Trois facettes de Don Winslow

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On devrait prescrire les livres de Don Winslow contre la déprime. Avec son humour de situation, ses héros rigolos qui ne se prennent pas au sérieux et ses dialogues pleins d'esprit et de clins d'œil, dans chaque nouveau livre Winslow réussit à nous embarquer dans les histoires les plus extravagantes. On rit, certes, mais on lit aussi furieusement parce que ses histoires sont toujours rythmées, mouvementées, haletantes. Pour la sortie de son dernier livre, Du feu sous la cendre, le libraire est allé dénicher Winslow en Californie, où il habite. S'en est suivie une conversation à bâtons rompus, entrecoupée de pronostics pour les séries de la coupe Stanley, pendant laquelle notre collègue Antoine Tanguay (qui a réalisé l'entrevue téléphonique en anglais) semblait s'amuser comme un petit fou. Portrait de cet auteur sérieusement drôle à travers ses trois héros fétiches.

Neil le cynique

Winslow a d’abord été connu pour sa série des  » Neil Carey « , publiée dans la collection Série noire. Neil est orphelin. Passionné de littérature anglaise du XVIIIe siècle, il a été élevé et initié au métier de privé par Joe Graham, super enquêteur au service  » des amis de la famille « , en fait une banque d’affaires surpuissante qui doit tirer certains des ses clients de mauvais pas. Neil est toujours embringué malgré lui dans des histoires saugrenues : dans Cirque à Picadilly, il doit récupérer la fille d’un candidat au sénat perdue dans l’enfer de la drogue londonien ; Le Miroir du Bouddha l’entraîne sur les traces d’un chercheur de pointe tombé amoureux d’une Chinoise, mission où il se frottera aux triades, à la CIA et aux services secrets chinois. On le retrouve en outre à la recherche d’une ex-vedette du burlesque de 80 ans qui a décidé de boire le reste de sa vie durant à Las Vegas dans Noyade au désert, pour ne citer que trois titres. Antihéros par excellence, Neil Carey est le champion de l’autodérision. Il essaie de tirer au flanc à chaque nouvelle mission, mais cède toujours aux pressions de son père adoptif. Ce contemplatif cynique plongé dans l’action malgré lui est le moteur principal de la série :  » L’intrigue s’adapte toujours à la personnalité de mon personnage principal et non l’inverse. J’accumule tous les jours une foule d’éléments qui me permettent d’enrichir mes personnages. Neil Carey est celui qui me ressemble le plus, car c’est celui qui a la vision du monde la plus cynique « , aux dires de Don Winslow.

Tim la guigne

Le héros de Mort et vie de Bobby Z., Tim Kearney, est un ex-soldat, paumé et malchanceux. Non content de se retrouver en prison suite au hold up raté d’un garage, il tue par malchance un Hell’s Angels en prison. Pas mieux que mort dedans comme dehors, il se voit proposer un marché par un agent des stupéfiants : remplacer un certain Bobby Z., dont il est le sosie presque parfait, pour un échange de prisonniers. Petit détail : Bobby Z. est un trafiquant de drogues notoire malencontreusement mort entre les mains de la police. Peut-il vraiment refuser ? Dans sa nouvelle peau, il se découvre une maîtresse canon et un jeune fils attachant qui n’a presque jamais vu son père, puis beaucoup, beaucoup d’ennemis. Commence une cavale époustouflante… et sanglante. Un roman délirant, vif et hilarant.  » Je ne crois pas que je puisse écrire un jour un livre sans humour. On peut même rire des situations les plus noires et j’utilise mes personnages pour accentuer ce coté humoristique. L’humour peut être un mécanisme de défense très efficace contre la peur. On rit bien à des funérailles ! Dans mon métier d’enquêteur, j’ai connu beaucoup de criminels endurcis qui m’ont fait énormément rire, qui avaient un sens de l’humour très aiguisé. Dans le monde de la drogue par exemple, il y a des personnages si excessifs, si excentriques, qu’ils en deviennent tordants. Tim Kearney est un de ceux-là : il n’a plus rien à perdre et risque le tout pour le tout. Il m’a permis de me défouler. J’aime rire ! je ne peux pas rester sérieux plus de deux minutes « , d’ajouter l’écrivain.

Jack l’obstiné

Dans Du feu sous la cendre, Jack Wade est un passionné de planche à voile. Il vit et travaille pour pouvoir se faire porter par la vague. C’est également un ancien policier, convaincu de parjure (pour sauver un témoin), maintenant spécialiste des incendies criminels pour une compagnie d’assurances. Il connaît son boulot, c’est une véritable vocation. Aussi, quand la police essaie d’étouffer un cas d’incendie qu’il considère criminel, il ne lâche pas le morceau ! L’enquête de Jack est donc minutieuse et on en apprend beaucoup sur la  » science du feu  » sans que cette  » pédagogie  » ne nuise à l’action.  » J’ai travaillé longtemps comme enquêteur pour une compagnie d’assurances. Je connais donc bien les techniques d’investigations. Je nourris mes romans de mon expérience. Le métier d’enquêteur est difficile, stressant, solitaire. On se bute constamment au mensonge et à la dissimulation et on ne peut pas raconter sa journée à sa femme en rentrant le soir ! « 

La prime est (trop) vite réclamée par le propriétaire de la maison, Nick Vale, dont la femme a péri dans l’incendie. Petit à petit, l’enquête de Jack montre que Nick Vale, promoteur immobilier en façade mais chef d’un clan de la mafia russe en réalité, avait de bonnes raisons de vouloir tuer sa femme. Mais le Russe a bonne réputation, beaucoup d’amis très influents et des arguments frappants, dont deux gardes du corps entièrement dévoués et des hommes de mains vietnamiens.  » La Californie est un endroit magnifique mais aussi salement corrompu. La plupart des événements racontés dans le livre se sont produits à un moment ou un autre. La corruption est particulièrement forte en ce qui a trait au marché immobilier. La mafia russe, très présente et structurée, s’est concentrée sur les crimes financiers tandis que la mafia italienne, devenue moins influente, s’occupe de drogues et de jeu. « 

Jack est bientôt le seul, avec son ex-amie, sœur de la victime, à vouloir continuer l’enquête. Même sa compagnie est prête à payer, de peur de perdre un procès inévitable. Courage ou simple obstination ? Rien n’est jamais simple avec Winslow ! On rit le plus souvent franchement, mais parfois le rire devient jaune et Du feu sous la cendre n’y fait pas exception, avec une finale au goût de cendre !  » Le propos de mon prochain livre (The Power of the Dog) couvrira une trentaine d’années et portera sur le trafic de la drogue aux États Unis. C’est mon plus gros projet jusqu’à maintenant. Au lieu de mettre l’accent sur un personnage, j’en ai une douzaine d’importants. L’humour sera toujours présent. Je décris une scène, par exemple, ou des gens attaquent le ranch d’un magnat de la drogue qui possède un zoo. Une scène d’action en plein milieu d’un troupeau de girafes, vous imaginez ! « 

Jack l’obstiné, Tim la guigne et Neil le cynique sont tous un peu paumés au départ, mais se révèlent dans l’action plus coriaces que l’on aurait cru. Ils possèdent tous trois une sorte de désinvolture à la Winslow qui leur permet de se sortir des situations les plus désespérées avec un petit sourire d’excuse. Rapides, drôles, efficaces et bien documentés les livres de Winslow sont un délice pour le lecteur.

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