Reprendre les thématiques principales de certains contes et les transposer dans un contexte contemporain et, surtout, des plus horrifiques : voilà les prémices des « Contes interdits », une collection chez AdA de romans d’horreur pour public averti, un avertissement à ne pas prendre à la légère. Dominic Bellavance, auteur prolifique qui a plusieurs œuvres à son actif principalement en fantasy et en romans noirs, ainsi que des guides de conseils d’écriture, propose Baba Yaga, une relecture du conte russe Vassilissa la Belle. Dans le texte de Bellavance, il est question de Vassily, un cuisinier dépressif fasciné par la mort et qui se « défoule le soir en regardant des innocents se faire massacrer », jusqu’au jour où il rencontre Yana Babakova, une puissante femme d’affaires prête à investir dans son projet de restaurant. Mais voilà que Vassily comprendra quelle est la vraie nature de cette femme, ce qui aura de quoi le désarçonner… Mais est-ce le prix à payer pour son rêve?

Votre personnage de Yana Babakova se laisse découvrir comme une Baba Yaga des temps modernes, une figure forte qui est à la fois l’adversaire du héros, mais aussi sa donatrice. Outre le nom et l’origine russe, il y a, notamment, parmi les indices glissés ici et là, le restaurant de poulet frit au bas de l’immeuble qui lui appartient et qui fait référence aux pattes de poulet sur lesquelles est surmontée la maison de la sorcière, dans les contes russes où Baba Yaga apparaît. Pourquoi avoir choisi de vous inspirer de ce conte en particulier et de ce personnage pour écrire votre roman? Qu’est-ce qui vous fascine chez Baba Yaga?
C’est d’abord son ambiguïté. Ses zones grises. Baba Yaga est une figure qui apparaît dans de nombreux contes slaves. Parfois, elle est présentée comme une antagoniste pure et dure, d’autres fois, c’est une alliée du héros. Elle a de multiples visages, cette Baba Yaga. Le conte d’où j’ai puisé mon inspiration, Vassilissa la Belle, est de loin le plus connu — c’est même celui qu’on a choisi d’interpréter dans Iniminimagimo, à Radio-Canada, dans les années 1980! Dans cette histoire, Baba Yaga porte les deux masques : elle est une figure terrifiante pour l’héroïne, mais en fin de compte, c’est grâce à son intervention que la méchante belle-mère, celle qui maltraitait Vassilissa au début du récit, est anéantie.

J’ai cherché à donner une position similaire à Yana Babakova dans mon « Conte interdit ». Ambivalente. À la fois alliée et ennemie.

Il y a aussi cette emblématique hutte à pattes de poule, que j’ai croisée plusieurs fois durant mon enfance, autant dans les livres que dans les films et même les jeux vidéo. Pourquoi cette image s’est-elle incrustée dans l’imaginaire collectif? Ça m’intriguait. Je voulais percer ce mystère. Pour moi, l’écriture, c’est la meilleure manière de creuser un sujet.

Trois cousins de Yana Babakova sont présents à la Hutte, cet endroit paradisiaque situé sur une île au Mexique, en plein cœur de la dense forêt. Ce sont ses trois cavaliers, Black, White et Red. Que viennent ajouter, narrativement parlant, ces personnages inspirés du conte d’origine à votre histoire?
Dans Vassilissa la Belle, l’héroïne doit retrouver Baba Yaga pour lui demander du feu. En chemin, elle croise trois cavaliers : un rouge, un blanc et un noir. Le passage de ces trois êtres représente respectivement le soleil, le jour et la nuit.

À ma première lecture, je me suis demandé : « Voyons! Pourquoi on ne mentionne pas seulement que c’est le matin ou la nuit? Pourquoi utiliser des personnages? » Le rôle de ces cavaliers est en apparence assez accessoire : ces trois-là ne disent rien, ils ne font que passer en silence.

Après quelques recherches, j’ai découvert des détails intéressants dans certaines versions du conte. Dans l’une d’elles, Vassilissa dit à Baba Yaga que ces cavaliers l’effraient, mais la vieille sorcière répond qu’elle les contrôle — que ce sont ses serviteurs —, et que Vassilissa n’a rien à craindre. On suggère donc que la sorcière possède un pouvoir divin : celui de contrôler le temps. Pas une mince affaire.

Dans mon « Conte interdit », impossible d’ignorer ces trois figures. Elles me fascinaient. J’ai choisi de jouer la carte de l’antithèse : au lieu d’être prévisibles comme les cycles des journées, les cavaliers représentent le chaos, la perte de contrôle. Lorsque ces cavaliers se manifestent, la posture divine de Yana Babakova s’évapore. Complètement.

