Maryse Rouy : Procession de foi

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Été 1240. Partie de Montpellier, une caravane de pèlerins chemine vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Une paralytique, une fille de joie, des soldats, un banquier, des dominicains et des cathares dissimulent, sous de dévotes intentions, le véritable but d'un voyage qui, du reste, aurait pu se dérouler sans ambages. Seulement voilà : l'un des leurs, trouvé au petit matin le coup lacéré, n'avait fait surgir la menace du loup-garou. Qui est le coupable ? Petit bréviaire du crime parfait, commis au nom de la croix ou du vice.

En cette soirée pluvieuse d’automne, la voix pétillante de Maryse Rouy chante comme les cloches de Notre-Dame. C’est que l’auteure, originaire d’un petit village du Comminges et spécialiste de la France médiévale, recevra d’ici quelques jours le Prix Saint-Pacôme du roman policier pour Au nom de Compostelle. Certes emballée par l’honneur, elle remarque toutefois que les lecteurs l’associent plus au roman historique qu’au polar. Et elle n’a pas tort. Révélée avec Azalaïs ou La Vie courtoise et sa suite, Guilhèm ou Les Enfances d’un chevalier, Rouy dépeint l’amour courtois et la chevalerie entre les XIe et XIIIe siècles. Dans Les Bourgeois de Minerve et son dernier opus, elle se penche sur le catharisme, aussi appelé albigéisme, et livre deux œuvres finement documentées dont les intrigues tournent autour d’un ou plusieurs meurtres. En aparté de ce cycle médiéval : des ouvrages pour la jeunesse et Mary l’Irlandaise, qui se déroule au Québec pendant le XIXe siècle.

En France, au XIIe siècle, l’Inquisition traque les cathares ou « parfaits », taxés d’hérésie car réfutant l’Incarnation de Dieu et administrant leur propres sacrements. Sur la lancée des Bourgeois de Minerve, Au nom de Compostelle retrace de nouveau cet important mouvement évangélique : « J’ai choisi une route qui traverse le pays cathare pour évoquer ce sujet, mais je désirais avant tout parler du pèlerinage. Je viens d’une région où passent certains des chemins menant à Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils font donc partie de mon imaginaire et j’ai toujours voulu les parcourir » Pour Maryse Rouy, la piqûre du Moyen Âge survient lors d’un retour aux études. Un cours d’ancien français ravive son intérêt pour la langue occitane et l’incite à faire une maîtrise sur la poésie des troubadours. À la fin de sa formation universitaire, Azalaïs ou La Vie courtoise est en cours d’écriture. Précédées de notices historiques et de cartes géographiques, enrichies de lexiques et de glossaires, ses œuvres situent le lecteur dans le temps sans tomber dans l’écueil de la leçon d’histoire : « Quand on lit un livre, on ne va pas forcément voir dans une encyclopédie. Il reste toutefois difficile de ne pas saturer le lecteur : c’est un des dangers du roman historique », précise la romancière. Les recherches préparatoires à la rédaction de son dernier livre lui ont entre autres révélé que les caravanes de pèlerins n’était pas que composées de pieux personnages : parmi elles se glissaient les pires spécimens de la plèbe, peu concernés par le salut de leur âme. À cet égard, Au nom de Compostelle détonne par rapport à ses homologues grâce à la représentation fidèle de ces sentiers poussiéreux mythifiés dans l’imaginaire catholique.

Outre des auteurs-phares tels Maurice Druon, Jeanne Bourin et Umberto Eco, Maryse Rouy, qui enseigne en cinquième année du primaire lorsqu’elle ne prend pas la plume, se gorge de romans policiers : « Dans le monde médiéval, il n’existait pas d’enquêteur au sens moderne du terme, mais on n’ignorait ni le crime ni le danger, ni l’intolérance ni la suspicion. J’ai mis en évidence cet aspect de la société médiévale par le recours à des formes de récits issus du roman policier. Alors que le défi du roman historique est de rendre compte d’un monde révolu sans anachronismes, les contraintes du roman policier viennent du fait qu’il y a des personnages obligés : une victime et un coupable, un suspect et un enquêteur. »

C’est l’une des nombreuses superstitions issues du Moyen Âge qui a inspiré Maryse Rouy pour créer son meurtrier ou, du moins, son suspect : « À l’époque, les gens étaient confrontés à des peurs terribles. Le personnage du loup-garou, par exemple : même l’Église ne contestait pas son existence ! Elle expliquait cette croyance populaire à partir d’une théorie fumeuse de Saint-Augustin : la  » modification illusoire « . Ce personnage m’est apparu proche du tueur en série moderne ; ils ont des points communs, dont la ritualisation. Le tueur en série est reconnu comme tel car il fait les choses de la même façon : c’est la signature du crime. Le loup-garou représente un peu la même chose : une nuit de pleine lune, à minuit, des marques de griffes… », explique Maryse Rouy, qui s’insurge contre la tendance actuelle à idéaliser le Moyen Âge, une époque où la vie, en réalité, était très dure. Mais la littérature est ainsi faite qu’elle nous permet de profiter en toute quiétude de la découverte d’un monde difficile ; par le truchement des romans de Maryse Rouy, libre à nous de visiter les majestueux châteaux sans en supporter la froide humidité !

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