Karine Giebel : Juste avant l’Enfer

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À l’autre bout du fil, la voix de l’écrivaine française est pétillante et lumineuse. Qui pourrait croire que Karine Giebel met en scène des histoires d’une noirceur à glacer le sang? Pourtant, on ne peut sortir indemne de son dernier roman, tellement il trace un portait sombre et angoissant de la nature humaine. Êtes-vous prêts à franchir le seuil du Purgatoire des innocents?

L’auteure ne s’en cache pas, elle n’est pas friande du polar traditionnel. C’est pourquoi vous ne trouverez aucun enquêteur bourru dans Purgatoire des innocents (Fleuve noir). En fait, vous ne trouverez aucun enquêteur tout court. Karine Giebel plonge ses lecteurs dans l’intimité des méchants et de leurs victimes, disséquant leurs psychologies tel un médecin légiste de la pensée. « C’est ce qui m’intéresse dans l’écriture, construire la psychologie des personnages », explique l’écrivaine de passage au Québec à l’occasion de la deuxième édition des Printemps meurtriers de Knowlton qui commence le 17 mai.

La psychologie humaine est donc au cœur du roman qui s’amuse à effriter la frontière invisible entre les mauvais et les gentils. « Je n’aime pas les personnages manichéens », en convient la Varoise. Les quatre braqueurs de banques qui ont trouvé refuge dans une petite fermette isolée et qui font vivre un cauchemar à la propriétaire des lieux ont l’étoffe des personnages antipathiques. Pourtant, ils ont bientôt l’air des anges à côté du psychopathe qui séquestre deux adolescentes dans ladite demeure. Sans prévenir, l’histoire prend une tournure inattendue. Adieu pronostics et autres présomptions; lecteurs, vous n’aurez pas raison de la fin. « Je ne le fais pas forcément pour déstabiliser le lecteur », s’en défend l’auteure, tout en ajoutant « qu’il faut bien l’étonner, le surprendre, lui donner le goût de tourner les pages. »

Revenons à ce psychopathe qui est la source d’un profond malaise de lecture, car nul ne peut éprouver de confort à partager l’intimité d’un homme de cette espèce. Néanmoins, Karine Giebel avance, décrivant ses manœuvres, ses victimes. « Je sais que ça étonne parfois certains qu’une femme aille aussi loin, qu’elle écrive un roman aussi noir, mais je ne comprends pas pourquoi. Pourquoi m’empêcherais-je d’aborder des sujets dérangeants parce que je suis une femme? Les seules limites que je m’impose, c’est de ne pas mettre de violence gratuite, de gore. La violence doit toujours servir la psychologie du personnage. »

« Je me mets aussi dans la peau de la victime. Je ne fais pas juste présenter un tueur. Je vais de l’un à l’autre », poursuit-elle. Ainsi, le lecteur partage la douleur d’une mère qui meurt petit à petit d’attendre des nouvelles de sa fille disparue, l’angoisse des deux adolescentes qui redoutent ce qui les attend, la peur de la complice (car le psychopathe n’agit pas seul) qui éprouve des sentiments inattendus… Il s’expose, tel un nerf à vif, à une vague déferlante d’émotions puissantes. « Je ne suis ni psychiatre ni psychologue, mais j’ai cette facilité à me glisser dans la peau d’un personnage, un peu comme le ferait une actrice de cinéma », répond l’auteure lorsqu’on lui demande d’où lui vient toute cette empathie.

Une autre caractéristique de l’œuvre de Karine Giebel consiste à mettre en scène des personnages féminins très forts, qui se dérobent à l’éternelle figure de victime. « J’aime bien inverser les schémas classiques et donner un autre rôle aux femmes que celui de victime. En fait, j’aime leur donner un rôle assez fort », renchérit-elle. Donc, de la même manière que les méchants peuvent devenir les gentils, les victimes peuvent s’avérer d’étonnantes tortionnaires… 

Sur ce, il ne vous reste plus qu’à lire Purgatoire des innocents, si vous souhaitez y voir enfin clair. Âme fragile, s’abstenir.

L’auteure assistera à deux tables rondes durant le festival de littérature policière Les printemps meurtriers de Knowlton. La rencontre du samedi 18 mai aura lieu à 14 h 30 et portera sur le thème « recherche et fiction », tandis que le dimanche 19 mai à la même heure il sera plutôt question de « mourir ici et ailleurs ».

Crédit photo : Melania Avanzato

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