Timothée de Fombelle: Écrivain sans âge

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Il pourrait être l'ami de ses lecteurs, jeunes ou vieux. Le Français Timothée de Fombelle fait partie de ces êtres qui éclairent une pièce d'un sourire gamin, puis qui, au détour d'une réflexion, prononcent les paroles sages d'un vieil homme. De passage au Québec, le nouveau lauréat du Prix jeunesse des libraires du Québec (catégorie hors-Québec, 12-17 ans) pour le premier tome de «Vango» n'aura pas assez d'une vie pour tout raconter.

Ça tombe bien, il n’a pas 40 ans. Du temps, il en a encore beaucoup pour catapulter ses personnages d’une époque à une autre, pour les faire rire, les effrayer, les faire sauter du haut des falaises ou d’ailleurs, les faire aimer à la folie, passionnément. Rien de fade ou de timoré chez ce romancier de l’Hexagone. Magicien des mots, il maîtrise le dosage, suffisamment pour attirer un lectorat universel.

Ils étaient d’ailleurs nombreux à adopter, dès 2006, Tobie Lolness, ce garçon d’à peine un millimètre de haut, habitant d’un arbre et héros de la série éponyme en deux tomes, ou encore à vibrer pour l’histoire écolo-amoureuse de Céleste, ma planète, parue il y a deux ans. En parcourant les deux tomes de «Vango» récemment publiés, les lecteurs découvrent cette fois le destin d’un jeune homme de taille humaine qui n’a pas froid aux yeux, pourchassé par des personnages étranges, dans un entre-deux-guerres qui a inspiré l’auteur. Les grands-parents de M. de Fombelle devenaient adultes à ce moment de l’Histoire… «J’ai été très attaché à mes grands-parents. Ils m’ont raconté des milliers de souvenirs dans lesquels je suis retourné puiser. Je voulais écrire sur une période où il s’était passé des choses à la fois tragiques et fantastiques, sur une période pleine d’aventures, faite de choix importants», insiste de Fombelle.

Des voyages qui font écrire
Au-delà des dangers menaçants, il y a, si forte et prenante, cette quête insatiable de tout connaître sur tout, de découvrir les mystères de ses origines et d’atteindre toujours des sommets, quitte à risquer les chutes. Dans ce grand roman d’aventures où les voyages prédominent, c’est entre autres à bord d’un ballon dirigeable que Vango prend son envol pour voir le monde. «J’habite Paris, je suis né à Paris, mais j’ai toujours beaucoup voyagé, en suivant par exemple mon père architecte. Avec ma famille, on a vécu un peu partout et ensuite, comme jeune prof, je suis parti enseigner au Vietnam. Les voyages font partie de la construction de mon imaginaire.»

C’est d’ailleurs sur l’île de Salina, sans doute une des plus belles îles éoliennes de Sicile, que de Fombelle a consacré trois mois de son temps à l’écriture de «Vango». Avec de pareilles origines dans une nature où tous les éléments s’amalgament, ce roman ne pouvait pas faire autrement que solliciter tous les sens du lecteur. «C’est propre à mon écriture, j’ai besoin que le lecteur entre dans le présent de l’écriture, dans l’instant de la langue. Si je fais sentir l’odeur d’un lieu, si je décris sa lumière, si je parle du bruit des feuilles dans un arbre, tout de suite, on est vraiment dans l’instant, donc captif de mon histoire. C’est un peu les mécanismes de l’hypnose, poursuit-il. J’enveloppe le lecteur dans une bulle de sens. Je ne fais aucun effort pour ça, ça m’est totalement naturel.» Avec «Vango», le romancier a ouvert les vannes du plaisir, ne se limitant pas cette fois à un arbre comme lieu d’action principale. «Elle m’habitait depuis longtemps, cette saga. En écrivant  » Tobie Lolness  », je sentais déjà les petites frustrations… Je ne pouvais pas mettre les gratte-ciel en avant-plan, ni le bruit de la mer qui est en première page de  » Vango  ». J’écrivais déjà ce présent roman dans le creux de mes livres précédents.»

Les enfants d’abord
Cette histoire déjà mûre, créée en Italie alors que l’écrivain ne se limitait pas dans son abandon des sens a donc de quoi séduire des gens de tous âges. Avec de Fombelle, les livres n’ont pas d’âge, aussi magiques entre les mains du jeune curieux qu’entre celles, plus plissées, d’un octogénaire assoiffé d’aventures périlleuses. «Il ne faut pas écrire en pensant que les adultes sont les prescripteurs de ce que lisent leurs enfants. Il ne faut pas essayer de les séduire en lâchant les enfants en chemin. Parfois, il y a des livres qui font plaisir aux adultes et moins aux enfants. J’écris pour moi, pour moi enfant, pour moi adulte, pour moi quand je serai vieux et que je raconterai l’histoire à mes petits-enfants», déclare-t-il dans un sourire.

Un sourire qui l’amène à parler de Jeanne, sa fille de 6 ans et demi, qui lui insuffle beaucoup d’inspiration. «L’enfance est un moment empreint d’un imaginaire tellement libre et vaste que ma fille me sert un peu de modèle dans ma manière d’appréhender le monde.» C’est peut-être parce que sa petite a l’imagination débordante qu’une foule de personnages peuple ses créations: «C’est plus les adultes qui s’y perdent. Les jeunes sont habitués. Dans le jeu vidéo, il y a beaucoup d’imaginaire. En même temps, les enfants sont sensibles à la poésie, à la complexité d’une construction et à la richesse de la langue. Il ne faut pas les bloquer, de peur qu’ils butent sur un mot. Les mots peuvent exister comme des diamants un peu particuliers, comme des objets magiques.»

Celui qui s’est retiré de l’enseignement pour se consacrer à l’écriture à temps plein estime aussi qu’il n’est pas nécessaire de faire court pour séduire l’oeil juvénile. Ensemble, les deux tomes de «Vango» font plus de 700 pages: «J’ai un grand plaisir à lire une oeuvre qui peut m’accompagner sur toute une tranche de vie, ou sur tout un été… J’aime la profusion dans l’écriture d’un roman. C’est d’autant plus étonnant que j’écris du théâtre qui lui, est plutôt serré, minimaliste.»

Dans les terrains vastes qu’il défriche, ses héros deviennent en quelque sorte ses alter ego. En même temps, ils le dépassent, vont où de Fombelle aurait aimé jouer, courir, danser. Ils découvrent ce que l’auteur aurait rêvé de découvrir: «Je leur fais vivre ce que je n’aurais pas le courage de vivre. J’ai cette même soif d’absolu que Vango, mais moi, je suis dans le réel. C’est donc tellement clair qu’on écrit pour faire l’incommensurable et tant mieux si ça donne des frissons.»

Bibliographie :
VANGO (T. 1), Gallimard, 370 p. | 28,50$
UN PRINCE SANS ROYAUME. VANGO (T. 2), Gallimard, 392 p. | 28,95$

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