Jacques Saussey : Écrire au rythme du train

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Mêlant des suspenses efficaces et des enquêtes directement inspirées de nos sociétés, Jacques Saussey est en train de prendre sa place dans le polar hexagonal. Portrait d’un auteur français venu retrouver ses collègues québécois le temps d’un week-end.

La cinquième édition des Printemps meurtriers de Knowlton, festival international de littérature policière, a eu lieu durant la fin de semaine de la fête des Patriotes dans les Cantons-de-l’Est. Le public a pu y rencontrer non seulement les plumes locales, mais aussi les écrivains étrangers ayant fait le voyage. C’était le cas de Jacques Saussey, qui ne manque jamais une occasion de venir nous rendre visite. L’auteur français connaît bien la province puisque c’était son dixième séjour de ce côté de l’Atlantique. C’est d’ailleurs ici qu’il a eu l’idée de départ d’un de ses romans, Quatre racines blanches, paru en 2012, en tombant sur un entrefilet parlant d’une plantation de pot dans une réserve. Il y a vu l’occasion de montrer aux Français une autre réalité que la leur. Il ne pensait même pas être lu au Québec, jusqu’à ce qu’il décide de participer à son premier Salon du livre de Montréal. Les séjours suivants lui ont permis de créer des liens avec certains auteurs et lecteurs.

Jacques Saussey, qui en est à sa neuvième publication, s’est lancé sur le tard dans l’écriture. Il admet volontiers avoir toujours eu de l’imagination, ce qui l’a parfois amené à avoir quelques problèmes avec ses professeurs de français puisqu’il respectait rarement les sujets imposés. Ce n’est pourtant que des années plus tard qu’il s’essaye à des nouvelles. Il gagne alors deux concours, dont un en 2007, pour une histoire tout en humour noir autour de la mort d’Alfred Jarry. Se sentant plus en confiance après l’accueil très positif du public, il se lance dans un texte plus long, Colère noire. Depuis, il n’arrête plus, même s’il lui faut trouver le temps entre un emploi, les festivals et les salons. C’est donc dans le train pour se rendre à Paris tous les jours qu’il concocte ses récits. Selon lui, cette contrainte temporelle d’une heure l’oblige à se mettre dans le mode travail rapidement et à mieux s’organiser puisque la gare d’arrivée marque la fin de son moment d’écriture. Il avoue quand même avoir parfois appelé son employeur pour quelques minutes de délai lui permettant de terminer un passage particulièrement excitant.

À la question « pourquoi le roman policier? », il répond que c’était pour lui une évidence puisque c’est ce qu’il avait toujours écrit et que c’est ce qu’il lisait. Son parcours pour arriver à une histoire peut prendre divers chemins. L’idée de départ peut venir d’un fait divers comme pour L’enfant aux yeux d’émeraude ou bien d’un thème comme pour Colère noire où il parle de tir à l’arc, sport qu’il pratique depuis des années. La pieuvre, paru en 2015, confrontait ses deux héros récurrents, Lisa Heslin et Daniel Magne, à la mafia, même si cela s’est fait un peu par hasard. Il avait donné à Lisa dans Colère Noire un passé trouble, avec un père assassiné alors qu’elle avait 12 ans. En faisant des recherches pour l’écriture du suivant, il se rend compte qu’en 1992, année où il avait imaginé le drame, deux juges étaient tués. L’idée était plantée, il lui suffisait de construire une intrigue.

Pour son dernier roman, Le loup peint, publié aux éditions du Toucan en 2016, c’est la situation géopolitique qui lui a donné les fils de son histoire. La conjoncture en Europe est explosive, les menaces viennent de toutes parts. À partir de plusieurs idées, entre Afrique de l’Ouest et Moyen-Orient, il va installer une intrigue criminelle autour d’une attaque bactériologique et d’un personnage féminin au charme… mortel!

On le comprend, même si Jacques Saussey ne souhaite pas toujours écrire du polar social, il ne peut s’empêcher de l’ancrer dans une réalité que nous connaissons tous. Il parle de ces auteurs du passé, comme Émile Zola ou Victor Hugo, qui ont intégré leur environnement dans leurs romans. Pour lui, la littérature policière est également un moyen de décrire la société actuelle et les problématiques auxquelles nous sommes confrontés, comme un instantané montrant les différentes strates de notre monde.

Mais la structure et l’écriture sont aussi importantes pour lui que la thématique, et il dit être très attentif à sa manière de construire l’histoire pour surprendre le lecteur sans pour autant le perdre comme dans La pieuvre, où il dissocie son récit sur deux périodes pour mieux nous tromper sur l’identité du coupable.

Il ajoute à tout cela quelques hommages à ses collègues; un œil attentif reconnaîtra dans ses romans des noms de rues ou de personnages issus du milieu du polar, qu’il connaît bien grâce aux festivals auxquels il participe. C’est d’ailleurs sa deuxième participation aux Printemps meurtriers, où il avait été invité en 2013. Il aime beaucoup le contact entre les auteurs qui est bien visible lors de l’événement et constate qu’il existe au Québec une vraie confrérie du polar comme il en existe une en France. Il s’est bien rendu compte cette année que tous sont ravis de revenir à chaque édition. Cela a aussi une influence sur leur travail, puisque lui-même a décidé de ne plus établir de plan pour l’écriture de ses romans après en avoir discuté à une table ronde avec Karine Giebel et R.J. Ellory… à Knowlton. Et puis, il ne dit pas non à l’idée de participer un jour à un projet en compagnie de quelques auteurs d’ici, les liens d’amitié étant déjà tissés.

Il est reparti des Cantons-de-l’Est la valise remplie de livres de ses collègues québécois qu’il pourra revoir dès l’automne puisqu’il participera au Salon du livre de Montréal. Les lecteurs pourront donc le rencontrer très rapidement, avant de retrouver ses personnages, Daniel Magne et Lisa Heslin, dans Ne prononcez jamais leur nom, dont la parution est prévue en France début 2017 aux éditions du Toucan. Pour l’instant, c’est le retour à la maison en Bourgogne et il s’est déjà lancé dans l’écriture du roman suivant dans le train qui le mène vers Paris.

Photo : © Mathieu Bourgeois

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