C’est un hommage à ses amies de fille du secondaire que Daniel Grenier a voulu écrire avec ce roman. Françoise est l’amalgame de toutes ces figures gouailleuses, effrontées, aventurières qui ont côtoyé sa jeunesse et qui l’ont inspiré.

Françoise, 17 ans, est farouchement indépendante. Elle est de ces êtres qui échappent à leur éducation et à leur culture pour laisser advenir ce qui existe au plus profond d’eux-mêmes, et qui au lieu de se laisser ballotter par les hasards ou ce qui leur est imposé prennent la vie d’assaut et partent à la rencontre de leur destinée.

Françoise n’est pas pour autant de ces caractères contestataires en mal d’affranchissement, elle symbolise plutôt une force tranquille qui cherche à s’incarner. Elle est intrinsèquement mue par cet élan de liberté et si elle sonde les limites, ce sont les siennes propres qu’elle interroge. C’est aussi le livre d’une époque — bien qu’elle puisse ressembler à d’autres à plusieurs égards —, celle des années 90 en banlieue, pas encore entrées de plain-pied dans l’ère numérique, donc avec l’impression d’un temps long qui s’étire à l’infini et un sentiment d’ennui qui peut à la fin s’avérer salvateur par tout ce qu’il fait germer et qu’on ne soupçonnait même pas.

Au-delà du récit initiatique qui évoque le passage de l’adolescence à l’âge adulte, le roman est l’exemple de toute quête personnelle comme chacun peut avoir, un besoin de partir à la recherche de sa propre légende, même si Françoise ne l’exprimerait pas nécessairement de cette façon. Car c’est à travers les actes plus que les mots qu’elle prend possession du monde. C’est pourquoi elle graffite des signes sur les wagons de train, qu’elle chaparde quelques objets ici et là, qu’elle entre clandestinement dans les maisons temporairement désertées pour y faire son nid de manière discrète, qu’elle franchit la frontière des États-Unis d’abord sans autre but que de suivre la direction de ses pas.

Peu à peu, son leitmotiv se précise et son chemin s’associe à celui d’Helen Klaben, une jeune femme qui, partie seule découvrir le monde en 1963, se retrouve victime d’un accident d’avion. Elle devra survivre dans les contrées sauvages du Yukon pendant quarante-neuf jours avec Ralph Flores, le pilote. Cette histoire, dont Françoise prend connaissance par l’entremise d’un reportage paru dans un vieux numéro du magazine Life qu’elle a volé au salon de coiffure, la suivra dans son sac tout au long de son périple comme un appel au courage et à la résistance. « Helen Klaben est un personnage fascinant, à la fois pour ce qu’elle a vécu et dans sa personnalité et son caractère, exprime Daniel Grenier. Pour Françoise, Helen représente le fait qu’on peut ne pas mourir, même quand on serait supposé d’être mort. » Cette force vive, Françoise l’éprouve chaque jour et on soupçonne qu’elle provoque elle-même les dangers afin d’explorer la nature de sa trempe. Elle regrette même parfois que le destin ne lui ait pas réservé plus de contraintes, une grande épreuve qu’il lui aurait fallu surmonter, un rituel initiatique en quelque sorte qui l’aurait rendue à elle-même. « On part toujours à la recherche de quelqu’un, pas nécessairement de quelqu’un d’autre », est-il écrit en quatrième de couverture. C’est même souvent soi-même qu’on tente inéluctablement de rattraper pour saisir au plus près la fibre intime qui nous porte. Et chez les autres, on cherche la matière qui nous fera écho.

L’étincelle qui prend feu
C’est d’abord l’histoire d’Helen Klaben qui fut le bois d’allumage à l’écriture de ce roman. « Je suis tombé par hasard, un peu comme Françoise, sur l’article du magazine Life, c’est vraiment l’élément déclencheur parce que ce récit-là m’a beaucoup interpellé. J’ai eu envie de parler d’Helen Klaben et ça s’est concrétisé par un personnage de fiction à qui j’ai prêté ma fascination. » Par la suite, Françoise a pris le pas sur Helen puisque Daniel Grenier souhaitait construire de sa propre plume une protagoniste aguerrie qui s’est forgée à l’aulne d’une femme puissante par la force mentale dont elle a fait preuve. « C’est l’idée que toute l’histoire de Klaben va transiter par l’imagination de Françoise, par sa façon de la réécrire. » C’est le principe d’émulation, de tourner toute son attention vers ce symbole, d’aspirer à sa hauteur et de le faire sien avec suffisamment de certitude qu’en toute occasion il nous guide et nous réchappe de la noirceur.

Avec Françoise en dernier, Daniel Grenier approche ces notions de libre arbitre et d’événements qu’on dit écrits dans le ciel. « Il n’y a rien qui arrive pour rien, mais en même temps, on fait aussi son propre destin. Ce sont des gros clichés que j’essaie de détourner avec l’écriture. » Les détourner pas nécessairement pour les contourner, mais pour justement les investir davantage, les libérer de leur propre oracle. Le thème de la foi est abordé par Flores qui était mormon et qui imputait à Helen la faute de l’accident parce qu’elle n’était pas croyante. C’est pourtant en étant animée d’une profonde conviction qu’elle appréhende le temps qui lui est imparti, démontrant sa fidélité autrement que dirigée vers une déité. C’est plutôt en elle et autour qu’elle semble trouver sa toute-puissance et c’est ce qui inspire Françoise. « Les expériences qu’elle traverse sont universelles. En même temps, j’avais envie d’écrire un point de vue féminin sans que ce soit un point de vue féminin qui va se faire rattraper par la statistique. » Car fondamentalement, la quête reste la même que si Françoise avait été un garçon, pourtant le lecteur lit son histoire de façon différente. La vulnérabilité est plus grande ; même si cette fragilité n’est pas inhérente au personnage, elle la conditionne parce qu’être une fille expose davantage aux dangers. L’instinct, souvent un concept dévolu aux femmes et considéré comme une disposition obscure émanant de la sorcellerie, la gardera sur la ligne. Si Françoise n’abhorrait pas toute étiquette, elle serait probablement féministe.

C’est aussi le souffle de la transmission qui fait que les héroïnes continuent à prendre part au monde et que par l’intermédiaire de l’écriture, Daniel Grenier s’assure de passer. « Je défends beaucoup l’idée que si on écrit c’est parce que fondamentalement, on a envie d’être lu, c’est pour partager quelque chose, pas pour l’envoyer dans le vide ou le garder pour nous. » C’est un peu par la force des choses que Daniel Grenier est devenu écrivain. « J’ai toujours dit que j’étais un lecteur bien avant d’être un écrivain. » Toute écriture procède d’abord de la lecture qui développe le réflexe de reproduire l’acte d’écrire. « Ensuite, ça devient une démarche, puis une sorte de vocation. » Il y a peut-être également l’envie d’engendrer chez d’autres ce que la littérature suscite en lui. Et tout comme Françoise qui laisse sa marque avec son feutre noir un peu partout où elle passe, un ardent désir d’immortalité.

Photo : © Le Quartanier, Justine Latour

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