Élise Turcotte et Clara B.-Turcotte : Un cerf, son faon, leur forêt

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Ne cherchez pas les bibittes dans la relation mère-fille d’Élise Turcotte et Clara B.-Turcotte. Il n’y en a pas, si ce n’est quelques impatiences « normales ». L’une reprend l’autre sur une date; l’autre, sur un titre de roman, une chanson entendue… Elles se font rire, elles sont belles. Dans la salle à manger du foyer maternel où a lieu l’entrevue, elles ne jettent pas de poudre aux yeux pour épater et briller. Juste de la vérité. Autopsie d’une relation féconde.

« Je me souviens d’une boîte offerte à Noël par ma petite fille. Elle s’intitulait La Fête (écrit en lettres attachées avec l’effort de la petite main qui apprend toute seule), et quand on l’ouvrait, des perles multicolores et des confettis de toutes formes éclataient comme des feux d’artifice à la vue. […] Ces boîtes à rêves sont certainement mes plus beaux autoportraits, parce que leur souvenir réactive sans cesse ma passion pour ce qui crée une alchimie de brocante. Et parce que mes enfants sont mes plus grandes influences. »

Clara est cette « petite fille » dont parle l’écrivaine Élise Turcotte dans cet extrait d’Autobiographie de l’esprit, un livre sur son univers de création, paru en 2013 à la maison d’édition La Mèche.

Duo inspirant
Écrit à la première personne, l’essai qui n’a pas eu la réception qu’il mérite est notamment habité par Clara et Francis, les deux enfants d’Élise, aujourd’hui dans la vingtaine :

« C’est vrai, mes enfants sont ma principale source d’inspiration, avec ce qu’ils sont, ce qu’ils pensent et inventent », avance l’écrivaine sous le regard timide et clairvoyant de sa Clara, l’aînée qui suit ses traces dans le monde littéraire, ce qui ne l’empêche ement de s’exprimer d’une voix qui lui est propre. Dans son premier roman, Demoiselles-cactus, paru cette année chez Leméac et portant sur les troubles alimentaires, le personnage anticonformiste et farouche de la jeune Mélisse mène une enquête hors de l’ordinaire sur un homme louche. La langue est lucide, parfois crue, le rythme haletant : « Mais au lieu de vomir, seul un petit filet de bave coule de ma bouche et mouille ma camisole. Je serais bonne pour jouer le rôle d’un dragon. Ça serait fantastique de pouvoir cracher le feu emprisonné dans mon ventre, en finir avec ça, brûler tout sur mon passage. »

Mentors désignés
« La première fois que j’ai lu son roman, j’ai été charmée, j’ai crié WOW!, s’emballe Élise. Je suis fière de ce qu’elle a fait. Puis je l’ai conseillée, mais je savais aussi qu’il fallait qu’elle se tourne vers un éditeur qui poserait un autre regard que le mien sur ce qu’elle faisait et qui pourrait l’aider à progresser. »

Tout naturellement, puisqu’elle le connaît depuis qu’elle est toute petite, Clara s’est tournée vers Pierre Filion, le même directeur littéraire qui collabore avec sa mère depuis des années chez Leméac et auprès duquel la gracile jeune femme se sentait capable de bâtir des liens de confiance. « J’ai beaucoup appris avec lui, il m’a fait travailler très fort. On a ri, aussi », déclare-t-elle.

« En observant Clara, Pierre [Filion] m’a toujours dit qu’elle allait se mettre un jour à l’écriture, que ce n’était qu’une question de temps… », note la mère. La jeune femme a donné raison au directeur littéraire en publiant d’abord en 2013 Mes sœurs siamoises, un recueil de poèmes, puis ce roman au ton déjà bien affirmé, marqué par une extrême lucidité et qui ne reçoit que des éloges depuis la fin janvier. « Jamais je n’ai senti de frein parce que ma mère écrivait, au contraire! Je l’ai toujours vue aimer ce qu’elle faisait. J’aimais me retrouver à ses côtés quand elle travaillait. La création est apparue comme quelque chose de très accessible », précise Clara.

Joli monstre
« Je la trouve tellement chanceuse de pouvoir écrire aussi vite, d’un trait, enchaîne Élise. Je ne sais pas comment elle fait. Je suis tellement lente, moi, ça me prend une éternité. »

–          Euh, non, ça ne sort pas d’un trait…
–          Ben oui, Clara!
–          Non, je te dis!
–          … (rires)

Elles sont drôles, dotées d’un esprit critique et d’une capacité à dire les choses avec franchise – à s’en mordre les doigts, parfois. Puis, dans un éclat de rire, Élise s’écriera, en entendant ses propres réflexions à travers celles de sa fille : « Oh, non! J’ai créé un monstre (rires)! »

Un joli monstre qui aime les listes en littérature. Clara tient ça de sa mère. En voici une, de mon cru, inspirée par ces deux femmes : les chats, les autels, les séries télé, les faits divers, la poésie, le thé, les petits monticules de livres éparpillés, les facteurs, les non-endroits pour errer, association d’animaux à des humains, etc. D’ailleurs Élise se compare à un cerf : « Avec des oreilles de chats, non!? Trouvez-vous? » Ça fait sourire son faon aux cheveux de feu.

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