Ian Manook : Quand le meurtre n’a pas de frontières

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Son premier roman, Yeruldelgger, s’est mérité l’étiquette de livre au titre imprononçable, ça, et pas moins d’une quinzaine de prix littéraires. Le sexagénaire français Ian Manook n’a décidément pas fini de marquer l’imaginaire des amateurs de polar, car le voilà de retour avec Les temps sauvages, la suite des aventures de son commissaire mongol. Deuxième appel pour les lecteurs à destination d’Oulan-Bator.

Corruption, pollution, exploitation des terres par des capitaux étrangers, perte des traditions ancestrales : les temps sont durs pour la Mongolie. Mais quand les températures deviennent polaires et que le dzüüd – le blizzard meurtrier – frappe, les temps deviennent carrément sauvages. Dans ce pays en perte de repères, où un seul hiver peut tuer « plus d’âmes que les avions des tours de Manhattan », le boulot ne manque pas quand on est un policier, surtout lorsqu’on est intègre et têtu comme Yeruldelgger. Ce n’est donc pas une, mais bien plusieurs enquêtes, que le commissaire mènera à bras le corps, entre deux intempéries personnelles. Il y a d’abord l’histoire du cavalier écrasé par un yack tombé du ciel, ensuite le cadavre fiché sur une falaise, puis le meurtre d’une ancienne indic (qu’on essaie par ailleurs de lui coller sur le dos) et la disparition de deux gamins. Bref, l’homme des steppes aura fort à faire.

« Je pense que dans la vraie vie les flics n’ont pas des affaires aussi simples que celles qu’on voit dans les feuilletons télévisés, où il y a un meurtre, un coupable et trois ou quatre circonvolutions pour faire un peu de suspense et hop tout est réglé! D’abord, dans la vraie vie, le flic gère en même temps une dizaine d’enquêtes et le service encore plus. Et ces enquêtes progressent sur un temps assez long et parfois sur des territoires assez lointains », explique l’écrivain qui était de passage au Québec la fin de semaine dernière, à l’occasion des Printemps meurtriers de Knowlton. « Vous aurez remarqué que j’ai besoin d’espace pour écrire. Mes romans font 500 ou 600 pages. C’est parce que j’aime bien que les choses se compliquent un peu. » Il n’y a pas à dire, ça se complique assez vite pour Yeruldelgger et le crime, cette fois, a son passeport pour l’Occident.

Un voyage et quelques enterrements
« Mon éditeur me demandait de trouver un lien pour avoir plus de présence du côté occidental, mais je voyais mal Yeruldelger aller faire un stage à la police française ou américaine. En fait, je le voyais mal sortir de chez lui. Je réfléchissais à ce que je pouvais faire, quand je suis tombé sur deux faits divers dans les journaux : celui de l’enlèvement d’un ressortissant mongol sur le parking du MacDo du Havre et celui d’un réseau de voleurs mongols que j’ai également situé au Havre, mais qui s’était déroulé du côté de Rennes. Comme c’était deux faits divers qui avaient rapport avec la Mongolie, ça me permettait de rapatrier une partie de l’histoire et de donner vie à un deuxième personnage important, Zarzavadjian, qui lui allait faire le lien direct entre la France et la Mongolie. » Yerulgelgger, qui pourtant ne donne pas sa place, cède donc par moment le devant de la scène à un nouveau protagoniste. Décidément, l’auteur manie l’art de surprendre les lecteurs en les éloignant des chemins pavés.

Indignez-vous qu’ils disaient!
Malgré cet inattendu voyage du côté européen, Les temps sauvages conserve l’exotisme qui a fait le succès de Yeruldelgger. Or, ce qui fait le véritable charme de ces deux romans, ce n’est pas seulement l’escapade touristique en contrées éloignées dans laquelle, évidemment, on prend plaisir à découvrir une culture différente; c’est aussi cette vision désoccidentalisée du monde que présente Ian Manook, que ce soit depuis la Mongolie ou la France. « J’aime mettre en perspective des choses qui n’ont pas l’habitude de l’être. Les gens vont s’indigner qu’il existe un bar nazi à Oulan-Bator, alors que – par exemple – s’il existait à Québec ou à Montréal un restaurant en forme de yourte décoré avec des portraits de Gengis Khan, tout le monde irait par curiosité et pour profiter d’un décor particulier. Pourtant, ces gens-là iraient dans un restaurant à la gloire d’un homme qui était le plus grand massacreur du monde, parce que lui seul dans l’histoire a exterminé durant ses conquêtes, à l’époque, un dixième de la population du globe. » Le meurtre n’a pas de frontières. Les crimes contre l’humanité non plus.

« Ce qui m’insupporte un peu, ce sont les indignations sélectives. Oui, les tours de New York, c’est scandaleux, c’est horrible et ça doit nous indigner, mais trois milles morts d’un seul coup ça arrive plus que fréquemment dans le monde sans que personne ne s’indigne, soit par des dzüüd en Mongolie, soit par des tremblements de terre ou simplement des famines, des épidémies… » Ainsi, il serait peut-être intéressant de souligner une fois de plus que Ian Manook (ou Patrick Manoukian, si on veut la jouer officielle) donne à lire beaucoup plus qu’un simple polar ethnique. « Évidemment, j’ai choisi la Mongolie un peu par défaut, parce que les autres pays étaient pris, confesse-t-il. Mais très vite, ça s’est imposé comme un choix de raison, parce que le côté chamanique de la culture de la Mongolie donne à des notions essentielles dans le polar (comme la mort, la vengeance, le destin), un aspect différent. Et je me suis rendu compte que ça me permettait de construire un personnage beaucoup plus riche qu’il ne l’aurait été s’il avait été occidental. »

Jamais deux sans trois
Si vous n’arrivez toujours pas à épeler le nom de son commissaire étranger après deux romans, il vous reste encore une chance, car l’auteur travaille à l’écriture du troisième (et dernier?) « Yeruldelgger » : « Après ce troisième, je passerai à autre chose. Ce que je ne sais pas encore c’est si je passerai à autre chose définitivement ou momentanément. Ce qui est sûr, c’est que le prochain sera un Yeruldelgger, mais que l’autre après ne le sera pas. En revanche, je voulais changer de genre, mais j’ai une belle idée, alors je crois que ça sera encore un polar. » Il a peut-être été publié sur le tard, mais maintenant qu’il est lancé, Ian Manook n’est visiblement pas prêt d’arrêter.

 

Crédit photo : Richard Dumas

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