David Adams Richards : Raconter sans réserve

8
Publicité

Il n’est pas nécessaire d’être Néo-Brunswickois pour apprécier la prose de David Adams Richards, mais il est certainement bon de la lire quand on est exilé de sa province et que l’on s’en ennuie. Maître du réalisme, jamais caricatural, l’auteur acadien transporte son lecteur sur les berges de la rivière Miramichi où se déroule l’histoire complexe et cruelle d’une dispute entre Blancs et Autochtones – et où s’opposent drame humain et quête de vérité, épuisement moral et dignité humaine.

Dès les premières pages d’Enquête dans la réserve, la tragédie frappe : un jeune Autochtone meurt, et un Blanc plutôt bourru, solitaire et vivant sur les terres de la réserve est accusé d’avoir commis le crime. Aussitôt, les fils s’entremêlent : au cours de la crise que génère l’incident, la population autochtone et des journalistes blancs se rangent dans des camps opposés et se livrent une bataille où la vérité devient rapidement secondaire. Au sein de ce milieu précaire et dur, chacun cherche à défendre son propre intérêt.

Dans la mêlée, un personnage lumineux et plus vrai que nature : Amos Paul. Tranquille, sage, peu porté au jugement rapide, Amos, le chef de bande, tente de ramener ses troupes. Se retrouve en lui un peu du grand-père ou de l’oncle qui, humble et posé, savait nous faire comprendre en silence que nous avions tort. « Amos Paul ne serait jamais considéré comme un grand homme par beaucoup des standards communs – l’argent, le pouvoir, la gloire. Mais Amos Paul est un grand homme, et il l’est simplement parce qu’il peut voir ce qui est juste et ce qui est honnête autour de lui. Au mieux, il peut encourager les autres à être aussi sages et honnêtes que lui, mais personne ne l’écoute, et c’est ce qui est si tragique », explique David Adams Richards.

Mais ce n’est pas le seul caractère tragique et cruel du roman : la condamnation en masse d’un innocent, l’altération de la vérité, la perte de contrôle d’une situation à laquelle se mêlent trop d’acteurs intéressés, mais aussi la culpabilité sous-jacente aux actes vils et la simple bataille quotidienne d’un peuple en mode survie sont autant d’aspects qui pénètrent l’œuvre. Toutefois, au fil du roman, comme dans une toile en clair-obscur, la grandeur de l’homme jaillit. C’est pourquoi Enquête dans la réserve ne peut être classé comme un roman policier traditionnel. « C’est l’histoire de la noblesse humaine », explique Richards. Une histoire de noblesse, oui, et d’honneur aussi, même dans le cœur de ceux qui, en apparence, sont corrompus. « Markus Paul, par exemple [le petit-fils du chef, le personnage principal], trouve sa noblesse de sa propre rédemption. Puisque, d’une certaine manière, il a désobéi à son grand-père. Et maintenant, vingt ans plus tard, il est déterminé à découvrir pour lui-même ce qui est vraiment arrivé cette nuit-là. À mon sens, c’est une chose admirable. »

Ce qui est également admirable, c’est le talent avec lequel David Adams Richards arrive à sonder les intentions profondes de ses personnages et à révéler la complexité des sentiments humains. Comment est-il possible de rendre un portrait si juste et crédible des motivations de chacun dans une telle crise sociale? « Il faut faire preuve d’assez d’intégrité, je pense, pour traiter les gens en êtres humains, qu’ils soient blancs ou autochtones, francophones ou anglophones; c’est à ce moment seulement qu’on réalise qu’il y a toutes sortes de raisons pour qu’une telle crise survienne dans une réserve. Il y a des raisons vraiment nobles qui expliquent cette crise, en même temps que des raisons beaucoup moins nobles. C’est ce qui arrive chaque fois qu’il y a une crise sociale. Nous devons le réaliser et le montrer de la façon la plus authentique possible, et j’imagine que c’est ce que j’ai essayé de faire. »

Plusieurs s’entendent pour dire que l’auteur y arrive plutôt bien, puisque Incidents in the Life of Markus Paul, la version anglophone de son roman, a été acclamé par la critique – son roman fait même partie de la longue liste des Prix littéraires de Dublin 2014. David Adams Richards est un habitué des prix littéraires : il a raflé à deux reprises le Prix du Gouverneur général du Canada pour des ouvrages antécédents, et Mercy Among the Children, un autre de ses romans situés sur la Miramichi, a été encensé par la critique et a reçu le Prix Giller pour la meilleure fiction canadienne de l’an 2000.

Taquiner la bête
David Adams Richards n’écrit pas que de la fiction, puisque plusieurs de ses ouvrages décrivent ses expériences de la chasse et de la pêche dans la région de la Miramichi. Richards a été chasseur pendant plus de trente ans et a pêché toute sa vie. Ce n’est donc pas un hasard si, dans Enquête dans la réserve, les passages de retour au calme et la nature sont décrits avec une candeur réconfortante et un réalisme étonnant. La Néo-Brunswickoise exilée que je suis y a retrouvé (non sans un pincement au cœur!) la tranquillité des forêts de son enfance et les bonheurs simples qui y sont associés. Les scènes de chasse, réussies, entraînent le lecteur à la suite de Markus ou d’Amos Paul, comme il aurait accompagné son père, enfant, à la chasse à l’orignal.

La soixantaine amorcée et l’agenda bien rempli, David Adams Richards ne chasse plus, mais il n’est pas dit qu’un jour il ne retournera pas au chalet qu’il partage avec ses frères sur un affluent de la branche nord-ouest de la Miramichi pour y chasser le chevreuil ou l’orignal. « Il y a des jours où ça me manque. Les matins frais d’automne, avec un peu de neige au sol, ça me manque. Et ça me manque, vers quatre heures du soir, l’automne, quand les forêts retrouvent leur quiétude et que les animaux commencent à se déplacer. C’est le meilleur moment pour chasser. Alors oui, ça me manque. »

Et, comme tous les « exilés » de la province, les pieds en ville mais le cœur à la campagne, je comprends parfaitement.

Crédit photo : © Bruce Peters

Publicité