Éric Godin : Une revanche ketchup-moutarde

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C’est l’histoire d’un auteur qui, en guise de pied de nez au milieu littéraire qui n’a écoulé que quelque deux cents exemplaires de son roman – un chef-d’œuvre pourtant –, décide de prendre sa revanche sur l’industrie. Son constat : les bons romans ne se vendent pas, alors que les livres de recettes ont la cote. Ainsi, si la vengeance est un plat qui se mange froid, le pogo, lui, se mange bien chaud. Le pogo! Voilà qui se prêtera parfaitement à la vendetta qu’il entend mener : créer un livre de recettes qui contienne cinquante déclinaisons du plus ridicule aliment qui soit. Entrevue avec Éric Godin, aussi hilarant dans ses réponses que dans Le gars des pogos.

Aviez-vous un objectif précis en écrivant ce livre?
Avec chaque livre, mon objectif premier est de divertir et de partager un peu de mon imagination. J’aime laisser les gens retirer ce qu’ils veulent de mes écrits, sans trop forcer les messages ou les morales. Personnellement, je préfère les histoires qui ne sont pas trop moralisatrices.

Le gars des pogos est probablement le moins subtil de mes écrits, avec ses critiques claires envers le milieu de l’édition et du lectorat au Québec, et même à l’endroit des auteurs qui se prennent trop au sérieux. Si je reçois des critiques positives parce que les gens ont bien ri, je vais considérer mon devoir comme étant accompli, mais si mon livre change complètement les manières de faire de l’édition et fait en sorte que 99 % de la population se met à lire, alors je pourrai dire avec certitude que j’ai écrit quelque chose de bien… Bon, d’accord, mon objectif premier est de recevoir des dividendes des chaînes d’épicerie pour la vente supplémentaire de pogos.

Je reprends ci-dessous deux questions que votre personnage principal, le narrateur de Le gars des pogos, s’est fait poser par l’animateur de Tout le monde nous regarde, mais que je vous adresse, à vous :
Ah oui! Tout le monde nous regarde. Vous aurez remarqué que, pour des raisons légales, j’ai dû changer le nom de la populaire émission québécoise. Je parle, bien sûr, de Unité 9.

« – Ce livre, conclut l’animateur, c’est donc un rêve de jeunesse? Quelque chose que vous vouliez faire     depuis des années? »
Je ne peux pas dire que c’est un rêve de jeunesse, mais c’est certainement quelque chose que j’avais en tête depuis plusieurs années. Tellement, même, que j’ai fait des blagues durant des années sur le fait que je ne mange que des pogos. (Est-ce vrai? Voir question suivante pour la réponse! Indice : ce n’est pas vrai.)

« – Ce que tout le monde voudrait savoir, vous devez vous en douter, c’est combien de pogos par semaine vous engloutissez! »
D’abord, on n’engloutit pas un pogo, on le déguste avec un bon vin. Enfin, c’est ce qu’on fait si on a mangé des insectes toute sa vie et on découvre enfin autre chose. Ensuite, je ne mange presque jamais de pogos, en vérité. La dernière fois que j’en ai mangé, c’est quand ma tante m’a offert deux pogos congelés, il y a quelques mois. Elle cherchait quelque chose à me donner, bon, il n’y a pas de quoi en faire toute une histoire. Attendez… Je viens d’avoir une idée pour une histoire… Quelle était la question déjà?

Votre roman est un pied de nez à la réalité du milieu du livre, en ce sens qu’il met de l’avant un constat désolant : les livres de recettes se vendent plus que la littérature. Êtes-vous amer envers le milieu ou faites-vous simplement en rire?
La situation ne me laisse pas indifférent, mais je choisis d’en rire! En fait, mon livre critique avec humour toutes les facettes de l’écriture au Québec, pas seulement du côté des ventes. Quand on apprend à connaître le milieu, on constate aussi que les éditeurs, les libraires et même les auteurs eux-mêmes n’ont parfois pas la bonne attitude ou n’adoptent pas le bon comportement. Le sujet mérite une grande discussion, selon moi et, dans une entrevue comme celle-ci, il est difficile de faire autre chose que d’effleurer le sujet. Je vais seulement dire ceci : toutes les situations vécues par le protagoniste du roman sont des évènements vécus par moi ou d’autres auteurs. Chaque auteur a l’option de réagir comme il veut, et moi je choisis d’en rire.

