En avril 2012, Natasha et Gina, deux sœurs habitant à Maliotenam et récemment portées disparues, sont retrouvées mortes loin de chez elles, dans un sentier enneigé à Schefferville. Le gouvernement mandate l’inspecteur montréalais Émile Morin pour élucider cette sombre affaire. Confronté à d’étonnants personnages et surtout à la singularité de la région, Émile Morin est épaulé dans son enquête par un ami, un écrivain qui connaît bien la ville et qui y retourne après treize ans d’absence. Avec Terminal Grand Nord, Isabelle Lafortune échafaude un roman noir fascinant et prenant qui sonde l’âme humaine et explore plusieurs enjeux actuels. 

Comment est né le projet de ce roman?
Ça faisait longtemps que l’idée d’un roman se déroulant à Schefferville me poursuivait. J’avais gardé de mon séjour dans cette ville des sensations assez fortes. Pourtant, j’ai pris du temps avant de me lancer dans un projet bien défini, car même si j’avais quelques pistes de travail, je n’avais pas trouvé l’angle qui me convenait. Et puis, il fallait gagner sa vie, alors j’ai fait tout plein d’autres choses passionnantes et moins passionnantes qui m’ont éloignée de ce projet. J’avais commencé par griffonner, voilà longtemps, une cinquantaine de pages que j’ai presque toutes jetées aux poubelles, mais j’ai conservé quelques phrases qui donnaient le ton et imageaient bien mes impressions de la région tout en mettant en scène des personnages vrais, mais rudes. Ces pages constituaient, en fait, la genèse des personnages de Giovanni, Marie et Antoine que l’on retrouve dans Terminal Grand Nord. Quand l’idée du roman policier m’est apparue, tout s’est enchaîné très rapidement et je n’ai plus lâché mon manuscrit jusqu’au point final.

Qu’est-ce qui vous fascine dans le Grand Nord? Pourquoi avez-vous eu envie d’y camper votre histoire?
La première fois que j’ai mis les pieds à Schefferville, je me suis imaginé écrire un livre sur cette ville qui me semblait surréelle. J’étais probablement plus impressionnable à l’époque, mais lorsque je suis descendue du train, j’ai eu le sentiment d’être vraiment ailleurs. Il faisait très froid, moins quarante, je crois, et j’avais fait quatorze heures de train pendant lesquelles on avait failli perdre un wagon. Et puis, il y avait tous ces pick-up, phares étincelants allumés, qui attendaient le long de la clôture pour décharger le train. C’était pour moi comme un alunissage. Mon imagination s’est alors emballée. J’ai eu tout de suite cette sensation d’être coupée du reste du monde. Cela avait quelque chose de rassurant et de terrifiant à la fois. Par la suite, j’ai travaillé à l’hôtel Royal et fait un peu de suppléance à l’école secondaire. Il a bien fallu que je désapprenne tout ce que j’avais appris parce que je n’étais pas du tout dans mon élément. J’étais fascinée par le paysage et par les gens et j’avais envie d’en témoigner. Je voulais qu’on ressente cette ville particulière. Il n’y a pas de route qui mène à Schefferville. Juste cette idée m’angoissait. Cette première impression forte de la ville ne m’a jamais quittée et il me tarde d’y retourner. Je sais que les choses ont beaucoup changé depuis mon dernier séjour et je me réjouis de constater que cette ville reprend vie avec un dynamisme nouveau.

Votre roman propose une panoplie de personnages intéressants, dont quelques écorchés. Qu’est-ce qui vous inspire dans les failles des êtres humains?
J’adore sonder l’âme humaine et explorer les zones grises. Il y a quelque chose dans les écorchures qui permet de faire jaillir la beauté d’une façon particulière. Par exemple, la douleur des parents des deux jeunes filles assassinées au début du roman ne pouvait être que titanesque. C’est le genre de situation où on peut s’écrouler, ou faire preuve d’une résilience incroyable. Je devais entrer dans cette douleur, pour pouvoir l’écrire, mais il y avait de la lumière, de l’amour et de la bonté malgré tout. D’autres personnages plus sombres m’ont donné plus de fil à retordre. Je m’étais donné la consigne d’aimer tous mes personnages sans les juger. Cela n’a pas été toujours facile, croyez-moi, mais il arrive un moment charnière en cours d’écriture où ce sont eux qui décident de leur destin, au sens où ils m’imposent leur propre logique. Je dois avouer que j’ai un faible pour les survivants et les résilients. Pour cette raison, je me suis attachée particulièrement à certains personnages que je compte bien ramener dans le prochain roman.

Plusieurs enjeux d’actualité sont abordés dans le roman. En l’écrivant, aviez-vous en tête d’écrire sur le sort des femmes particulièrement?
Ce n’était pas l’idée de départ, mais on ne peut y échapper. Je suis très consciente que le roman aborde des thèmes sensibles et il a demandé d’y être empathique afin de trouver les mots justes. Il fallait trouver le bon équilibre. Le drame qui se joue dans Terminal Grand Nord m’a obligée à réfléchir sur la grande vulnérabilité des femmes, et ce, même si je mets en scène des personnages féminins forts avec des caractères bien affirmés. Il faut bien le rappeler, dans le Nord, les ressources sont souvent insuffisantes et parfois inadéquates. Heureusement, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer ce manque. À la lecture, on se rend compte, toutefois, que rien ne menait ces jeunes filles à une fin tragique comme celle-là. Pour que la catastrophe arrive, il n’aura fallu qu’un concours de circonstances, une mauvaise décision et des individus qui sont prêts à commettre l’irréparable. Dans cet ordre d’idées, j’avais envie d’écrire sur ces mauvaises décisions qui une après l’autre mènent au drame. S’enfoncer dans le piège. Ça, c’était un moteur d’écriture puissant pour moi.

Votre écriture est très rythmée, on pourrait même dire cinématographique. Avez-vous écrit en ayant en tête des images, en pensant au cinéma?
Alors là, vous me faites plaisir. Effectivement, j’aimais l’idée de construire le roman un peu comme un film. J’ai d’abord créé des « blocs » que je pouvais agencer à ma guise, un peu comme dans le film de Tarantino, Pulp fiction. Je dirais que ce dernier a été mon inspiration pour déterminer la forme du roman avec ses allers et ses retours dans le temps. Ensuite, il y avait ces histoires parallèles qui convergeaient toutes vers cette ville isolée, gardienne du passé et de quelques secrets. Schefferville devient elle-même un personnage inquiétant. Des parents veulent des réponses, une jeune fille recherche ses origines, un écrivain retrouve une vieille flamme treize ans plus tard : autant de quêtes qui consistent à régler ses comptes avec cette ville ou ses habitants. Je suis très heureuse de vous confier ici, puisque vous soulignez cet aspect de mon roman, qu’il a déjà trouvé son producteur et son réalisateur pour une adaptation au grand écran. François Bouvier (La Bolduc, Paul à Québec) et moi en avons déjà amorcé la scénarisation. C’est très excitant!

Que représente l’écriture pour vous?
J’ai fait mes études en littérature, j’ai accompagné des auteurs dans leurs projets d’écriture, j’ai écrit des chansons, une pièce de théâtre, des nouvelles, des articles, un conte, un roman et maintenant, je fignole un scénario de film. Lorsque je regarde derrière moi, ce que je ne fais pas très souvent, je me rends compte que l’écriture a pris une place beaucoup plus importante que je ne le croyais. En fait, elle est au centre de ma vie.

Photo : © Julie Artacho

Publicité