En cet âge du binge watching de séries télévisées, l’écrivain Maxime Houde s’est adonné, lui, à un visionnement en rafale de films noirs qui a donné naissance à La vie rêvée de Frank Bélair, un roman-hommage à un genre qu’il aime au point d’en avoir fait le sien.

Ce lecteur de Raymond Chandler, quand il a mis la main à l’écriture, s’est en effet spontanément tourné vers les années 40. Il y a jusqu’ici planté, au cœur du Red Light montréalais, sept enquêtes du détective privé Stan Coveleski, un peu son Philip Marlowe à lui. Un style, une période qu’il aime. Mais. « Écrire des romans situés dans le passé demande énormément de recherche, et ça, c’est plus chiant qu’autre chose », laisse tomber, sourire en coin, cet aide-bibliothécaire qui n’est pas vraiment un rat de bibliothèque. « Mais on dirait que j’ai toujours été attiré par les histoires avec des hommes portant des chapeaux et armés de revolver. » Maxime Houde possède un humour bien à lui, pince-sans-rire, jouant avec le deuxième degré et un peu plus.

Le lecteur de romans noirs s’est ainsi fait écrivain de romans noirs. C’est le travail en bibliothèque qui, indirectement, lui a ouvert la porte sur le film du même genre : des bouquins ont été écrits sur le sujet, Maxime Houde les a découverts… et s’est mis à dévorer ces longs métrages aujourd’hui restaurés, mais qui restent, pour beaucoup, méconnus. « Le film noir, c’est bien plus que Casablanca et The Big Sleep. Il y a aussi Kansas City Confidential, Out of the Past et un paquet d’autres. »

De ce gavage télévisuel a germé l’idée d’un roman-hommage au film noir.

La vie rêvée de Frank Bélair est exactement cela. On le voit instantanément : la page couverture du livre, signée Gregory Fromenteau (l’une des plus réussies des éditions Alire), est inspirée des affiches de ces longs métrages mettant en vedette Humphrey Bogart et compagnie.

L’hommage se poursuit dans la scène d’ouverture, que le romancier décrit comme « un long travelling de début de film, un bon 10 minutes avec le générique qui défile ». Frank Bélair franchit la porte de son cabaret, « note le vestiaire qui est sens dessus dessous, pénètre dans la salle de spectacle, voit son assistant travailler au décor, sort pour parler à une des danseuses. Là, le camion livrant les costumes arrive… »

Se racheter
Les lieux défilent. Les personnages apparaissent, laissant déjà pointer leur personnalité. Avec, en tête, Frank Bélair, un cas d’école dans ce type d’univers : « Un gars qui est un peu un trou d’cul, mais qui essaie de racheter une mauvaise conduite, de réparer une gaffe qu’il a faite. » Les choses (et le mec) ont évolué au fil de l’écriture et du visionnement de longs métrages, mais l’essence est restée.

Frank Bélair, donc, a épousé son amour de jeunesse, avec qui il a un enfant. Son royaume, c’est le Blue Dahlia, le cabaret qu’il fait rouler un peu (beaucoup) grâce à un caïd qui assure sa protection et avec qui il a des liens bien plus que de surface. Ils ont ce qu’on appelle « une histoire commune ».

La structure de La vie rêvée de Frank Bélair se fait ainsi, à son tour, hommage au noir. Pas les romans – « Ce que j’ai lu de Chandler est très linéaire : on présente un problème à Marlowe, il le règle en deux ou trois jours en se mettant les pieds là où il ne faut pas et en se faisant défoncer la gueule une couple de fois » –, mais les films : « Ils commencent, puis il y a un flash-back, retour dans le présent, autre flash-back… et, parfois même, flash-back dans un flash-back. » Il en va ainsi dans le nouveau Maxime Houde, le passé de Frank éclairant son présent.

Enfin, pour insister sur l’idée de film, l’auteur a délaissé la narration à la première personne, à laquelle il s’adonne en compagnie de Stan Coveleski – héros de ses précédents romans –, et qui est une forme classique du roman noir, afin d’opter pour la troisième. Un narrateur qui place le lecteur à l’extérieur de l’histoire, comme le spectateur devant le long métrage.

« Ça a été une difficulté, admet-il. Pour la contrer, j’ai regardé plusieurs fois certaines scènes de films pour écrire certaines scènes du livre. » Il évoque ici le cambriolage qui tourne mal : « C’est basé sur un moment de High Sierra de Raoul Walsh, le long métrage qui a vraiment lancé la carrière de Bogart. J’ai étudié cette scène pour voir comment elle était construite et filmée. » Ça l’a aidé à construire et à écrire la sienne, avec ses changements de points de vue et sa gradation dans la tension.

Tromper
On le sent, le romancier a eu un plaisir fou à « tromper » Coveleski, rencontré pour la première fois dans La voix sur la montagne. Auquel il va revenir. Le détective privé n’est ni son Poirot ni son Holmes, il n’a pas l’intention, comme l’ont voulu Agatha Christie et Arthur Conan Doyle avec leurs personnages, de lui faire passer l’arme à gauche. « Stan et moi, nous sommes comme un vieux couple. Parfois, il est bon de se séparer un peu. »

Il a toutefois tenté de le faire apparaître dans La vie rêvée de Frank Bélair. « Ça aurait permis de fouiller un peu son passé, lorsqu’il était enquêteur à la Sûreté. Voir comment il fonctionnait avant qu’il ne quitte son poste. J’ai finalement décidé de ne pas suivre cette piste parce que le récit ne s’y prêtait pas. »

Mais, que se rassurent les fans de Coveleski, d’autres aventures attendent le détective privé. Même si Maxime Houde l’a mis de côté dans Derniers pas vers l’enfer (2014). Et que, ces jours-ci, tout en le retrouvant régulièrement à sa table de travail, il s’amuse aussi dans le Montréal des années 60-70 : « L’Expo s’en vient, le Red Light a été rasé pour faire place aux Habitations Jeanne-Mance, Jean Drapeau a des idées de grandeur, il y a un engouement pour tout ce qui est moderne. Et Montréal est la capitale quasi mondiale du cambriolage. »

Un (autre) monde à explorer et à écrire. Pas pour rien si Maxime Houde s’est pointé à l’entrevue avec, sous le bras, un livre sur Jacques Mesrine.

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