Chrystine Brouillet : À la défense des enfants mal-aimés

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Tandis qu'un nouveau collègue à la police de Québec complote en vue d'assassiner sa propre épouse, Maud Graham s'inquiète de ce garçon rejeté par tous qui s'est lié d'amitié avec son protégé Maxime… Mais quel est le lien entre ces histoires en apparence disparates? Après avoir exploité dans ses polars les figures du meurtrier en série (Le Collectionneur) et de l'abuseur pédophile, voire incestueux (C'est pour mieux t'aimer, mon enfant puis Les Fiancées de l'enfer), après avoir ausculté notre système hospitalier (Soins intensifs), Chrystine Brouillet revient dans Indésirables à un thème qui lui est cher : les mauvais traitements infligés aux enfants. Et son lectorat fidèle peut se réjouir à l'idée que l'inspecteure Graham mène l'enquête !

On sait que les retrouvailles avec Maud Graham se passent toujours dans le bonheur, mais n’y a-t-il pas pour vous une part de défi dans le fait de renouer avec elle, à plus forte raison maintenant qu’une comédienne (Maude Guérin) lui a prêté ses traits… ?

Pas du tout. Je suis sérieuse quand j’affirme que je considère Maud comme une copine — et non pas un alter ego. Ça me sécurise de les retrouver, elle et ses copains Grégoire, Alain, etc. Le fait de replonger dans un univers familier me permet de mieux me concentrer sur l’intrigue. C’est une tout autre aventure qu’avec des livres comme Les Quatre Saisons de Violetta ; Maud, je sais ce qu’elle aime, ce qu’elle mange, ses difficultés avec ses verres de contact. Quant au cinéma, comment dire? Que l’image de Maude Guérin — très bon choix, en passant — soit désormais associée à celle de Graham m’apparaît comme un plus. Mais en même temps, le film restera toujours une œuvre indépendante de mes livres.

À propos des intrigues, il me semble qu’au fil des épisodes, elles sont devenues plus complexes…

Depuis Les Fiancées de l’enfer, j’ai pris l’habitude de juxtaposer deux intrigues concurrentes qui finissent par converger. Honnêtement, c’est une manière de soutenir l’intérêt des lecteurs et lectrices, de les surprendre. Indésirables a été le plus compliqué à écrire de toute la série, parce que j’avais décidé de faire parler un enfant et je ne voulais surtout pas que ça sonne faux ou fabriqué. Toute une question de nuance, de degré, de mesure…

On s’étonne que vous évoquiez ce choix comme une difficulté, vous qui écrivez pour la jeunesse, qui mettez en scène des enfants depuis si longtemps !

C’est toujours difficile de faire parler un enfant, même en littérature jeunesse. Comme j’ai choisi un sujet périlleux, qui ne se prête ni à la comédie ni à la fantaisie, la difficulté m’a paru accrue. Le rejet, c’est une réalité que vivent des enfants dans toutes les écoles. J’ai recueilli suffisamment de témoignages pour le savoir. Je voulais absolument éviter que le tout sombre dans le ridicule ou dans le mélodramatique. Les extraits du journal intime du garçon dans mon roman, je n’ai pas cessé de les réécrire, de couper, de rallonger puis de recouper. J’avais l’impression de marcher sur la pointe des pieds. En filigrane, il m’a semblé qu’il y avait là une réflexion sur le rapport trouble des jeunes avec la violence dont ils sont soit les victimes, soit les auteurs.

C’est presque devenu un thème récurrent, non ?

On ne dira jamais assez qu’en tant qu’adultes nous sommes responsables des enfants. Socialement, il nous faut apprendre à les observer davantage, avec toujours plus de vigilance. Je trouve inadmissible qu’encore aujourd’hui des enfants soient maltraités dans les écoles ou dans la rue par leurs camarades, ou chez eux par leurs parents. Ça me bouleverse de savoir qu’au XXIe siècle, dans nos sociétés dites civilisées, il y a encore tant d’enfants qui souffrent. Mais je ne voudrais pas donner l’impression de jeter la pierre sur les enseignants, à qui l’on ne donne ni le temps, ni les moyens d’agir. Il est temps qu’on comprenne que des enfants qui se bousculent, ce n’est pas rien, ça peut prendre des proportions dramatiques… Ce n’est pas acceptable que le taux de suicide chez les jeunes Québécois soit aussi élevé ! Je serais très curieuse de voir combien de ces jeunes qui se suicident ou commettent des actes de violence extrême avaient été rejetés, maltraités par leurs compagnons…

À ce sujet, quand vos personnages évoquent les événements de Columbine, l’un d’entre eux affirme que la violence engendre la violence. En tant qu’auteure de polars, en tant qu’auteure de livres destinés à la jeunesse, qui traitent parfois de sujets violents, vous sentez-vous une responsabilité particulière ?

Il est du devoir des écrivains de soulever les questions dont les gens auront à discuter. Je m’en suis vraiment rendu compte avec mes récents romans qui traitaient d’inceste, de pédophilie, etc. Mes livres ne sont pas exempts de violence, mais je ne crois pas que ce soit la littérature qui engendre la violence — j’espère plutôt le contraire. Mon but, c’est que les lecteurs comprennent les phénomènes, qu’ils s’interrogent. Souvent, les problèmes existent parce qu’on les laisse exister; on se voile le visage, on regarde ailleurs. On joue trop souvent à l’autruche.

Depuis Le Collectionneur, la série s’est éloignée des thèmes relevant plus clairement du polar vers des thématiques plus « réalistes », non ?

Oui, Le Collectionneur relevait davantage de la fiction que les romans qui ont suivi et j’ose espérer que le tueur en série demeurera toujours du domaine de la fiction au Québec. Que Maud Graham ait un peu cette âme de travailleuse sociale, ce côté très maternel que l’on sait, m’amène à choisir des sujets plus près du quotidien. Pendant longtemps, les femmes dans le roman policier ont eu des rôles d’hystériques, de blondes évaporées ou de vamps manipulatrices. La réalité d’une femme ordinaire comme Maud Graham, c’est d’essayer de concilier son métier avec sa vie sentimentale, sa vie de tous les jours. Je me suis rapprochée du quotidien, c’est-à-dire les enfants, l’école, la famille. Je n’ai pas à chercher longtemps pour trouver mes sujets longtemps : tout est là.

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