Diane Lacombe : L’Hermine de Mallaig

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À la question du «pourquoi écrire», Samuel Beckett avait répondu au quotidien français Libération qu'il n'était «bon qu'à ça». Cette réponse, qui figure désormais dans tout florilège de citations digne de ce nom, Diane Lacombe nous en offre une version rafraîchie.

L’auteure de la trilogie de Mallaig écrit, elle, pour se distraire… Ayant pris un congé de six mois sans autre projet que celui de souper avec ses fils, le mauvais temps la confine à l’intérieur. Ses milliers de lecteurs peuvent en remercier le ciel: pour chasser l’ennui, elle commence une histoire, de celles qu’elle aime emprunter à la bibliothèque. Ses sœurs, mises au courant du projet, s’emballent. Un chapitre après l’autre, Mallaig prend d’abord la forme d’un feuilleton par courriels. La Châtelaine de Mallaig paraîtra en 2002 chez VLB, et sera suivi de Sorcha de Mallaig l’année suivante. À ce jour, plus de 200 000 exemplaires ont trouvé preneurs des deux côtés de l’Atlantique.

Au début de La Châtelaine de Mallaig, l’arrivée de Gunelle Keith comblait une double perte : celle du fils aîné de Baltair MacNeil, et celle de l’épouse adorée du vieux seigneur. L’Hermine de Mallaig est consacré à ce personnage, qui hantait depuis longtemps l’esprit de Diane Lacombe : «J’ai écrit Sorcha pour répondre à la demande des gens qui voulaient avoir la suite. Il me fallait tenir compte de ces gens-là, mais après ça, j’allais écrire l’histoire de Lite.»

En 1390, l’Écosse connaît de multiples bouleversements politiques. Lite MacGugan, pupille de la comtesse de Ross, se voit obligée d’unir sa destinée à celle d’Alexandre Stewart fils, héritier d’un seigneur honni entre tous, qui cherche à faire main basse sur une dot alléchante. Elle parvient à déjouer les plans du «Loup de Badenoch» en épousant plutôt Baltair MacNeil, un cateran, guerrier prêtant sa lame et son kilt au plus offrant. L’homme n’a rien d’un bon parti. Renié par les siens, il est par surcroît condamné à mort pour ses méfaits. Lite, en vertu d’une loi écossaise méconnue, sauve l’homme de la potence en promettant de l’épouser. En échange, Baltair devra la protéger de la haine des Stewart. Une mission qui répond au désir de l’homme, qui a des comptes à régler avec Alexandre père. Le lendemain de ces noces blanches, mariage de raison qui n’a jamais si bien porté son nom, le cateran chevauche vers sa vengeance ; Lite part trouver refuge à Mallaig, domaine de la famille MacNeil déjà bien connu des lecteurs.

Mais Mallaig, trente-quatre ans avant l’arrivée de Gunelle Keith, n’a que fort peu à voir avec le château qu’il deviendra : «un massif donjon carré en pierres de taille qui émergeait d’une palissade de bois» (p. 88-89). Un brin découragée par l’aspect rudimentaire de la place forte, Lite conçoit aussitôt le projet d’en faire un second Dinkeual, château du comté de Ross où elle a été élevée : « Lite est ambitieuse, explique l’auteure lors de l’entretien accordé à Lelibraire.org. Elle vient de rien, et elle ne peut compter que sur elle-même pour se faire un nom. Pour faire son chemin dans la noblesse, elle tombe dans une famille qui n’est pas vraiment intéressée par ça ». Qu’à cela ne tienne ! Tenue loin des ronds de jambes et des jeux de coulisses de la classe régnante écossaise, palais des mirages où sont peu à peu importés les us et traditions du continent, Lite mettra à profit ses talents d’organisatrice, offrant en peu de temps à sa belle-famille les joies et les vanités d’une cour digne de ce nom. Mallaig est sur la carte : le domaine a désormais fière allure et les navires marchands qui s’y arrêtent en font peu à peu un port commercial et culturel d’importance. Venant à bout de la suspicion de sa nouvelle famille, qui profite de sa richesse et de l’étendue de ses talents, elle doit maintenant faire la conquête de Baltair : «Lite, c’est une manipulatrice : elle embarque tout le monde dans son jeu. Le dernier à embarquer, c’est son mari».

