Les astres semblent alignés pour Blaise Ndala, qui publie son roman Dans le ventre du Congo (Mémoire d’encrier) en plein Mois de l’histoire des Noirs, alors que son pays d’origine souligne le soixantième anniversaire de son indépendance acquise en 1960. Cela dit, l’envie de lever le voile sur l’histoire du Congo et le récit — fictif — d’une princesse catapultée dans l’un des derniers zoos humains d’Europe germent dans son esprit depuis plus de seize ans.

Dès les premières pages, on constate que l’auteur a fait d’importantes recherches avant d’écrire le moindre mot et on sent qu’il s’est attaqué au projet avec une espèce de respect, voire une perspective quasi solennelle. En entrevue, lorsqu’on lui fait part de l’impression que ce livre est probablement de ceux dont on doit repousser l’écriture, afin d’être prêt artistiquement et humainement pour s’y attaquer, il laisse d’abord planer un bref silence au bout du fil. « C’est bluffant ce que vous dites, car c’est exactement ce qui s’est passé… », raconte l’auteur de Sans capote ni kalachnikov, sacré grand gagnant du Combat national des livres 2019 de Radio-Canada.

Avec un enthousiasme contagieux, Blaise Ndala évoque ensuite l’élément déclencheur qui a mené à son envie d’écrire sur le sujet : une visite avec une amie au Musée de l’Afrique centrale en Belgique, en avril 2004, quelques mois après qu’il a quitté son Congo natal pour étudier le droit. « Elle m’a alors parlé d’un endroit que peu de Belges et de Congolais connaissent, tout près du musée : un lieu où l’on retrouve sept tombes d’hommes et de femmes qui avaient été exposés durant l’Exposition universelle de 1897. Je suis tombé des nues! »

Il a également eu envie d’en savoir plus. Ses lectures l’ont alors informé que les zoos humains se sont multipliés en Europe, entre le XIXe et le milieu du XXe siècle, et que le dernier a été celui de l’Exposition universelle de 1958, où les organisateurs ont à nouveau reconstitué un village congolais. « Ils ont arraché à leurs terres des indigènes, ou des “sauvages” comme on les appelait, pour leur demander de reproduire les mœurs, usages, coutumes, faits et gestes du quotidien en Afrique pour expliquer l’œuvre coloniale. »

D’instinct, l’envie de raconter cette histoire l’a tenaillé, mais l’envie de bien faire les choses a primé. « J’ai pris le temps de digérer ces informations, de faire des recherches et de trouver par quel bout aborder le sujet pour en faire un projet littéraire. J’ai mûri le tout durant près de quatorze ans avant de me lancer. »

Une princesse exilée
Dans son roman, il donne la parole à un personnage fictif, une princesse décrite comme une « calamité contre la paix et la tranquillité » et un « ouragan en gestation » pour le Congo. Une définition qui, selon l’auteur, se veut à la fois lubrique et patriarcale, afin de parler de cette femme à la beauté si frappante qu’elle ne pouvait entraîner que des problèmes pour son peuple. « En raison de son apparence, les sujets de son père, le roi, estimaient que rien ne présageait un avenir paisible tant qu’elle serait parmi eux et que le royaume ne pourrait pas continuer à fonctionner harmonieusement. »

Signe du destin, la princesse aboutit dans le fameux zoo humain, après plusieurs jambettes du destin dont on ne dira rien dans cet article. « Je voulais montrer comment on se retrouve dans un endroit pareil, qui est le summum de la déchéance de l’époque coloniale. »

On découvre le tout, alors qu’elle tente de raconter à sa nièce l’histoire précoloniale du Congo et les affres de la colonisation. En effet, une grande part du récit est racontée avec du recul, plutôt que d’être vécue dans le présent. Une posture narrative privilégiée par l’écrivain, afin d’atteindre deux objectifs : restituer la mémoire d’une culture extrêmement riche et faire le pont entre l’Afrique des anciens empires, l’arrivée des colonisateurs et la réalité du XXIe siècle. « Pour traverser presque deux siècles d’histoire, ç’aurait été trop compliqué d’être dans le narratif du vécu. En plaçant une personne venue à l’Expo 58 dans le cimetière campé au cœur de Bruxelles, ça me permettait de lui faire narrer le chemin parcouru depuis cette période, y compris la mémoire qu’elle avait elle-même reçue des anciens, à une personne qui recueille tout ça et qui peut à son tour témoigner de ce qui se passe aujourd’hui. »

Le roman de la transmission
Quand on écoute l’écrivain raconter cette histoire, qui se déroule entre Léopoldville et Bruxelles, on se demande si le reste des peuples congolais et belges la connaissent. L’écrivain est persuadé que non, et que rares sont ceux qui en savent suffisamment sur la question. « L’histoire coloniale du Congo est très peu enseignée, y compris au Congo. On nous enseigne les grandes lignes, la découverte du fleuve Congo par les explorateurs et les grands traits jusqu’à l’indépendance de 1960, mais sans aller dans les détails. Même les gens comme moi qui ont une bonne éducation ignorent tout des expositions universelles au cours desquelles des Congolais ont été exhibés. »

Ses lectures l’ont alors informé que les zoos humains se sont multipliés en Europe, entre le XIXe et le milieu du XXE siècle, et que le dernier a été celui de l’Exposition universelle de 1958, où les organisateurs ont à nouveau reconstitué un village congolais.

L’épopée des rois précoloniaux et les royaumes anciens sont tout aussi peu enseignés. « Quand on sort de l’école au Congo, on a l’impression que les Belges sont arrivés, qu’ils ont tout conquis et qu’on s’est couché, mais la réalité, c’est qu’il y a eu beaucoup de combats et de résistance. En gros, j’ai voulu très modestement essayer de compenser cette absence de connaissance et de vulgarisation avec mon livre. »

On ne peut faire autrement que de se demander si celui-ci sera lu par ses compatriotes. « Mon agent littéraire m’a dit que c’était essentiel que ce livre soit lu par les Congolais. C’est l’une des rares fois où cette histoire est restituée et contée dans une œuvre d’art, mais en plus, par une voix congolaise. Il va falloir qu’un éditeur africain et congolais le sorte en français et en lingala. On y travaille. »

Photo : © Pascale Castonguay

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