Dans Jardin radio, Charlotte Biron emmène le lecteur sur son onde d’écoute en relatant les conséquences d’une maladie qui met la vie sur pause, crée des angoisses et fait repenser le rapport au corps. Avec son style d’écriture intimiste, l’autrice réussit un tour de force : donner l’impression aux lecteurs qu’ils sont en train d’écouter un balado plutôt que de lire. Avide de retrouver un sentiment d’apaisement à travers la radio, la narratrice porte son attention sur les voix qui s’en échappent et les partage avec nous. Ainsi, le récit tient sa force du fait qu’il est ponctué de diverses interventions ou citations d’écrivaines connues — Susan Sontag, Fanny Britt ou encore Catherine Mavrikakis —, de leurs expériences et de la puissance de leur pensée.

À 24 ans, on vous a diagnostiqué une tumeur à la mâchoire. En quoi votre livre peut-il aider les jeunes adultes à passer à travers la maladie?
Depuis la publication du livre, et même avant, quand j’ai fait lire le manuscrit, j’ai compris que la tumeur n’était pas si importante. Le récit n’est pas focalisé sur ma maladie, mais plutôt sur les contrecoups ou les effets de la maladie dans l’expérience vécue. Ça va même jusqu’à la perception des lieux, du temps, des souvenirs, la façon dont les choses se séquencent entre elles, et l’effet de répétition des journées aussi. C’est une description qui peut rejoindre le deuil, l’expérience de la peine d’amour, des enjeux de santé mentale aussi. Tout le monde traverse ce genre de moments dans la vie. J’ai eu des retours — qui m’ont tellement touchée! — de gens qui sont à la fois très jeunes, qui vivent la maladie, mais aussi de gens beaucoup plus vieux qui ont perdu des proches. Pour moi, le plus beau compliment est de savoir que ça rejoint des expériences distinctes, au-delà de mon âge, du contexte précis de ce que j’ai vécu. J’aime beaucoup l’idée que le livre permette de se parler.

Quelles sont vos attentes sur ce que Jardin radio pourrait apporter à vos lecteurs?
Ce que j’aimais, en écrivant le livre, c’est que je me suis donné le droit de poser des questions aux autrices ou aux créateurs sonores ou aux autres artistes que je mentionne. Je me suis permis d’avoir un rapport très affectif avec eux. J’avais envie que, lorsqu’on traverse le livre, on ne se demande pas : « Sontag, c’est qui? J’espère que je vais comprendre de quoi il est question. » J’avais envie qu’on lise et que l’on comprenne tout de suite pourquoi elle est dans le livre, quelle est la question que je lui pose, et pourquoi je lui pose cette question-là, à elle. J’avais envie que le texte réussisse à dire quelque chose d’intelligent, que ça reste un rapport affectif qui peut toucher n’importe qui. Je trouve souvent que la culture a quelque chose de clivant. Parfois, on a l’impression de se sentir tout petit à côté des écrivains et des écrivaines, ou à côté des gens cités. J’espère que celui qui lira Jardin radio ne se sentira pas en dessous. J’espère qu’il se sentira à côté de moi, qu’il sentira que je lui parle. Il se permettra peut-être ensuite de se sentir intelligent et assez outillé pour entretenir, lui aussi, un dialogue avec des œuvres ou avec des voix.

La sexualité et l’amour sont des thèmes que vous abordez dans votre livre, alors qu’ils sont pourtant rarement présents dans la plupart des œuvres abordant la maladie. C’était important, pour vous?
Pour moi, c’était important de les aborder. Je parle surtout du rapport au corps dans la maladie. Ce que je trouvais important, c’est qu’il y a des discours qui peuvent apparaître comme très féministes ou très bien-pensant qui nous disent de rester naturelles, de ne pas nous soucier de notre apparence. Ces discours peuvent être très aliénants. Personnellement, j’ai trouvé beaucoup plus de réconfort du côté des femmes et des hommes qui se maquillent, qui utilisent les vêtements comme moyen créatif, et qui sont capables de me montrer à utiliser ces choses-là. J’ai trouvé ça beaucoup plus émancipateur que les discours qui nous disent : « Non, mais accepte ton corps tel qu’il est et sois naturelle, de toute façon, ça ne compte pas le corps. » Mais c’est tellement hypocrite! C’est aussi nier la part de création qu’il y a dans notre rapport à l’apparence, qui peut être jouissif et heureux. Je trouvais qu’il y avait un double discours de la société qui faisait la promotion d’une sorte de beauté naturelle qui était très toxique. Je trouve ça important de le nommer.

Quels messages voulez-vous véhiculer à travers votre livre?
Finalement, j’ai l’impression d’avoir fait un livre qui est une fréquence radio. J’avais envie que ce soit un livre dans lequel je parle à distance avec les gens, mais de façon très intime. J’ai reçu des courriels ou des messages de gens qui me disent que ça fonctionne, qu’ils ont l’impression de réellement m’écouter. Je trouve ça magique. C’était ça aussi le but. Des fois, je me suis permis de m’enregistrer, et ensuite de retranscrire ma voix pour qu’on ait l’impression que je parle directement aux lecteurs et aux lectrices.

Photo : © Justine Latour / Le Quartanier

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