Les engagements du guerrier ne contribuent pas à le rapprocher de Lite : il se méfie, de toute façon, de la ruse de son Hermine, ainsi baptisée pour sa «gorge blanche» et sa «toison rousse» (p. 29). Lite est plus intéressée par ses occupations de châtelaine officieuse. Et puis, faut-il le dire, côté cœur, elle n’est pas en reste : Alasdair Leslie, fils de la comtesse de Ross, laisse de plus en plus leur lien quasi fraternel se teinter de quelque ambiguïté. Jalonnée de retrouvailles épisodiques, la correspondance des deux jeunes gens s’enflamme. Il faudra que son corps s’y brûle et qu’elle ait éprouvé dans sa chair la faiblesse d’âme d’Alasdair pour que Lite en vienne à préférer les vertus de son époux légitime. Là tient une partie de l’attachement de Diane Lacombe pour le Moyen Âge : «La parole d’un homme avait son importance. Aujourd’hui, on achète n’importe quoi. Il n’y avait pas de valeur rattachée à l’argent parce qu’il était tellement rare.»

Bien moral que tout cela ? Baissons la garde. La description de l’amour naissant entre les deux époux vaut diablement le détour. Relayée par vol de pigeons, la correspondance entre Baltair et Lite, reposant d’abord sur des prétextes prosaïques, finit, épicée par la jalousie et l’attente, par laisser s’exprimer les sentiments. L’Hermine de Mallaig propose ainsi à l’impasse de l’amour-passion un rapport fondé sur un authentique dialogue, qui trouve son équilibre entre abandon et roublardise. Un peu, sans doute, à l’insu de son auteure, dont la technique est centrée sur la description d’un personnage et de son «caractère» : «C’est peut-être mes trente crédits en psychologie qui remontent à la surface ! Les relations avec les autres, ça fait partie de l’histoire, et je ne la connais jamais, l’histoire. Je travaille sans plan ; je ne sais pas où je m’en vais».

Revendiquant cette doctrine du hasard et affirmant un parti pris psychologique, Diane Lacombe a quelque peu de difficulté à se considérer comme une auteure de «romans historiques» : «Je suis invitée, dans les salons, à participer à des tables rondes sur le roman historique. J’étais mal à l’aise au début : il n’y a pas de contenu historique, lâchez-moi ! Quand j’ai écrit La Châtelaine…, j’ai choisi 1424 parce qu’il ne s’y passait rien en Écosse. Le roi revient d’exil.» Ce roi, c’est Jacques 1er, dont on peut deviner la destinée dans la trame de la trilogie de Mallaig. La Châtelaine…, ainsi, commence après son retour ; Sorcha… , qui s’ouvre en 1437, concorde avec son assassinat. L’Hermine…, enfin, qui déploie une dimension historique plus appuyée, nous le fait voir enfant, jouant auprès de son père, le faible Robert III.

Et pourquoi pas un roman sur Jacques ? « J’ai plutôt le goût de remonter le temps. Je toucherais peut-être à Robert de Bruce ou aux rois précédents. Je suis aussi très intéressée par le mélange qui s’est fait entre les Écossais et les descendants des Vikings, en particulier dans le comté de Sutherland. Il y a énormément de Vikings qui se sont installés là. Ils avaient l’avantage d’adopter la religion, la langue et les coutumes des peuples qu’ils soumettaient. »

Quelle que puisse être la terre d’accueil de la prochaine fiction de Diane Lacombe, son public n’aura pas à attendre longtemps avant de s’y promener. L’auteure d’origine trifluvienne a mis six mois pour écrire chaque volet de la trilogie de Mallaig. Mais plutôt que de nous prosterner devant cette rapidité d’exécution, préservons à la création son mystère et saluons la fortune d’une narration juste, reposant sur l’alternance entre le point de vue du personnage central et celui d’un narrateur extérieur à l’histoire. C’est à chacun son chapitre, et cette technique fait écho au contenu même de Mallaig, qui explore sans prétention le sujet bien contemporain des relations de couple, le greffant à un Moyen Âge vraisemblable. Par cette belle simplicité, qui gagne peu à peu en profondeur et en hardiesse, Diane Lacombe a su trouver le ton juste.

Photographies : détail de la couverture de L’Hermine de Mallaig, VLB, 2005 et portrait de Diane Lacombe par Josée Lambert

Bibliographie :
La Châtelaine de Mallaig, Diane Lacombe, VLB, 536 p., 29,95 $
Sorcha de Mallaig, VLB, 490 p., 29,95 $
L’Hermine de Mallaig, VLB, 519 p., 29,95 $

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