Élise Gravel: Pas nunuche pour deux sous

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Lorsqu'elle était ado, Élise Gravel dessinait des chums dans des agendas scolaires. Un pour chacune de ses compagnes de classe, qui faisaient la file à son pupitre entre les cours. Avec cet humour bien à elle, un brin caustique et déjanté, pas étonnant que cette illustratrice et auteure à l'origine du Nunuche magazine, dont la troisième édition est parue en avril, soit en demande jusqu'aux États-Unis!

Dessiner des amoureux est à peu près l’affaire la plus «fifille» qu’Élise Gravel s’évertuait à réaliser. Elle ne s’intéressait pas du tout au maquillage, aux vêtements griffés, au potinage, au magasinage et au reste de l’ensemble des clichés entourant la jeune femme moderne, préférant des activités ludiques, arborant des chandails en coton ouaté à l’effigie de nounours. «J’étais anti-cool et plus tard, j’ai pédalé fort pour essayer de devenir cool. C’est souffrant d’avoir à faire sa place quand on est jeune», se souvient la créatrice de 34 ans.

Passionnée de bandes dessinées en tous genres, de «Spirou» aux albums de Gotlib, en passant par «Archie», elle lisait avec avidité tout ce qui lui tombait sous la main, allant jusqu’à parcourir les Reader’s Digest, l’endos des boîtes de céréales ou les romans de Dostoïevski. Pendant ce temps, son œil s’aiguisait, son trait s’affinait, l’illustratrice trouvait sa voie. L’auteure en elle développait son ton caustique, formait les bases de son esprit critique déjà bien affuté et de cet humour qui sauve de tout. «Une chance que j’avais ce sens de l’autodérision, ça m’aidait à passer à travers mes journées. C’est super difficile d’être ado, vaut mieux dédramatiser les périodes mélancoliques avec de l’humour», confie celle qui continue de cultiver le rire comme antidote au négativisme.

Anatomie d’une nunuche
C’est avec cette attitude qu’elle a créé son premier Nunuche magazine en 2006 aux éditions Les 400 coups. Parodie des magazines féminins légers et non représentatifs de la vie réelle, cette édition, qui s’adressait aux ados, abordait des sujets à prendre aux deuxième et troisième degrés, interpellant ainsi les jeunes allumés capables de discernement. Plus récemment, dans un format différent, alors que l’auteure était entourée cette fois d’une solide équipe de créateurs, sont nées aux éditions de la courte échelle Nunuche magazine volume 1 et Nunuche Gurlz volume 1, respectivement pour un lectorat de jeunes adultes et d’ados.

Dans le tout nouveau volume 2, dédié aux jeunes adultes, hormis le succulent dossier spécial sur la beauté intérieure, on nous montre comment partir à la recherche du teint perdu, quel sex toy prioriser ou ces positions sexuelles qui détruisent les femmes. Dans la section «famille», un article nous informe sur les manières possibles d’élever un enfant médiocre et sur les maladies in/out. Difficile aussi de ne pas souligner le courrier sans-cœur du docteur Lépine-Gouin ou cette entrevue avec Véronique Tremblay, femme du peuple élue «Miss Ordinary». La rédaction prévient par ailleurs les lecteurs que l’usage du dictionnaire, «cet objet lourd que les mannequins mettent sur leur tête pour apprendre à marcher», pourrait être souhaitable… Caroline Allard, Francis Desharnais, Stéphane Dompierre et Sophie Massé ont collaboré aux textes en utilisant des pseudonymes et cette touche de rigolade grinçante qui fait leur réputation.

«Si je me mettais à expliquer aux jeunes à quel point les magazines de mode sont néfastes pour leur estime, ce serait plate, ils n’en peuvent plus de se faire dire quoi faire ou ne pas faire. Quand on sait en rire, ils trouvent ça drôle. Je trouve que c’est une bonne façon d’aiguiser l’esprit critique des jeunes qui sont pas mal plus allumés que certains pourraient le penser», déclare l’auteure, qui prépare aussi le volume 2 du Nunuche Gurlz.

L’ascension après l’épreuve
La mignonne brunette a vu juste puisque dans son appartement du Vieux-Rosemont, celle qui est entrée dans le monde de l’illustration en publiant Le catalogue des gaspilleurs! en 2003, une parodie de publicités dont un tome 2 est à venir en août aux 400 coups, voit sa carrière monter en flèche ces dernières années.

À force de voir travailler son père, l’écrivain François Gravel, qui donne autant dans la littérature adulte que jeunesse, elle a vite appris à découvrir le fonctionnement de Bouquinville. Tout comme sa conjointe, l’auteure Michèle Marineau, le père a de quoi être fier de voir cette ancienne adolescente torturée suivre leurs traces avec autant de ressort.

Publier aux États-Unis certains de ses albums pour enfants qu’elle traduit elle-même lui permet d’ailleurs de vivre de sa plume. C’est d’abord en anglais que sont entre autres parus de l’autre côté de la frontière Adopte un glurb!, une histoire pour les enfants d’âge primaire, et Dessine avec moi!, un album destiné aux apprentis illustrateurs de 4 ans. Quant à Nunuche magazine, les Américains s’avèrent plus frileux qu’ici… «C’est trop déjanté pour eux, ils sont plus conservateurs. Je rêve de leur offrir des produits comme ça, mais ils préfèrent les livres avec une mission éducative», assure-t-elle.
Bien qu’elle ne dessine pas encore d’amoureux à Sophie et Marie, ses filles de 6 et 3 ans, Élise Gravel avoue avoir un côté enfantin qui transparaît dans ses œuvres: «Oh que je ne suis pas mature! J’aime les affaires pour enfants, j’aime jouer, me moquer de toutes sortes de choses, même les jokes de
pets me font rire. Ce côté gamine m’aide à créer, c’est certain.»

Avec plus de sérieux, elle admet caresser le projet d’écrire un roman jeunesse sur les hauts et les bas d’une fillette de 12 ans qui ne se sent pas comme les autres. «Ça ressemblerait pas mal à de l’autofiction», confie-t-elle, le regard songeur. Elle a tout un vécu, cette Élise Gravel… Sans cette sensibilité et les épreuves de l’adolescence qui l’ont façonnée, la créatrice ne ferait pas de chacun de ses livres des univers aussi marquants, lucides et nécessaires.

Bibliographie :
Nunuche Magazine. Volume 2, La courte échelle, 64 p. | 14,95$, En librairie le 7 juin
Dessine avec moi! La courte échelle, 96 p. | 14,95$
Adopte un glurb!, La courte échelle, 32 p. | 9,95$

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