Rencontre avec Aurélien Masson : éditeur de la « Série Noire »

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Il a un chandail des Ramones rouge et noir, les cheveux désinvoltes, des tatous sur les bras et « l’estomac qui fait des vagues », en raison d’une soirée bien houblonnée. Il est attablé au café Krieghoff, à Québec, et maintient l’attention de son auditoire formé de libraires avec une authenticité désarmante. Lui, c’est Aurélien Masson, éditeur de la collection « Série noire » chez Gallimard, de passage au Québec pour célébrer les 70 ans de cette mythique collection.

« Je ne travaille pas chez Gallimard, mais dans un bar. On ne fait pas de l’édition pour travailler dans des bureaux! », s’exclame-t-il gaiement, lançant, mi-moqueur mi-réaliste, que les grandes portes en bois qui donnent sur les bureaux de l’éditeur centenaire sont aussi imposantes qu’oppressantes. Mais attention, il ne faudrait pas dresser d’Aurélien Masson un portrait unidimensionnel d’un rockeur au foie de plomb. Aurélien Masson, c’est également celui qui fait un travail d’édition de fond avec ses auteurs (« Mon cœur bat dans la construction de textes »); celui qui créé une relation durable avec ses auteurs, lesquels deviennent pour la plupart de véritables amis (pour preuve, ses vacances, il les a passées avec le grand DOA); celui qui ose couper plus de 200 pages à un roman qui en faisait 300 pour créer le petit chef-d’œuvre qu’est Hors la nuit, de Sylvain Kermici; celui qui a édité Patti Smith et Cronenberg dans la série Blanche; celui qui respecte, d’abord et avant tout, le travail de ses auteurs en disant ceci : « Je suis un éditeur qui, avant de penser à mes livres, pense à mes auteurs. Je les veux heureux ».

« Tous les auteurs que j’édite, ce sont des auteurs viscéraux, explique-t-il. Je traite avec des artistes qui essaient de donner un sens à leur vie en écrivant, qui en ont besoin, pas avec des professionnels du livre dont l’objectif est d’abord de vendre. ». Visiblement, celui qui a vécu aux États-Unis, lisant sur les transats des polars dont il se délectait, et qui a débuté comme lecteur pour Gallimard où, tous les lundis, il venait emplir un sac de manuscrits à annoter a fait un bout de chemin incroyable. Devenu assistant du directeur, on lui a offert le poste de directeur en 2004. Et déjà en 2005, il décide de faire de grands changements : tout d’abord, la « série noire » passera du format poche au grand format, puis la numérotation de chacun des titres sautera, dans le but « d’éliminer les collectionneurs et de faire revenir les lecteurs », explique celui qui se désolait de voir qu’un roman pouvait être désigné par son numéro de série plutôt que par son titre unique ou son auteur. De plus, le nombre de parutions est passé, en dix ans, de cinquante livres par an à moins de quinze, toujours dans l’optique de travailler les textes, de prendre le temps d’en faire de grands romans. Parce que oui, Aurélien Masson souhaitait « faire passer cette littérature, dite de gare oupulp, à un niveau de vraie littérature ». Pour lui, il faut voir Nesbo ou Connelly comme des portes d’entrée vers ailleurs, vers un autre type de romans noirs qui osent des questionnements importants.

« Le cœur de la ‘’Série noire’’ est rapidement devenu le roman noir », explique monsieur Masson, qui souhaite offrir des livres qui s’ouvrent sur le monde, qui osent la critique sociale, qui montrent du doigt le mal inhérent. « On fait des livres qui vont gratter là où ça fait mal », dit-il. C’est pourquoi dans les personnages de la « Série noire », on trouve autant de staliniens que d’apolitiques, autant de gauchistes à dreadlocks que de communistes; de multiples personnages pour illustrer un monde – le nôtre – aux multiples facettes, parfois belles, parfois moins. « J’ai envie de stimuler les gens, pas juste de leur bercer la tête. Je ne cherche pas un commissaire de la pensée, je cherche des livres qui vous provoquent », ajoute-t-il.

Pas de doute, il a convaincu tous les convives autour de la table!

 

Pour découvrir plus en profondeur l’historique de la collection « Série noire », vous êtes conviés à une exposition, qui a cours jusqu’au 6 novembre à la Bibliothèque Gabrielle-Roy de Québec :

 

DU 26 SEPTEMBRE AU 6 NOVEMBRE
La Série Noire fête ses 70 ans! 

La célèbre collection de romans policiers a été créée chez Gallimard par le traducteur Marcel Duhamel. D’abord composée de titres anglais et américains, elle s’est ensuite largement ouverte aux grandes voix françaises du polar puis à d’autres territoires de prédilection du genre. Parmi ses 2885 titres parus à ce jour, de nombreux ont été adaptés au cinéma, donnant lieu à des films mémorables.

Cette aventure est aussi celle de la métamorphose d’un genre porté par plusieurs générations d’auteurs, tous animés par une certaine conscience de leur temps.

La célébration des soixante-dix ans de cette collection emblématique offre l’occasion d’évoquer ici son histoire

 

 

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