Votre personnage principal est quelqu’un d’assez impulsif et de sarcastique. Partagez-vous ces traits de caractère?
Pour le sarcasme, oui, totalement. Je suis d’ailleurs le seul professionnel du sarcasme qualifié au Québec, mais mes services sont loin d’être gratuits. Je ne dirais pas que je suis d’un caractère impulsif, par contre. J’aime bien laisser vieillir une idée durant 15 à 20 ans avant de prendre toute décision, de cette manière je suis certain de mon choix. Pour vous démontrer à quel point je prends toute décision au sérieux, il y a 16 ans, quelqu’un m’a demandé où je voulais aller dîner, et je n’ai pas mangé depuis. Les docteurs disent que je suis un miracle et un don de la nature, mais mon psychologue affirme que je suis un menteur compulsif. Qui a raison? Allez savoir!

Vous semblez très bien connaître les dessous du milieu du livre, du processus créatif à la promotion dans les médias. Est-ce votre expérience de publication de vos précédents romans qui vous a inspiré?

En effet, Le gars des pogos étant mon quatrième roman, je possède assez d’expérience pour comprendre comment toutes les étapes du processus fonctionnent et comment les décrire de façon réaliste (en plus de mes pouvoirs télépathiques qui m’ont donné un bon coup de main).

Je dois dire également que lorsque je ne mettais pas assez de détail, ou lorsque cela ajoutait quelque chose à l’histoire, l’éditeur m’a fait des suggestions très intéressantes. Je l’en remercie, d’ailleurs; que tous les dieux de l’Olympe lui apportent bonheur et richesse (à moi aussi, tiens)!

Il y a beaucoup d’humour dans votre roman. Est-ce naturel, pour vous, d’ajouter cette pointe humoristique à vos romans? Dans la « vraie vie », avez-vous ce tempérament ou se déploie-t-il davantage à l’écrit?

C’est naturel. En fait, il m’est très difficile de faire le contraire. Lors de l’écriture de La brute et la belle, par exemple, le sujet ne portait pas nécessairement à l’humour. Une fois l’histoire terminée, il m’a été impossible de résister de mettre des remerciements et une biographie humoristique. Je savais que cela faisait contraste au ton de l’histoire, mais je n’ai pu m’en empêcher.

Dans la « vraie vie », j’aime également beaucoup rire et faire rire. Je crois qu’il faut prendre du plaisir dans ce qu’on fait et qu’il ne faut pas trop se prendre au sérieux.

Sur le site de Soulières éditeur, qui a édité deux de vos romans (Apprendre à compter et La brute et la belle), on peut lire votre petite autobiographie : « Par un étrange concours de circonstances, Éric est né dans une bibliothèque de la petite ville de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier (entre Saint-Raymond et Val-Bélair pour être imprécis). Pourtant, il ne s’est jamais pris pour un livre. » Vous seriez donc né dans une bibliothèque!?

Eh oui! Lors de ma réincarnation la plus récente, je suis né dans une bibliothèque! C’était entre les livres de Raymond Queneau et un dictionnaire anglais/français (le système de classement était à revoir complètement). J’ai été élevé par des rats (de bibliothèque) qui m’ont appris tout ce dont j’avais besoin pour survivre, tel que tirer le harpon, mastiquer une gomme (à effacer – je ne vous le recommande pas, c’est dégoûtant) et, bien sûr, parler le sarcasme. Ce dernier atout ne sera pas une surprise si vous avez lu les réponses aux questions précédentes. Et si vous ne les avez pas lues, avez-vous commencé par la fin? Pourquoi?

Vos précédents livres étaient des livres jeunesse. Quelle différence y a-t-il pour vous lors de l’écriture d’un roman jeunesse et d’un roman adulte?
Il n’y a pas de différence. J’écris pour moi d’abord et avant tout, et ce, dans le style qui convient  le mieux à l’histoire. Je ne me pose jamais la question avant d’écrire pour savoir à qui je m’adresse. Je crois que c’est une erreur pour un auteur de se poser la question. J’écris les histoires qui me plaisent et, après, je laisse le soin aux éditeurs de voir à qui elles s’adressent. Mes trois premiers romans ont été publiés dans des collections pour les adolescents, mais c’est uniquement parce que les histoires mettent en vedette des adolescents. Je préfère ne pas catégoriser et ne pas dire que ce sont des histoires pour les adolescents, et j’ai d’ailleurs des lecteurs de tous les âges. Mais bon, mon but est d’avoir du plaisir et de partager ma passion et, pour ce faire, je dois en premier laisser la place à l’art.

Et aux pogos, bien sûr.

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