Simon Boulerice est la coqueluche du milieu littéraire : il écrit bien, il est prolifique, il est drôle, il est touchant et il est terriblement attachant. Ce qui caractérise son œuvre – riche de soixante titres parus en moins de douze ans – est cette capacité à sonder un sujet écarté des conversations quotidiennes pour l'envelopper d'une profondeur immense, d'une sensibilité précieuse et d'en tisser ensuite mille et une métaphores, comme autant de variations qui demeurent pourtant un même thème. C'est d'ailleurs ce qu'il fait dans Papier bulle : en parlant d'hémophilie, il aborde non pas la maladie, mais plutôt le quotidien d'une jeune fille qui doit apprendre à vivre avec tout ce sang qui déborde. Sang qui fait devenir femme, sang qui peut devenir art, sang qui rappelle les combats.

 

Papier bulle, Ève PatenaudeAucun sujet ne vous freine. Dans Les monstres en dessous, il est question d’énurésie. Dans Le dernier qui sort éteint la lumière, vous parlez d’homoparentalité. De beauté, dans Éric n’est pas beau et L’éclat de ma transparence. Vous avez aussi abordé la non-voyance, l’autisme, l’obésité et le vitiligo. Cette fois, dans Papier bulle, vous parlez d’hémophilie, mettant notamment en scène une jeune fille qui a ses menstruations. Écrire à ce sujet, n’était-ce pas là l’un des derniers tabous de notre littérature, et de notre littérature illustrée?
Il est vrai que j’aime braquer un projecteur sur des sujets décalés ou sur des personnages qui vivent des réalités tues. J’adore relever la part d’universalité dans le particulier, et ce livre épouse bien mes thèmes de prédilection. L’hémophilie touche une fraction de l’humanité, et essentiellement des hommes et des garçons? Parfait : voilà mon dévolu jeté sur une adolescente hémophile qui vit le bouleversement de ses premières menstruations! Pour illustrer cette réalité, Eve Patenaude a su sublimer le prosaïsme du sang en fleurs rouges. Ce qu’elle a créé, c’est à la fois doux et somptueux. 

Vous avez signé cette œuvre avec Eve Patenaude aux illustrations, votre cousine. Est-ce qu’un lien familial dans une relation auteur-illustrateur vient changer la donne? 
Non, ça ne change rien dans la création en soi. Ça demeure l’imaginaire d’une autre artiste qui se dépose sur le mien, pour faire une œuvre totale. Mais ce lien familial, comme n’importe quelle relation sincère – une amitié, par exemple, ajoute un petit supplément d’âme lors des entrevues en amont de la parution du livre, et en aval lors des séances de signatures. La complicité est déjà là, irrémédiablement.

Ce lien de sang me fait même sourire, alors que le livre traite précisément des traces de sang.

Dans Papier bulle, votre héroïne fait du karaté, malgré l’interdiction que ses parents imposent, pour ne pas qu’elle se blesse et saigne. On y voit d’ailleurs quelques mouvements appris, lorsqu’elle fait ses katas. Vous êtes-vous déjà adonné à ce sport? Pourquoi avoir choisi ce sport en particulier pour démontrer la force retenue de la protagoniste? 
Le karaté est un sport qui nous réunit, Eve et moi. Je l’ai pratiqué enfant, et Eve l’a pratiqué dernièrement avec ses garçons. Au-delà de notre propre connaissance des katas, je trouvais que ce sport incarnait bien l’esprit manga du livre. Il faut préciser ici que tout le projet puise son essence dans les mangas (bandes dessinées japonaises). C’est en voyant les dessins de feutres à l’alcool de ma cousine Eve que j’ai eu l’idée de ce livre – des feutres utilisés par les mangakas. J’étais fasciné par le verso des dessins, car l’encre transperçait le papier. Eve m’a alors dit qu’on appelait cela le « bleeding ». Le saignement des feutres. Je me suis alors souvenu de l’hémophilie d’une de mes amies d’enfance, Karine Viau. J’ai arrimé le fond et la forme, comme je me plais souvent à le faire.

Papier bulle est votre 60e titre. Vous avez collaboré, pour tous ces livres, avec différents éditeurs au Québec, voire en France. Comment qualifieriez-vous la relation que vous entretenez avec un éditeur? Le travail sur vos manuscrits est-il une étape que vous appréciez particulièrement?
C’est un moment important pour moi, car je ne fais pas lire mes textes à beaucoup de gens avant mon éditeur ou mon éditrice. Ses commentaires sont souvent précieux, judicieux. Je fais confiance à l’intelligence et à la sensibilité de mes directeurs et directrices littéraires comme je ferais confiance à une ou un metteur en scène lorsque je suis comédien : c’est-à-dire en respectant ma propre créativité, mais en faisant preuve de souplesse. Nous voulons toujours concocter le livre le plus solide possible. Tristan Malavoy, mon éditeur sur ce projet, a fait un travail formidable. Je salue ici sa délicatesse et l’acuité de son intelligence.

En complément : lire l’entrevue avec Eve Patenaude, qui signe les illustrations de Papier bulle.

Photo : © Groupe HMH

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