Kenneth J. Harvey: Fonctions vitales

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Le petit village de Bareneed, à Terre-Neuve, est le théâtre de phénomènes aussi inexplicables qu'inquiétants. Un mal inconnu affecte une part grandissante de la population, des morts partagent le quotidien des vivants et des poissons se mettent à voler... Échoués loin dans les terres, leurs corps moites et froids semblent contaminés, malades. Est-ce la nature qui se dérègle ou l'homme qui n'arrive plus à la comprendre?

En dépit de la reconnaissance mondiale dont jouit Kenneth J. Harvey, La Ville qui cessa de respirer, son 14e roman, est le premier à être traduit en français. Il faut dire que le livre a reçu un Raddall Atlantic Fiction Award, que J. M. Coetzee lui-même (Prix Nobel de littérature 2003) en a vanté les mérites, et qu’il fera bientôt l’objet d’une adaptation cinématographique. Grâce aux éditions Flammarion Québec, les lecteurs francophones pourront enfin le découvrir à leur tour.

Un père et sa fille, Joseph et Robin, passent à Bareneed une partie de leurs vacances d’été. Mais alors que Joseph flanche pour sa triste voisine et que sa fille se lie d’amitié avec une morte (oui, oui), les villageois commencent à respirer avec autant de difficulté que des poissons hors de l’eau. L’armée est dépêchée sur les lieux, mais que peut-elle faire? À mesure que se déploie l’inquiétante intrigue, le lecteur découvre la vie terne et sans issue d’un village de pêcheurs privés de travail par l’épuisement des ressources maritimes. Ce qui semble aller de soi, la vie elle-même et la respiration qui la maintient, perd à leurs yeux de son évidence… Seuls quelques excentriques (dont la vieille Eileen Laracy, encore tout imprégnée de folklore et communiquant régulièrement avec les morts) semblent croire encore à la vie.

«L’idée du roman m’est venue alors que je souffrais d’une bronchite, explique Harvey. Je montais l’escalier, chez moi, et quand j’ai atteint le dernier étage, je n’avais plus aucun souffle. Je me suis littéralement effondré sur mon lit. Affalé, luttant pour respirer, j’ai soudain pensé:  » Et si on devait se concentrer pour respirer? Et si la respiration n’était pas automatique et que, pour survivre, nous devions nous en préoccuper en permanence?  » C’est de ce petit incident qu’est né La Ville qui cessa de respirer

On a tous déjà éprouvé cette impression désagréable de ne plus s’appartenir, d’être étranger à soi-même. Le roman de Harvey nous met en garde contre la possibilité que ce sentiment se transforme en véritable épidémie. «Notre société génère énormément d’anxiété, dont on se distrait par des divertissements superficiels, déplore l’écrivain. La science est incapable de fournir une réponse satisfaisante à la question « qui sommes-nous? », parce qu’elle nous entraîne toujours plus loin de notre nature. Nous perdons même notre aptitude à raconter des histoires, nous oublions nos mythes, notre folklore… Or l’imagination est nécessaire au bonheur.» Ainsi, flirtant toujours avec l’imaginaire du fantastique et de l’horreur, Kenneth J. Harvey a visiblement tout pour être heureux.

Bibliographie :
La Ville qui cessa de respirer, Flammarion Québec, 528 p., 29,95$

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