Si on l’a d’abord connue comme chanteuse, puis comme comédienne, Stéphanie Lapointe semble maintenant comblée par l’écriture. Après avoir remporté le Prix littéraire du Gouverneur général pour Grand-père et la lune, elle récidive du côté du roman graphique avec Jack et le temps perdu (XYZ), illustré par Delphie Côté-Lacroix. Elle signe aussi la série « Fanny Cloutier » (Les Malins), qui charme les jeunes comme les moins jeunes. Cette série rafraîchissante, originale et colorée se déploie sous la forme éclatée de journaux intimes ressemblant à des scrapbooks, superbement illustrés par Marianne Ferrer, dans lesquels se confie Fanny, une adolescente de 14 ans. 

Quelle a été l’étincelle de départ pour votre série « Fanny Cloutier »?
Je voulais trouver le moyen d’offrir une histoire qui serait à la fois sensible et accrocheuse, presque bâtie à la manière d’un scénario de film! Dès le début, je la voyais portée par un personnage imparfait, et qui grandirait avec mes lecteurs. J’avais terriblement envie de créer un univers unique en proposant un projet qui serait entièrement en couleurs, rempli de dessins, de petits objets incorporés, et qui ferait vivre le livre entre les mains de celui qui le tient… J’ai eu l’incroyable chance d’avoir un éditeur assez visionnaire et courageux pour me suivre dans cette aventure!

Les thèmes de la solitude et du deuil semblent vous interpeller. En quoi ces thèmes vous inspirent-ils?
Il y a tellement de thèmes qui m’inspirent… Mais je crois que les lieux de la solitude ou du deuil qu’on nous force à visiter nous rendent plus riches, plus forts, plus humains. On fait parfois tout pour l’oublier dans nos vies qui roulent à 100 km/h, mais quand on ferme les lumières, le soir, c’est face à nous qu’on se retrouve, inévitablement, face à notre solitude. Les personnages qui me touchent le plus sont ceux qui grandissent et qui affichent (souvent malgré eux !) une certaine part de vulnérabilité, alors je suppose que ces thèmes continueront de m’inspirer longtemps.

Qu’est-ce qui vous fascine dans l’adolescence?
Ce sont les périodes de grands bouleversements qui m’inspirent : les changements de cap, les crises de la trentaine, de la quarantaine… les rêves perdus, retrouvés, les grosses tempêtes dans un verre d’eau. Et l’adolescence est sans doute l’une des étapes les plus charnières de notre vie. Le souvenir que je garde de mon adolescence, c’est celui de me sentir comme une funambule, qui essaie d’avancer avec un pied dans l’enfance, et l’autre dans le monde plus aride des adultes. C’est à cette étape qu’on commence à prendre conscience de ce qu’on a reçu de nos parents, de nos racines, et de ce qu’on veut laisser derrière pour bâtir de notre propre cru. C’est mélangeant, c’est grisant, c’est paralysant! C’est beau.

Le père de Fanny, tout comme le personnage de Jack dans Jack et le temps perdu, sont des personnages imparfaits. Pourquoi était-ce important pour vous de montrer leurs failles?
C’est Leonard Cohen qui l’avait dit le plus habilement : « There is a crack in everything, that’s how the light gets in ». J’ai voulu — spécialement dans « Fanny » — créer des personnages d’adultes imparfaits, brisés de l’intérieur. Tout au long de la série, ce sont eux qui deviennent les catalyseurs des folles aventures de Fanny. Je me souviens qu’enfant, je croyais que les adultes étaient tellement pleins de certitudes, de réponses… En vieillissant, on réalise que derrière nos habits, nos cravates, nos emplois bien rémunérés… on est tous un peu les mêmes. On veut la même chose, trouver notre place dans le monde. C’est ce thème qui, inconsciemment, a guidé beaucoup de choses que j’ai écrites ces dernières années.

La série « Fanny Cloutier » est superbement illustrée par Marianne Ferrer. Comment avez-vous trouvé cette collaboration? Aviez-vous des images en tête en l’écrivant?
C’est que du bonheur de travailler avec Marianne. Elle avait la sensibilité parfaite pour ce projet. J’ai bâti le premier tome de la série en y insérant des images de référence qui résonnaient avec le texte, et tout s’est enchaîné le plus naturellement du monde. On est parties de cette idée qu’on voulait des illustrations qui soient crédibles, parfois réalisées avec beaucoup de minutie, mais parfois construites seulement dans l’urgence de dire… Marianne se dévoue tellement pour « Fanny », je suis privilégiée d’avoir une collaboratrice aussi talentueuse et travaillante à mes côtés!

La série « Fanny Cloutier » sera adaptée au cinéma. Parlez-nous de ce projet.
C’est la plus belle nouvelle de mon année 2018! Je suis tellement emballée à l’idée de voir l’univers de Fanny vivre au cinéma! J’ai écrit le premier tome du livre à la manière d’un scénario de film — chaque scène servant à faire avancer le récit — et, secrètement, j’avoue que j’espérais dans mes rêves les plus fous que mon histoire soit portée à l’écran. Je ne pensais jamais que ça arriverait si rapidement. On entame, Anne-Hélène Hébert et moi (coscénaristes du film), l’écriture du scénario cet automne et je suis impatiente de m’y plonger! Je vais tout donner pour que le scénario soit à la hauteur de ce que j’ai en tête!

Que représente l’écriture pour vous?
J’ai fait beaucoup de choses ces quatorze dernières années et l’écriture m’a permis, pour la première fois de ma carrière, de me sentir complètement sur mon X. J’y trouve mon équilibre, un certain calme, mais aussi un monde plein de possibilités. J’ai toujours adoré trouver le bon mot pour dire les choses (je suis une amoureuse du français!) et c’est un privilège de pouvoir imaginer des histoires. Une chose est certaine, je crois que sans mon parcours au cinéma ou en musique, je n’aurais pas eu les outils (et la discipline!) pour pouvoir écrire et aller au bout de mes idées.

 

Photo : © Éditions les Malins

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