Sur les ailes d’Anne Robillard

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Le mot « prolifique », dans le domaine de l'écriture, est souvent galvaudé. Mais dans le cas de l'écrivaine québécoise de fantasy Anne Robillard, le qualificatif est clairement de mise et constitue presque un euphémisme. Anne Robillard, faut-il le rappeler, est la femme derrière la célèbre série « Les chevaliers d'Émeraude », fresque complexe et débridée ancrée dans un monde de créatures magiques. Et qui fait un malheur auprès des lecteurs, les jeunes au premier chef, partout où elle passe.

Prolifique, Anne l’est, car outre les « Chevaliers », celle qui confesse écrire comme elle respire a au fil des ans a donné vie à une multitude de manuscrits, dont ceux de la saga en sept tomes « A.N. G. E. », plantée dans un univers fantastique.

Et voici que l’auteure tire des recoins de son imaginaire et de ses archives « Les ailes d’Alexanne », sa toute nouvelle série romanesque destinée aux ados, mais pas uniquement. En entrevue avec le libraire, Anne Robillard, la voix vibrante de passion — car elle n’est jamais tiède face à son œuvre et à ses personnages, qui sont comme des membres de sa famille —, raconte que sa genèse découle d’un événement tragique dans son existence, un événement qui s’est produit alors qu’elle était au début de la vingtaine : la mort brutale de sa cadette. Une mort due à une crise d’emphysème mal diagnostiquée alors qu’Anne avait 23 ans, et Josée, 22. Un choc d’autant plus terrible pour la jeune adulte que la nouvelle lui a été annoncée sans gants blancs par son père, au téléphone, de surcroît : « Il m’a appelée de l’hôpital où ma sœur était entrée pour une intervention sans gravité aux sinus, et il m’a dit froidement que « [ma] sœur n’aura plus de problèmes ». Vous vous rendez compte? Elle est entrée à l’hôpital en parfaite santé, et n’en est jamais ressortie. » Anne est carrément tombée très malade à la suite de ce décès : « C’était l’incompréhension totale, je ne voyais pas comment on pouvait mourir ainsi. » Lorsqu’elle parle, la portée du choc est encore palpable dans sa voix.

Renaissance
Après une longue période de convalescence qui suit cet événement traumatisant, Anne a voulu exorciser sa peine et affronter pleinement la peur de la mort. Ce n’est qu’au bout de plusieurs années, cependant, qu’elle écrit le synopsis des « Ailes d’Alexanne », qui se voulait au départ l’histoire d’un deuil et du processus qui mène à la guérison, puis au retour à une vie entière. Anne explique de plus que dans sa forme initiale, « Les ailes d’Alexanne » était destinée à être un début de scénario de films, un genre que l’auteure pratiquait avant de se tourner vers l’écriture romanesque. Ce n’est que plus tard qu’elle a retravaillé le script, l’étoffant pour lui donner la forme actuelle.

En lisant le premier tome de la série, mystérieusement intitulé 4h44, on devine une partie de ce qui fait le succès des ouvrages d’Anne Robillard : bien que son univers soit débridé, rempli d’inventions de toutes sortes, les héros en sont très accessibles et leur profil psychologique, très contemporain, infiniment moderne, ce qui rend le processus d’identification très aisé au lecteur. Alexanne, par exemple, comme l’explique Anne Robillard, « est une fille de Montréal, une ado typique de 15 ans qui s’intéresse aux garçons, à ses cheveux. À la mort de ses parents, elle part à la campagne chez sa tante, qui est tout le contraire d’elle ». Au fil du temps, Alexanne va changer, passer du superficiel au spirituel…tout en découvrant un univers magique, dans lequel les fées et les anges volent la vedette.

L’amour des lecteurs

Chez Guy Saint-Jean, on définit « Les ailes d’Alexanne » comme une série pour adolescents, mais fidèle à elle-même, Anne refuse les catégories, et rappelle qu’elle ne vise jamais un public spécifique dans ses écrits : « Mon public est vraiment de tous âges; j’ai par exemple reçu une lettre d’une lectrice, une dame d’un certain âge, qui était touchée par l’histoire, car elle avait un cœur jeune. » Un cœur jeune, comme beaucoup des fidèles lecteurs qui suivent Anne à travers ses créations. Cette dernière cultive d’ailleurs un lien exceptionnel avec son lectorat. En marge de l’univers des « Chevaliers d’émeraude », elle a d’ailleurs tissé le maillage d’un groupe nombreux et chaleureux de fans, voire d’adeptes, avec lesquels elle organise des réunions costumées autour de jeux de rôles, mais aussi de simples rencontres amicales axées sur la bonne chère et le plaisir tout simple. Ce prolongement dans le réel de son univers créatif semble une source importante de satisfaction pour ce « bourreau de travail » qui passe le plus clair de son temps à son bureau.

Cette nouvelle série devrait, pense Anne, comprendre trois volumes, « mais [elle] n’en [est] pas certaine, on verra ». Car on ne doit pas juguler le potentiel créatif de l’auteure, qui se laisse souvent guider par ses rêves pour ses écrits. Des rêves étonnement précis, complexes et détaillés, qu’elle partage au matin avec sa collaboratrice, conseillère et confidente, qui est aussi sa sœur, Claudia.

L’imaginaire, on le voit, est un compagnon constant dans la démarche de l’auteure, et dans son existence même. Et ce, depuis toujours, confirme Anne : « Je suis née comme ça. Enfant, je racontais les histoires, je préférais en fait les inventer plutôt que de les lire, et cela ne s’est jamais arrêté. »

Et de fait, dans une journée de travail, Anne ne s’arrête guère. Face à ses nombreux projets d’écriture menés de front, l’écrivaine divise sa journée, mais de façon flexible : «Je peux travailler cinq ou six heures sur une série, pour passer un peu de temps sur « Alexanne » et finir avec deux ou trois heures d’écriture pour « A.N.G.E. » ». En riant, l’écrivaine ajoute : « Et le soir, je suis morte, je n’ai même plus de temps à consacrer à mon petit chien. »

Revenant aux « Ailes d’Alexanne », sa petite dernière, Anne Robillard explique que s’il fallait retenir une idée directrice pour sa série, ce serait celle de l’importance pour la société de respecter les enfants, « et peut-être aussi de dire aux gens :  » Arrêtez de miser sur le matériel, songez au spirituel » ».

Bibliographie :
4h44. Les ailes d’Alexanne (t. 1), Guy Saint-Jean Éditeur, 320 p. | 14,95$

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