James Lee Burke: Meurtres, pétrole et politique

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James Lee Burke écrit des romans noirs, très noirs, même. Mais ça ne veut pas dire que les nuances sont absentes pour autant. Au contraire, elles abondent dans le monde dépeint par cet auteur prolifique, qui partage son temps entre sa Louisiane natale et son Montana adoptif.

Dans Swan Peak, son tout dernier livre paru, l’intrigue est menée par des personnages blessés, meurtris par des catastrophes – personnelles ou naturelles –, qui naviguent tant bien que mal dans un monde aux prises avec des forces politiques puissantes et implacables.

Même s’il y a des «bons» et des «méchants», les personnages de Swan Peak sont complexes et nuancés, tel qu’en témoigne Dave Robicheaux, héros de toute une série de romans de Burke, et d’autres personnages plus sombres et violents qui traversent le livre.

«Pour tout écrivain, confie Burke, le défi consiste à montrer que tous les êtres humains renferment des parts de bien et de mal. Ça ne prend aucun talent pour décrire un Adolf Eichmann. Je connais seulement une poignée de gens que je qualifierais de « méchants », mais même là, la possibilité de rédemption est toujours présente quelque part.»

Au centre du roman se trouvent le détective louisianais Dave Robicheaux et son acolyte Clete Purcel, partis de leur Nouvelle- Orléans natale dévastée par Katrina pour trouver la tranquillité dans les collines du Montana. Une tranquillité de bien courte durée, puisque, dès les premières pages, la partie de pêche de Clete est interrompue par l’intervention des durs à cuire de la riche famille Wellstone, qui font dans l’exploitation pétrolière et gazière et qui ont des ambitions de développement dans les collines du Montana. S’ajoutent bientôt à cela les ravages d’un tueur en série, la mauvaise conduite d’un ministre du culte, la chasse à l’homme d’un féroce et brutal gardien de prison privée (Troyce Nix, à la recherche d’un détenu en cavale), dans un enchevêtrement d’intrigues élaborées.

Polar et politique
Au centre de cette trame narrative se trouve l’idée que tous ces hommes sont en lutte contre des forces qui les dépassent, des jeux de puissance, de conquête et d’appât du gain qui marquent l’histoire humaine depuis toujours. «Deux grands thèmes définissent le XXe siècle – et maintenant, le XXIe: le néocolonialisme et l’exploitation des ressources naturelles, et en particulier le pétrole et l’énergie. C’est l’élément moteur de ce qui se passe en Louisiane et au Montana aussi bien qu’en Irak ou en Syrie. Et au Canada aussi, si on pense à ce projet de pipeline qui doit amener le plus toxique des pétroles vers les raffineries du sud des États-Unis. Les compagnies pétrolières mènent notre politique. C’est une réalité dont T.E. Lawrence avait parlé dans ses livres, il y a plusieurs décennies.»

En entendant James Lee Burke parler de la sorte, on en vient à se demander si ses livres ne sont pas plus politiques que policiers. «Ils sont très politiques, répond-il. L’art l’est toujours, d’une façon ou d’une autre. Mais il y a une différence entre être politique et être didactique.»

Détenteur d’une maîtrise en littérature de l’Université du Missouri et ancien enseignant d’un cours sur Shakespeare à l’Université de Louisiane, Burke poursuit, arguant que l’auteur de Roméo et Juliette était également un auteur politique: «Il écrivait sur des caractéristiques de l’être humain qui s’exprimaient dans un contexte politique, autour des guerres de pouvoir qui sont au coeur de l’histoire. C’est ridicule de vouloir ignorer le contexte politique. Pourquoi situer une histoire dans le vide?»

Le politique et le personnel
Ce contexte politique, au sens large, passe dans Swan Peak par les expériences personnelles des personnages. Si Robicheaux et Purcel se retrouvent au Montana, c’est largement à cause de la gestion catastrophique du gouvernement fédéral dans le dossier Katrina, mais c’est avant tout parce que le ciel leur est tombé sur la tête et qu’ils veulent se remettre de ces événements très durs. Si Troyce Nix, le gardien de prison, a fait des choses horribles à des détenus, c’est parce qu’il porte en lui les abus dont il a lui-même été victime, et que des plus puissants ont abusé de lui en encourageant ses tendances violentes, entre autres en le mettant à l’oeuvre à Abou Ghraib. Même les Wellstone, ostensiblement une force négative dans l’intrigue du roman puisqu’ils participent à une exploitation des ressources naturelles «qui détruit la terre», ne sont pas uniquement des méchants caricaturaux. Leurs attitudes alternent entre la réconciliation et l’agression, et de façon très visible, tout le clan a vécu ses propres horreurs. De son côté, Clete Purcel perd quelque peu les pédales, au fil du roman, compliquant d’autant les choses pour Robicheaux et compagnie.

Ces parcours personnels esquissés par James Lee Burke renvoient toutefois un portrait très pessimiste des États-Unis, tombés selon lui dans la voie tracée par les anciennes puissances coloniales, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’empêtrement américain dans les problèmes du Moyen-Orient étant l’exemple le plus clair de ce parcours national dangereux et dommageable. «Et pourtant, commente-t-il avec une tristesse évidente, nos débats politiques, ici, tournent avant tout autour du mariage gai ou du football, je ne sais pas trop pourquoi. Il y a une grande médiocrité au travail, actuellement, un dédain envers le service public qui nuit à la qualité du gouvernement. Thomas Jefferson serait horrifié par le genre de personnes qui se présentent en politique, de nos jours.»

Malgré ces propos, James Lee Burke semble garder une mesure de confiance en l’humanité qui se manifeste dans la résolution finale de Swan Peak. Si tant de choses semblent noires, si les forces de l’histoire semblent immuables, comment éviter de céder au désespoir? «C’est la nature de notre monde, tout simplement, conclut Burke. Il faut pouvoir l’accepter, se réconcilier avec cette idée, comme le Candide de Voltaire. La tentation est grande de devenir amer, d’en vouloir à nos prochains. Mais si on cède à cela, alors les méchants auront gagné.»

Bibliographie :
Swan Peak, Rivages, 448 p. | 34,95$

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