André Marois: l’art de la chute

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Décidément, depuis son arrivée au Québec en 1992, André Marois n'a pas chômé, comme on dit. Concepteur publicitaire, il est également l'auteur d'une dizaine de polars destinés à la jeunesse, de nouvelles noires parues dans divers revues et collectifs au Québec ou en France, et de trois romans noirs et d'un recueil de nouvelles de la même eau destinés aux adultes. Ce printemps, il signe un nouveau recueil, Du cyan plein les mains, où se déploie tout l'art d'un écrivain au style assuré, à l'ironie grinçante et au goût pour les chutes implacables.

Comme on s’y serait attendu, la nouvelle éponyme, avec son calembour en guise de titre, donne le ton : «Du cyan plein les mains» raconte la croisade d’un esthète qui a décidé de trucider les graphistes et concepteurs publicitaires responsables de toutes ces horreurs qui agressent son sens du beau. Publiée initialement sur le site Web de l’auteur avant d’être reprise dans les pages d’Alibis, cette nouvelle n’avait pas manqué de faire couler de l’encre, ainsi que le rappelle Marois dans le liminaire :
«Ç’a été une drôle d’histoire, à vrai dire, renchérit l’auteur en entrevue. J’avais participé à un jury d’un concours de graphisme et on m’avait demandé d’écrire une petite bio pour me présenter dans le magazine où l’on dévoilait les résultats. J’avais dit que j’allais écrire un roman qui racontait l’histoire d’un type qui voulait tuer tout ceux qui faisaient des choses laides. C’était une blague au début, mais j’ai fini par en faire une nouvelle que j’ai mise en ligne sur mon site personnel. Des gens d’Infopresse et de Grafika en ont parlé et ç’a fait boule de neige. Alors l’affluence sur mon site a grimpé en flèche et les gens m’écrivaient pour me remercier d’avoir inventé cette histoire qui leur faisait plaisir. J’ai même fait une entrevue à une émission sur la pub de la télé française. C’était vraiment incroyable, inattendu, qu’une nouvelle parue sur le site d’un auteur méconnu provoque une telle onde de choc.»

On ne connaît guère de textes de Marois qui ne relèvent pas du genre noir, de son premier roman Accidents de parcours jusqu’à ce recueil-ci qui, malgré la coloration turquoise du titre, porte en sous-titre l’étiquette «nouvelles noires», comme une déclaration de principe : «Il me semblait que l’étiquette « nouvelles » tout court était trop vaste, explique-t-il. On parle bien de roman noir et je tenais à ce qu’on le précise, je tenais à ce que les lecteurs sachent ce qu’ils ont entre les mains avant de l’acheter. Et puis, c’est le genre où je me sens le plus à l’aise. Ça étonne les gens de mon entourage, qui me disent : « C’est bizarre, tu n’as pas l’air violent, mais tu écris toujours des histoires où tu assassines tout le monde. » Et je leur réponds toujours que c’est tant mieux que j’assassine les gens uniquement dans mes livres…»

Implacable fatalité
André Marois ne cache pas que son goût pour le noir tient au fait que le genre lui permet de concevoir des histoires simples mais percutantes, qui prennent racine dans son quotidien sans être autobiographiques. Au fil de ces récits souvent macabres, puisés aux sources les plus sombres de la psyché de l’auteur, se profile une vision très critique de la société contemporaine : «Ce n’est pas forcément délibéré, avoue l’écrivain qui ne s’est jamais donné une mission de pamphlétaire. Certaines de ces nouvelles ont à l’origine été écrites pour le magazine Urbania, dont chaque numéro porte sur un thème, et dans ces cas-là, je réponds à une commande bien précise. Mais, en général, je ne me force pas, j’aime juste raconter des choses qui se passent autour de moi, des choses quotidiennes, d’où le côté actuel, contemporain. Dans « La Survie », je m’inspire d’un délire que j’ai vraiment eu. J’avais dit à mes enfants que je ferais un stage de survie; mais j’ai fini par écrire sur le sujet à la place et je me suis rendu compte de tout le ridicule du projet. Je me suis aperçu que la vraie survie, c’était d’affronter le quotidien en ville, tout simplement.»

Ancrées dans la réalité de tous les jours, ces nouvelles font néanmoins appel à un imaginaire débridé et délicieusement tordu. Pareil commentaire amuse et flatte André Marois, qui ne s’en défend pas, loin de là : «Pour la nouvelle « En face », où mon personnage se demande ce qui se passe de l’autre côté de la fenêtre en face de chez lui, je me suis inspiré de cette fenêtre directement en face de chez moi à travers laquelle je voyais cet homme qui écrivait toutes les nuits. J’ai même fini par savoir qui c’était, même si lui ne se doute pas du tout qu’il m’a inspiré cette histoire.» Toujours dans son liminaire, Marois identifie comme dénominateur commun aux nouvelles du recueil la récurrence d’un certain type de héros masculin, solitaire un brin désabusé… qui lui ressemble peut-être un peu? «Je crois que je m’identifie facilement à ce genre de gars, avoue-t-il. Je suis moi-même assez solitaire, même si j’ai une vie de famille bien remplie et beaucoup d’amis. Mais j’aime fonctionner seul dans mon coin et le travail d’écrivain me convient parfaitement. Et puis, j’aime lire des histoires de gens seuls; j’ai lu récemment Le Jardin du Bossu de Franz Bartelt et ça m’a beaucoup touché.»

Très sensible à la structure dramatique, André Marois reste attaché à une conception classique de la nouvelle qui exige que chaque récit se termine sur une chute sinon surprenante, du moins déroutante : «Pour moi, la chute, c’est très important. Il y a très longtemps, j’ai lu un recueil qui m’a marqué : New York tic tac de O. Henry, et je me vois dans cette lignée plutôt que dans celle de Raymond Carver, par exemple. J’aime que la chute survienne de manière implacable.» Est-ce à dire que pour l’auteur de Du cyan plein les mains, la littérature noire serait un lieu d’expression privilégié pour un certain sentiment de la fatalité qui apparenterait le genre aux tragédies antiques? «Absolument, croit le nouvelliste. Il y a toujours dans mes histoires quelque chose qui rattrape les personnages et il y a aussi une logique à l’œuvre. Même si je ne prévois pas toujours à l’avance le dénouement de mes nouvelles, je suis toujours surpris de voir qu’il y a une logique, une nécessité qui fait que la fin s’impose. Il est vrai que comme je finis toujours par assassiner quelqu’un, on peut parfois se douter de ce qui va arriver. Mais je m’efforce de varier les plaisirs quand même.»

Bibliographie :
Du cyan plein les mains, André Marois, La courte échelle, 156 p., 23,95$

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