André Marois: Puiser dans le noir

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Auteur prolifique, André Marois signe avec La Fonction un roman contenant tous les éléments du noir, en plus d’un petit supplément d’âme.

La Fonction, c’est ce pouvoir que vous avez de revenir une minute en arrière. Comme tout le monde, vous pouvez l’activer en pointant l’index droit sur votre glabelle et en plissant les paupières.

Cette singularité qui donne son titre au septième roman adulte d’André Marois s’avère bien sûr des plus utiles si vous êtes un joueur de soccer (ex. en tirs de barrage), un tueur à gages (ex. une cible ratée), ou si vous êtes tout simplement un être instable (ex. un Riopelle que vous venez de lacérer à coups de couteau). Autant d’exemples avérés de la Fonction. Mise en garde, toutefois : vous ne pourrez vous en prémunir qu’une seule fois.

De plus, sachez que cette particularité existe depuis des temps immémoriaux; Napoléon s’en serait même servi à un moment décisif de la bataille d’Austerlitz. Du moins, si on se fie à l’imagination d’André Marois ou à celle d’un historien qui prend la parole dans son roman La Fonction : « On a beaucoup glosé sur la main droite de l’empereur dans son gilet. Des théories farfelues ont circulé : il avait mal à l’estomac ou il savait se tenir en public… La vérité, c’est qu’il avait peur de gaspiller sa Fonction. Il la gardait pour le moment suprême. »

Le récit joue d’ailleurs sur cet élément qui le distingue des récits exploitant aussi le retour dans le temps. Franck, personnage central du roman, avait promis à son ex-femme qu’il garderait sa Fonction pour leurs enfants, Jasmin et Natalie. Garde du corps sur le déclin qui cherche à orchestrer un faux assassinat pour toucher sa pension et recommencer sa vie ailleurs, Franck a toutefois gaspillé sa Fonction, incapable de révéler ce qu’il en a fait à son ex aussi bien qu’à Rosa, la beauté qu’il rencontre au Club des Fonctionnalistes, une sorte de soirées des AA pour ceux qui ont perdu leur privilège et souhaitent en parler.

Qu’a-t-il pu en faire de si inavouable? Et réussira-t-il son coup? Quant à Rosa, dans quel mauvais pétrin s’est-elle mise? Et quelles seront les conséquences pour elle? Voilà les cordes de ce récit ciselé, progressant à coup de scènes bien cernées et fonçant à l’essentiel. Marois, d’ailleurs, confie qu’il a d’abord imaginé son récit comme un scénario, pour ensuite revenir vers le roman qui lui était plus familier : on imagine très bien ce récit un jour porté à l’écran, tant les scènes sont claires et le déploiement, visuel.

Les âmes pas nettes
Dans l’univers imaginé par Marois, qui, à un détail près, a tout du nôtre, le personnage de Rosa apparaît comme un contrepoint à Franck et à ses pensées fangeuses, noires : comme dans « roman noir ». Il faut le préciser, Marois ne fait pas dans la dentelle, et des scènes d’une horreur étonnamment actuelle parsèment son récit. L’idée d’inclure une effigie de la beauté dans son univers généralement laid, Marois l’a tirée des bons conseils du cinéaste Jean-Marc Vallée. « Il m’a dit quelque chose de déterminant : “J’aime beaucoup la noirceur de ton monde, mais moi, il faut qu’il y ait une présence de beauté dans mes histoires.” Quand j’ai attaqué l’écriture de La Fonction, ça m’est resté : j’ai cet univers noir, mon personnage principal qui est hanté par quelque chose qu’il a fait, avec les remords, avec une douleur, etc. Mais je me suis dit que ce serait intéressant si, pour une fois, il y avait un autre personnage qui, lui, incarnerait la beauté. D’où est née Rosa qui, elle, cherche à faire du bien. »

Mais les tentatives de Rosa ne suffisent pas, et le récit conserve une dominante sinistre, voire scabreuse, comme si les personnages demeuraient pris dans les rets d’un mal plus fort que l’aspiration au bien. « Je n’y crois pas trop, à la rédemption. Mes personnages ont la possibilité de se racheter avec la Fonction; mais en même temps, quand on sait ce qu’a fait Franck, par exemple, ce avec quoi il est obligé de vivre psychologiquement, c’est quasiment impossible d’effacer ça. On peut faire semblant, on peut faire beaucoup d’efforts dans la vie pour se racheter, être gentil, tout ce qu’on veut, mais quelque part, le mal, quand il a été fait, pour moi, il ne s’efface pas. »

Dans le combat des personnages contre la souillure qu’ils portent, et dans l’issue de ce combat, on peut voir résumé le parti pris de Marois : « C’est ça qui me passionne, cette espèce de noirceur de l’âme humaine qui fait qu’on connaît des choses absolument terribles. Ceux que j’ai envie de décrire, c’est ceux qui se débattent avec ça… Pas juste les gens qui sont méchants : ça, en soi, c’est pas très intéressant. Mais ceux qui se débattent face à leur noirceur, comment ils l’affrontent, comment ils essaient d’y résister, comment ils la nient, etc. : c’est ça qui m’intéresse. »

Mais encore
Écriture concise et rythme, enjeu et personnages torturés : c’est ce qu’on exige en général d’un polar. Ici, toutefois, se trouve ajouté quelque chose comme un supplément d’âme, qui aura de quoi plaire aux lecteurs parfois largués par des écritures qui tiendraient le contenant pour accessoire. « Écrire une bonne histoire en soi, c’est un but, mais ça ne suffit pas », partage Marois, qui a tenu à inscrire le nom de sa directrice littéraire dans ses remerciements.

« Le rôle d’une directrice littéraire, c’est de ne pas être gentil, dit-il en riant, c’est de comprendre c’est quoi le livre et de tout faire pour que le style et l’histoire soient poussés dans sa logique. Et Geneviève [Thibault], elle est impitoyable, elle a une lecture hyper affûtée qui fait que je lui fais vraiment très confiance. Je crois beaucoup au travail avec un éditeur : mon livre est bien meilleur après qu’avant, c’est certain. »

Le polar étant son genre usuel, André Marois s’est déjà vu nommé deux fois au Prix Saint-Pacôme du roman policier, pour Les effets sont secondaires (2003) et Sa propre mort (2010). La Fonction, avec son récit taillé comme une haie, mais également avec cette qualité de l’écriture qui le double, risque bien de prendre sa place sur la liste 2013 des nommés.

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