Andrée A. Michaud : La force d’une image

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Elle a remporté en novembre dernier le prestigieux Prix littéraire du Gouverneur général pour Bondrée, un roman policier aux qualités indéniables : ressorts de l’intrigue étoffés et dimension psychologique impeccable. Autant d'ingrédients qui donnent à Bondrée le succès qu'il mérite. 

Vous êtes lauréate du prix Ringuet, du Prix littéraire des collégiennes et des collégiens, du prix Saint-Pacôme et deux fois couronnée du GG. Quels effets ont les honneurs sur vous et votre écriture?
Un effet lénifiant, dirais-je, en même temps qu’euphorique, malgré l’apparente contradiction, comme un café bien corsé dont les premières gorgées vous apaisent pour ensuite exciter vos neurones et vous donner envie de vous remettre à l’écriture sur-le-champ. Plus concrètement, recevoir un prix littéraire, c’est obtenir la reconnaissance de ses pairs, la reconnaissance de certaines institutions, et cela constitue un puissant carburant pour poursuivre son travail et ne pas baisser les bras devant les difficultés du métier. Plus spontanément, ça se résume en quelques mots : ça procure un plaisir immense!

Mort, angoisse, opacité du mystère, vide abyssal… on trouve tout cela dans Bondrée. Les thèmes de vos livres naissent-ils de vos obsessions?
On transpose inévitablement ses peurs, ses angoisses et ses obsessions dans ses livres, parce qu’on parle toujours à partir de soi, de la vision qu’on a du monde. Je ne dirais toutefois pas que ce sont mes obsessions qui déterminent la trame de mes romans, puisque je les construis généralement à partir d’une image qui me frappe, d’une image dont la force me semble de nature à installer le décor dans lequel je logerai mes hantises pour les transmettre ensuite à un malheureux personnage s’adonnant à passer par là.

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire?
Je ne sais pas exactement. Il y a des jeunes qui, dès qu’ils songent à leur avenir, ont comme projet de devenir écrivains. Je n’ai jamais eu consciemment ce projet. Je ne rêvais pas de faire carrière dans l’écriture. Je me suis mise à écrire parce que ça débordait de toutes parts, parce que j’avais besoin de laisser sortir la vapeur, parce que certaines beautés me rentraient dedans avec une force ayant en quelque sorte un effet boomerang : il fallait que ça ressorte et que ça soit projeté quelque part, que ça suive une trajectoire à laquelle des mots pourraient se greffer. Puisque je suis solitaire par nature, l’écriture s’est naturellement imposée, et j’ai pris goût à décrire des atmosphères, à raconter des histoires, à faire entrer la pluie dans mon bureau pour qu’elle inonde la page parfois trop noire.

Selon vous, que peut apporter la voix des écrivains?
Un espace de réflexion, un espace où appréhender un univers, si restreint soit-il, à travers le regard de quelqu’un qui a construit cet univers à partir de ses propres réflexions. L’écrivain est en quelque sorte un passeur. Il amarre sa barque à la rive, et quiconque veut y monter le peut, à condition de vouloir affronter la houle.

Que permet le polar que d’autres genres ne permettent pas?
Je ne crois pas que le polar, en tant que genre, permette plus que les autres genres. Chaque genre a ses particularités, ses forces, ses attraits. Le polar a peut-être un côté ludique que les autres genres n’ont pas, car, malgré son côté sanglant et carrément sombre, il invite le lecteur à un jeu : deviner pourquoi le mal de vivre, parfois, pourquoi la folie conduisent au meurtre, et deviner qui, parmi les personnages mis en scène, a perdu à ce point pied que sa douleur ne peut se résoudre que dans le sang des autres.

Dans votre roman Bondrée, les personnages et les événements s’enchevêtrent admirablement bien. Établissez-vous une structure précise avant d’entamer l’écriture?
Je n’établis jamais aucune structure et je ne travaille à partir d’aucun plan. Tant mieux si d’autres peuvent le faire, mais en ce qui me concerne, ça m’enlève tout le plaisir de découvrir au fur et à mesure où une idée peut me mener. Quand je commence un roman, j’ai une vue d’ensemble, mais ça se résume à cela. Je ne sais pas où je vais aboutir ni comment je vais y aboutir. Je laisse les éléments mis en place me guider. Cela suppose bien entendu beaucoup de retours en arrière, beaucoup de réécriture, mais ces allers et retours ne constituent en rien du temps perdu, puisqu’ils me permettent de creuser mon sujet, de mieux comprendre pourquoi j’ai choisi une direction plutôt qu’une autre, et de m’orienter ainsi dans le dédale où m’entraîne parfois le fil de mes pensées.

Pouvez-vous nous parler de votre prochain projet?
Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’y replonge à fond de train dans l’une de mes principales obsessions, à savoir la question du double, en vue de la vider une fois pour toutes, à moins que je me rende compte en cours de route que je suis condamnée à vivre avec mes doubles ad vitam aeternam ou, pour être honnête, jusqu’à la fin de mes jours d’écrivaine, car je ne crois qu’en l’éternité de la matière.

 

Crédits photo: Martine Doyon

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