Vignette du livre Baba YagaCe roman – tout comme ceux de la série des « Contes interdits », destinés aux adultes, on le rappelle – n’est pas avare de détails gore, de cruauté, de passages très difficiles ou de passages sexuellement explicites. Comme créateur, qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans l’écriture de telles scènes?
Un but que je me suis donné, en tant qu’artiste, est de susciter la réflexion et les émotions. Avec l’horreur, je suis en plein dans ma zone. L’horreur, ça inquiète, ça dégoûte, ça suscite une étrange curiosité. C’est la transgression. Dans une bonne histoire d’horreur — en particulier dans le roman noir —, on traverse le mince film qui isole une vie ordinaire d’un véritable enfer, et on accompagne le héros dans sa déchéance.

En tant qu’auteur, je m’intéresse à l’humain, en particulier à son côté sombre. Les pulsions interdites, la haine refoulée, les désirs de vengeance… Le roman est un espace de création qui me donne la liberté d’explorer ces petites (ou grandes) noirceurs qui s’agitent en nous. Le matin, je me fais un café, je prends mon souffle et je plonge en apnée dans les ténèbres. Ça donne des journées épuisantes mentalement, mais la surprise est toujours au rendez-vous. Entre ça et mon ancien travail au gouvernement, le choix est facile.

Ça génère parfois des romans très durs, évidemment.

Je suis le premier à dire que Baba Yaga n’est pas pour tout le monde. « Si t’aimes pas la sauce piquante, va pas dans un resto mexicain. » La même chose s’applique à la collection des « Contes interdits », qui s’est donné le mandat d’aller aux limites de l’horreur. Ça s’adresse aux fans du genre, à ceux qui sont capables d’en prendre.

Dominic Bellavance, écrivain • Guides pour auteurs • Romans de fantasy
Photo : © Josée Marcotte

Votre roman aborde, sous différents angles, la question de la liberté. Liberté de soi, liberté de choix, liberté financière, liberté tout court. Est-ce une thématique qui vous est chère?
Honnêtement, je ne l’avais pas vu sous cet angle! Dans Vassilissa la Belle, l’héroïne doit aller chercher du feu chez Baba Yaga, comme il n’y a plus de lumière dans la maison. Dans mon roman, ce feu prend diverses formes, mais principalement, j’y vois le feu intérieur : cette force qui nous amène à persévérer, à nous accrocher à la vie malgré l’adversité — qui est particulièrement écrasante dans mon histoire; les assauts viennent de toutes les directions.

La liberté représente-t-elle l’absence d’adversité, de contraintes, sans lesquelles jailliraient les possibilités? Si oui, le thème est omniprésent dans Baba Yaga. Mon personnage principal cherche à regagner son feu intérieur, et c’est ultimement pour avoir la force et les moyens financiers de se libérer des chaînes qui l’entravent.

Pour écouter Dominic Bellavance lire le conte original de Vassilissa la Belle, c’est par ici

Le 6 septembre, vous ferez également paraître Le bal des infidèles, premier titre d’une nouvelle série nommée Le Corrupteur, que vous dirigez. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce qui attendra les lecteurs dans cette série?

Le bal des infidèles - Dominic BellavanceDans cette série de thrillers, un criminel (le Corrupteur) sévit dans la ville de Québec et empoisonne des gens à leur insu. Il leur donne un défi sordide qu’ils doivent réaliser en 24 heures, pas une minute de plus. Seuls les victorieux reçoivent l’antidote, et on devine ce qui arrive aux autres…

Chaque roman s’intéresse à une victime précise du Corrupteur, du moment où elle reçoit son défi, jusqu’au dénouement. Le lecteur accompagne ce personnage, minute par minute, pendant deux tours d’horloge. C’est une course contre la montre. Et pour appuyer le sentiment d’urgence, les chapitres sont chapeautés d’un décompte qui montre le temps restant avant la fin du défi — donc avant la mort.

On commence cette série avec la 50e victime du Corrupteur. Ainsi, dans cet univers, le phénomène est connu de la population, en plus d’être largement médiatisé : les journalistes restent à l’affût, attendant de savoir qui sera la prochaine victime. Les manchettes ne parlent que de ça. Dans ce contexte, lorsqu’on reçoit un défi, on n’a pas le luxe de douter bien longtemps avant de se mettre en action.

Pour la première vague, je suis très bien entouré : Johanne Dallaire et Withney St-Onge B. ont accepté de m’accompagner dans cette folle aventure. Nos trois livres sont prévus en septembre, et on pourra les lire dans n’importe quel ordre.

Photo de Dominic Bellavance : © Josée Marcotte

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