Benoît Bouthillette : Pourfendre l’ombre pour en faire jaillir la lumière

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Dix ans se sont écoulés entre La trace de l’escargot – Prix Saint-Pacôme 2005 – et L’heure sans ombre, ce colosse de 552 pages qui plonge le lecteur en plein cœur d’un Cuba contemporain à la fois ouvert sur le monde, cultivé, mais aussi empreint de croyances et d’imaginaire. Benjamin Sioui, enquêteur pour la Sûreté du Québec, se rend au pays où il doit faire la lumière sur des sacrifices infligés à des enfants. Commence alors une intrigue policière peu commune dans laquelle chamanisme, rites sacrificiels et histoire d’amour s’unissent pour mieux comprendre l’Autre. Tête à tête avec le loquace Benoît Bouthillette, auteur de cette première partie d’un diptyque étonnant.

Métissage des genres
Si le retour de l’enquêteur d’origine wendat, chaman de surcroît, Benjamin Sioui, nous mène d’office dans le roman noir, il y a une part de sentimentalité profondément inscrite en lui qui dépasse largement le cadre de l’intrigue policière. Ce n’est pas sans raison, en fait, parce que Bouthillette voulait « avant tout écrire un roman d’amour. Il y a deux intrigues ici et les deux sont aussi importantes l’une que l’autre. C’est un roman du bonheur possible ». Bonheur que le policier trouve chez Maeva Corrales pour qui il serait prêt à devenir le père de « Camilla, [leur] première enfant qu’[ils] nommeront d’après Camilo Cienfuegos, le révolutionnaire romantique ». Ce roman était donc pour Benoît un prétexte à raconter une histoire d’amour : « Je suis un moraliste. Je veux toujours parler du bien et du mal en passant par la beauté et l’amour. » Alors, oui, il y a cette profonde relation amoureuse qui donne corps à Sioui, qui le rend à la fois sensible, terre à terre et courageux, mais il y a aussi une part importante accordée à l’enquête qu’il mène en entretenant une relation particulière avec Yemaya, déesse des mers. Il entend sa voix, dialogue avec elle. Cette part de chamanisme, ou de surnaturel, comme le nomme l’auteur, s’est en fait imposée d’elle-même. Ce n’était pas important ou même voulu cette présence, mais « elle est la voix de la raison de Sioui, celle qui le guide. Le surnaturel vient teinter la réalité du héros, mais n’affecte jamais l’enquête ». Et c’est ce qui fonde Sioui, justement. Ce métissage des genres alliant roman noir, chamanisme et amour permet au protagoniste d’être ce qu’il est, soit un personnage porté par l’amour et une volonté de transcender le mal : « Je me battrai jusqu’au bout pour un monde meilleur, en trimballant mon lot de blessures. »

L’heure sans ombre
L’enquête se déroule dans un Cuba animé et aussi très chaud. Le soleil cuisant participe activement de cette intrigue et de la vie du héros. Omniprésent, il s’insinue dans plusieurs scènes tout en apportant sa part d’ombre, sauf à un moment de la journée, à midi. Le temps du jour, dira Bouthillette, « du triomphe de la lumière qui te rive au sol ». Ce moment, l’auteur l’a vécu devant le ministère de l’Intérieur en regardant la statue du Che, à ce moment précis où l’ombre n’existe pas. À son tour, l’enquêteur se « trouve, seul […] à regarder l’évolution du soleil tracer l’ombre du Che sur les parois blanchies […] à chercher l’heure absolue où l’homme et son ombre se confondent. Cette heure […] où le mitan du jour darde de tout son poids sur les épaules du marcheur solitaire ». Siouiretourne à cet endroit en fin d’intrigue et s’interroge alors sur son rôle dans l’enquête : « J’ai pourtant l’impression de n’avoir été qu’un long piquet planté au milieu d’un cadran solaire, en pleine nuit… « Tu l’as fait alors que tu te trouvais […] en plein midi, à l’heure où l’ombre se dissout sous l’homme […] l’instant de cette heure sans ombre, s’il n’a jamais existé, ne dure pas. Ou alors il n’est que le prélude à la suite des choses. » Ce mitan semble ainsi accompagner Benjamin dans les moments charnières de son enquête et de sa vie. Il le vivra enfin une dernière fois, à la toute fin de l’histoire, moment critique où le soleil à son apogée éclaire plus que jamais sa sombre réalité.

L’écriture de la tolérance
Cette écriture métaphorique enveloppe l’écriture de Bouthillette et fonde par le fait même son propos. Le jeu entre la noirceur et la lumière, l’auteur en fait pratiquement l’enjeu de son récit parce que c’est bien ce qui motive l’écriture du roman noir, soit la lumière qu’on peut en dégager : « En soutirant de la noirceur du monde, on tente d’en exposer les failles, de sorte à y faire pénétrer de la lumière. » Il faut savoir qu’entre la dernière publication pour adultes mettant en vedette Siouiet L’heure sans ombre, Benoît a écrit des romans jeunesse, notamment La nébuleuse du chat qui mettait en scène ce même enquêteur. Mais qu’il écrive pour la jeunesse ou pour les adultes, le besoin d’éclairer le lecteur, de l’ouvrir à l’Autre demeure chez lui : « Quand j’écris pour la jeunesse, je compte deux limites. Une première qui est celle de ne pas être complaisant et de ne pas faire des produits de consommation et une deuxième, tenir un devoir de réserve. On doit aider les jeunes à cheminer vers l’âge adulte […] On s’adresse à des citoyens en devenir, adressons-nous à leur intelligence. Parce que la littérature jeunesse, comme la littérature pour adultes, permet une ouverture sur le monde qui s’oppose au repli sur soi […] On est là pour pourfendre la partie noire de la lumière. » Ainsi, pour Bouthillette, l’auteur et le lecteur font chacun leur chemin pour aller à la rencontre de l’Autre. Et, c’est justement ce qu’il tend à défendre dans son écriture, la communication, l’absence d’œillères, afin qu’il y ait plus de respect et d’indulgence.

Pas étonnant que son héros soit un ardent défenseur de la tolérance. Son statut atypique vient d’ailleurs combiner deux entités souvent à couteaux tirés. « En le créant, je voulais démontrer que notre société est la plus égalitaire que je connaisse. » Sans prétendre ou attendre quoi que ce soit, Benoît espère que son Benjamin devienne un personnage emblématique de notre littérature populaire, qu’il soit un rendez-vous annuel. Et pourquoi pas? La littérature québécoise a besoin de héros valeureux; il nous en offre un grand.

Crédit photo : © Guy Raymond

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