M.C. Beaton : Mystères à l’anglaise

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Elle a le charme de Miss Marple, la ténacité de Columbo et l’arrogance de Sherlock Holmes : Agatha Raisin est la nouvelle détective amateure des bucoliques campagnes anglaises. Imaginée par M.C. Beaton il y a plus de vingt-cinq ans, la voilà qui débarque enfin au Québec grâce à l’excellente traduction des deux premiers tomes de la série éponyme (qui en compte plus de vingt!). Phénoménal succès en Angleterre, « Agatha Raisin enquête » est autant une invitation au voyage dans la contrée des vallées et des moutons qu’une charmante comédie noire bien ficelée.

« Agatha Raisin et moi partageons notre vie depuis maintenant un quart de siècle. Vous noterez qu’elle ne vieillit pas. J’aimerais pouvoir en dire autant de moi! », nous explique par courriel l’auteure, qui a dorénavant passé le cap des 80 ans. En posant un regard derrière elle, M.C. Beaton peut savourer une réussite notoire : bien qu’Albin Michel traduise tout juste ses romans, le succès n’est pas nouveau. Uniquement pour cette série, plus de 15 millions d’exemplaires ont été vendus dans le monde et une série télé en a été tirée en Angleterre. Oui, disons-le : il était temps que nous la découvrions!

Avec « Agatha Raisin enquête », M.C. Beaton offre un faux roman policier et un véritable tour guidé des Cotswolds. Les détails géographiques et les descriptions des paysages, des mentalités et des commerces (pubs, hôtels, restaurants) sont juste assez nombreux pour partager avec nous tout l’aspect bucolique de cette région rurale méconnue : « Les Costwolds, dans les Midlands de l’Angleterre, sont sans nul doute l’une des rares merveilles du monde issues de la main de l’homme, avec leurs pittoresques villages de maisons en pierre dorée, leurs jolis jardins, leurs petites routes sinueuses et verdoyantes et leurs églises anciennes. » Mais qu’à cela ne tienne : les décors enchanteurs n’amoindrissent en rien la qualité des intrigues bien ficelées et le plaisir du lecteur à être tenu en haleine. Celle qui, malgré la qualité de sa plume, dit humblement n’avoir jamais souhaité être une auteure littéraire, mais plutôt une auteure divertissante, a effectivement bien compris comment jouer sa partition : une héroïne bien trempée, des meurtres pas trop méchants, des personnages secondaires archétypaux savoureux.

Rat de ville
Agatha Raisin est une jeune retraitée des relations publiques de 53 ans – elle a donc du flair, sait séduire ses interlocuteurs en plus de connaître les secrets de la rhétorique – qui ne tient ni en place ni sa langue dans sa poche et qui met son nez là où il ne faut pas. « Agatha dit toutes ces choses impolies que j’aimerais dire mais que, heureusement, je garde pour moi », nous confie sa créatrice. En femme moderne, elle aime bien se griller une cigarette de temps en temps, aller au pub boire une pinte avec les hommes du village et flirter un brin. Après tout, une célibataire de son âge a encore le droit de croire à l’amour! Lorsque cette ex-Londonienne achète le cottage de ses rêves à Carsely, elle est loin de se douter qu’il lui serait si difficile de s’intégrer au village, si facile de s’y ennuyer, et, surtout, elle n’aurait jamais cru que sa personnalité extravagante pourrait ne pas plaire à tous. Afin de créer des liens dans ce village où les ragots courent plus vite que les lièvres, elle décide de participer au concours annuel de la meilleure quiche. Mais, contrairement à Maud Graham, l’héroïne gourmet de Chrystine Brouillet, Agatha sait à peine dans une cuisine utiliser un four à micro-ondes. Ainsi, elle décide qu’il faut ce qu’il faut pour s’intégrer : elle achètera une quiche à Londres, tout simplement. Mais voilà, au lendemain du concours, le juge est retrouvé mort, une part de quiche d’Agatha dans l’estomac. Afin de sauver son honneur, elle décidera de mener l’enquête que les policiers ont trop rapidement classée comme accident.

Comme son héroïne, M.C. Beaton était une femme urbaine. Mais un jour, pour se rapprocher de l’Université d’Oxford pour son fils, celle qui fut libraire, journaliste et éditrice emménage dans les Costwolds. Le choc d’Agatha – la solitude, les us et coutumes qui semblent dater de 100 ans, cette première gentillesse feinte –, elle l’a donc vécu. « Au début, je me suis dit : “Mais qu’ai-je fait?” J’ai toujours été une fille de la ville et mes os sont faits d’asphalte! Mais j’y étais, au cœur des vallées des Costwolds avec ce brouillard automnal qui s’accroche au sol. » Il faut croire que, comme Agatha, elle a fini par se faire à l’idée puisqu’elle s’est mise à écrire cette série et demeure toujours dans son cottage. Mais il n’y a pas que cette expérience qui la lie à son héroïne : « Le premier livre, La quiche fatale, est inspiré de quelque chose que j’ai moi-même fait. Lorsque mon garçon était à l’école, son professeur m’a demandé d’apporter un de mes “splendides plats cuisinés maison”. Je n’allais pas décevoir mon fils en avouant que je ne pouvais rien cuisiner. J’ai donc acheté une quiche aux épinards et l’ai emballée façon maison. » La quiche, plutôt que d’être mortelle comme celle d’Agatha, fut un grand succès!

Mystérieuse auteure
Avant de terminer, on doit vous avouer un petit quelque chose : M.C. Beaton est en fait un pseudonyme. « Lorsque j’ai écrit ma première histoire de détective – j’avais déjà écrit plus de 100 romances historiques –, mon éditrice new-yorkaise m’a demandé de trouver un pseudonyme. Elle disait que les critiques pourraient penser qu’une auteure de romans d’amour ne pouvait pas écrire d’histoires de détective. J’ai donc choisi le mien grâce à une vieille ballade écossaise : “Yestreen the Queen had four Maries, The nicht she’ll hae but three./There was Marie Seaton, Marie Beaton, Marie Carmichael and me.” Je leur ai dit de choisir. Ils ont pris Beaton et ont ajouté M.C. pour Marion Chesney, mon nom de jeune fille. »

Beaton ou Chesney : c’est la reine du polar bucolique!

Photo : © Louise Bowles

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