De conceptrice de jouets à auteure hautement appréciée pour la jeunesse, Véronique Drouin trouve à se démarquer à chaque nouvelle parution. Petit tour guidé dans l’univers de cette lauréate du prix du Gouverneur général. 

La thématique du suicide n’en est pas une facile. Qu’est-ce qui vous a poussée à aborder ce sujet dans L’importance de Mathilde Poisson? Est-ce que vous vous êtes censurée à certains moments pour ne pas heurter vos lecteurs ou, au contraire, vous avez voulu tout dire?
En écrivant ce roman, je ne souhaitais pas créer une histoire lourde et défaitiste, car honnêtement, qui a le goût de lire sur le suicide? Le but était plutôt d’entamer une réflexion sur le deuil, sur la mort, mais aussi sur la vie! Et je ne me suis réfrénée à aucun moment. C’est un sujet grave et pertinent qui mérite qu’on l’aborde de front en explorant ce qui peut pousser quelqu’un à poser un tel geste. Ça ne m’a pas empêchée d’ajouter des touches d’humour, car c’est, à mon sens, ce qui nous permet d’avancer dans la vie et de surmonter les épreuves.

Parlez-nous de Mot, ce personnage étrange qui fait irruption pile au bon moment dans votre roman. A-t-il été difficile de le rendre crédible, de lui donner vie?
Mot m’est apparu dès le début, déjà bien défini avec sa personnalité très singulière. Puisque je l’ai créé comme une sorte d’allégorie – je ne dirai pas de quoi pour éviter de vendre le punch! –, je n’ai fait que déterminer les caractéristiques de ce que je percevais dans cette métaphore : à la fois arrogant et empathique, philosophe et fanfaron. Ce personnage a d’ailleurs été délicieux à écrire, puisqu’il affirme sans aucun filtre des vérités difficiles à admettre. Je dirais même que je me suis attachée à lui avant de l’offrir aux lecteurs.

Vous avez remporté le prix du Gouverneur général (jeunesse – texte) pour L’importance de Mathilde Poisson. En quoi cette récompense est-elle significative pour vous?
C’est énorme! Et j’avoue que c’est la plus grande surprise de ma vie! Lorsque les auteurs écrivent, ils sont seuls derrière leurs écrans et doutent constamment de leur travail, car il est malheureusement rare que nous ayons les impressions de nos lecteurs ou même des critiques. Après seize romans publiés, une telle reconnaissance est non seulement motivante, mais elle justifie en quelque sorte les efforts que je mets dans mon travail, jour après jour. Car aujourd’hui, se démarquer dans le domaine littéraire est plus difficile que jamais.

Dans votre plus récent roman, Cassandra Mittens et la touche divine (Québec Amérique), vous délaissez l’époque contemporaine pour vous plonger dans le XIXe siècle. Quels ont été les défis d’écriture liés à ce choix de contexte?
Assurément, la recherche. Je souhaitais plonger le lecteur dans un Montréal de l’époque victorienne qui se rapprochait le plus possible de la réalité, ainsi j’ai dû fouiller pour trouver de l’information et parfois aller sur place afin de faire des vérifications. Et comme ce sont des faits, il n’y a pas de place à l’erreur! Enfin, c’est un travail de détective que j’apprécie beaucoup, peu importe l’univers du roman. Car même si l’histoire se déroule dans un monde fantastique, il est primordial pour moi que tout se tienne et que les renseignements que je donne soient justes.

À tout coup, dans vos romans, vous mettez en scène des personnages féminins forts, qui découvrent en eux leurs véritables richesses. Est-ce réfléchi ou est-ce par réflexe?
Les deux à la fois. Je suis entourée de femmes fortes qui n’ont jamais eu peur de dire ce qu’elles pensaient, alors c’est tout naturel pour moi. D’ailleurs, je suis toujours surprise quand on m’interroge à propos de mes personnages féminins forts; on ne poserait jamais la question à un homme qui présente des personnages masculins forts. Ça prouve, sans doute, qu’il y a encore de gros problèmes d’équité dans la littérature… même si nous sommes en 2017. Les femmes méritent mieux que d’être des copines de service ou des fiancées éplorées; elles peuvent être fières, indépendantes, méchantes… Et je ne mets jamais en scène ces femmes fortes au détriment des hommes, car mes personnages masculins sont toujours très solides, à l’image des hommes qui m’entourent dans la réalité.

Vous êtes bachelière en design industriel et vous avez été conceptrice de jouets. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous tourner vers l’écriture?
L’écriture a été ma grande passion d’adolescence. J’ai commencé à écrire mes premières histoires à 14 ans et elles ont toujours continué de germer dans ma tête. Mais comme j’avais plusieurs intérêts, j’ai choisi de faire un cours à l’université où les perspectives d’emploi étaient meilleures. Par contre, comme l’affirme le dicton : « Chassez le naturel et il revient au galop! » Lorsque je suis arrivée sur le marché du travail, mes tâches étaient très répétitives et m’ennuyaient beaucoup. J’ai donc voulu me diversifier et j’ai commencé en illustrant quelques romans jeunesse. Puis, j’ai décidé d’effectuer le grand saut vers la rédaction de romans et j’ai redécouvert ma passion.

Vous écrivez chez différents éditeurs – pratique qu’on retrouve assez fréquemment chez les auteurs jeunesse, contrairement aux auteurs pour adultes. Y a-t-il une raison particulière à cela?
Ce n’est pas toujours par choix, mais les éditeurs ont souvent des collections qui correspondent à différentes tranches d’âges. Comme j’écris au gré de mon inspiration et non toujours pour un même public, je propose mes projets selon ce qui peut leur convenir. Parfois, certains manuscrits arrivent au mauvais moment ou encore ils ont un thème trop ressemblant à un autre roman de la maison d’édition, alors il me faut voir ailleurs s’il y a de l’intérêt. Même après seize romans, je vis encore de l’incertitude à chaque envoi et je redoute les refus. Mais ça fait partie du métier…

Vous avez, par le passé, écrit sous pseudonyme, notamment la série « Amblystome ». Pourquoi avoir fait le grand saut et avoir choisi de dévoiler le tout en cours de série?
Comme « Amblystome » était très différent de ce que j’avais écrit auparavant, je ne voulais pas qu’on l’associe à ce que j’avais fait dans la littérature jeunesse. Le public était complètement différent. Je dirais aussi qu’en tant que femme, ce n’est pas facile d’avoir de la crédibilité dans la science-fiction, malgré toutes les recherches qu’on s’impose pour concevoir une histoire étoffée. Mais au troisième tome, je jugeais qu’il était temps que je me dévoile. Je compte d’ailleurs conserver mon pseudonyme lorsque je récidiverai dans la science-fiction pour adultes, car j’ai encore beaucoup d’histoires de ce genre en tête!


Photo : 
© Martine Doyon

Publicité