean-de-Luz, rue de la Baleine, buvant un cocktail Baleine, terminant l’écriture de son mémoire… baleine.

Il a donc sauté dans son auto pour la voir. En cette froide journée de janvier, l’an dernier, il a su, tout de suite, qu’il y aurait une place dans Oyana pour ce géant des mers gisant sur la plage, image douloureuse qu’il partagerait afin qu’elle demeure.

« Quelques mois plus tard, au printemps, l’ETA s’est dissous. Je n’avais plus le choix, je tournais autour de cette histoire depuis vingt ans, il était temps que j’arrête de chercher et d’essayer, et que je l’écrive. » Il avait un personnage, il savait qu’elle avait fait de la photographie, il connaissait son père biologique. Et il jonglait avec tout cela. « En ce sens, la dissolution de l’ETA a été une bénédiction pour moi. » Le signal de départ.

Un signal auquel s’est ajouté celui de Pascal Arnaud, de chez Quidam, qui publie Taqawan en France : « Il m’a demandé si je n’avais pas autre chose en cours et, si oui, il en avait besoin pour… la fin de l’été. »

L’écrivain a hésité. La baleine. L’ETA. La demande. Le sentiment d’urgence peut paralyser. Il peut aussi inspirer. Éric Plamondon est, pendant deux semaines, entré dans un état de transe. Il a écrit. Déchiré. Réécrit. Reformulé. Jeté. Recommencé. Comme Oyana devant la feuille de papier. « Finalement, j’ai écrit beaucoup de ce roman dans l’état d’urgence qu’elle a à écrire cette lettre. »

Résultat : un livre dont l’écriture a exigé « quelque chose entre trois mois et vingt-trois ans de travail ». C’est ce qu’il répond aux jeunes qu’il rencontre en grand nombre ces derniers temps, Taqawan étant en nomination pour le Prix littéraire des lycéens et apprentis Auvergne-Rhône-Alpes. « Et cette réponse, rigole-t-il, ne les satisfait pas du tout. » Mais elle a un grand mérite : elle est vraie.

 

Photo : © Rachel Moschberger

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