On a pu remarquer ses dessins éditoriaux dans le Los Angeles Times, Coup de pouce, Elle Québec et même dans le Wall Street Journal. Côté albums jeunesse, on l’aura vue dans la liste des finalistes du GG pour Le grand méchant loup dans ma maison et être récompensée au concours Communications Arts Illustrations pour Debout!. Sa passion du métier est contagieuse (vous le verrez en lisant ses réponses!) et son dévouement à l’art est grand. Cette saison, cette Montréalaise nous invite à plonger dans son univers grâce à ses deux récentes nouveautés : L’ébouriffée et Les baleines et nous.

Vous publiez avec L’ébouriffée votre premier album dont vous êtes à la fois l’auteure et l’illustratrice. Quelle liberté ce double chapeau vous permet-il?
Dernièrement, j’ai écouté une entrevue avec des auteurs-illustrateurs qui disaient que ce double rôle leur donnait l’impression d’être le Tout-Puissant Créateur. C’est un peu vrai… Pour ma part, j’ai vite réalisé qu’être l’auteure d’une histoire que j’allais illustrer me mettait dans une position délicate où j’avais tendance à mettre de côté de bonnes idées qui représentaient un trop grand défi à illustrer. J’avais le pouvoir d’épargner l’illustratrice ! Par exemple, présentement, je débute un album jeunesse écrit par Rina Singh qui commence par cette indication : « Quartier de ville vu d’un drone. » C’est cruel! Je ne me serais jamais écrit une pareille phrase! (Je compte bien relever le défi, mais mes nuits sont plus agitées.) Et je ne m’écrirais pas non plus une histoire remplie de voitures, car je déteste les dessiner… Je pense donc que si j’écris un deuxième album, je devrai me faire croire que ce ne sera pas moi qui l’illustrerai. Et ensuite… surprise! Ce sera moi (enfin j’espère).

L’histoire de L’ébouriffée est celle d’une petite fille dont les cheveux, indomptables, attirent les oiseaux, les moutons et même un piano. Qu’est-ce qui vous a poussée à aborder ce thème de façon aussi fantaisiste?
L’inspiration est arrivée le jour où j’ai eu cette pensée : « Et si un couple d’araignées tombait dans mes cheveux et y fondait une famille à mon insu… » Voilà une perspective terrifiante pour qui craint cette bête, mais j’aimais l’idée qu’un monde pouvait exister là, derrière ma tête… Comme je ne voulais pas en faire une histoire d’épouvante, j’ai retiré les araignées et j’ai amorcé un long processus d’écriture. Ce texte a somnolé sur ma table de travail pendant plus de vingt ans! La suite est inspirée de mon histoire personnelle. Petite, je détestais mes cheveux frisés qui me donnaient beaucoup de fil à retordre. Ils ont pris un espace ÉNORME et disproportionné dans mon esprit. Je croyais dur comme fer qu’il fallait à tout prix les combattre (c’est-à-dire les aplatir). Embrasser cette différence ne faisait pas partie de l’équation. Dès le plus jeune âge, je me suis investie dans cette bataille comme si mon salut en dépendait. Puis, un jour, fatiguée d’aller à contre-courant, j’ai enfin décidé de regarder la bête d’un autre point de vue et de l’apprivoiser… puis de l’aimer.

Pas besoin d’avoir les cheveux fous pour s’identifier au personnage de L’ébouriffée. Quiconque n’aime pas un trait de sa personnalité ou de son apparence sait à quel point une idée négative de soi peut prendre des proportions beaucoup trop grandes et rendre la vie misérable. Or, il ne tient qu’à soi de changer son fusil d’épaule (ou plutôt de le déposer par terre) et d’aller vers plus d’égard envers soi-même.

Extrait tiré du livre L’ébouriffée (Dominique et compagnie) : © Nathalie Dion

En octobre paraît aux éditions de La Bagnole Les baleines et nous, un livre documentaire qui rend un poétique hommage aux cétacés. Cet ouvrage fabuleux, signé par India Desjardins, va au-delà des simples faits scientifiques et propose des observations, mais aussi des questionnements sur des propos tenus à propos des baleines dans les anecdotes, légendes ou histoires (Pinocchio, Moby Dick) les mettant en scène. Qu’avez-vous le plus apprécié dans ce mandat d’illustration? On ne dessine probablement pas une baleine pour un documentaire de la même façon qu’on le ferait pour un livre de fiction, non?
C’est certain qu’il ne fallait pas trop styliser les baleines, mais je me suis quand même permis d’y mettre du mien dans les textures, les compositions, les personnages et d’y inclure quelques petits clins d’œil. Contrairement à l’album jeunesse où les personnages évoluent au fil des pages, Les baleines et nous propose un sujet différent à chaque page, comme dans un magazine. Ce mandat était donc la fusion entre l’illustration éditoriale et l’album jeunesse; de l’« éditorial-jeunesse »! En plus, comme je n’étais pas très ferrée en matière de « baleines » au départ, ça a été un projet très instructif! J’ai adoré.

Votre style en est un très texturé. De quelle façon travaillez-vous?
Je ne travaille jamais tout à fait de la même façon d’un album à l’autre. D’abord, je me monte une banque de textures à la gouache ou à l’aquarelle que je numérise. Ensuite, dans Photoshop, je coupe, colle et peins sur des milliers de calques… Par contre, pour Les baleines et nous, j’ai utilisé principalement les pinceaux aquarelle de Photoshop.

L’ébouriffée paraît simultanément en français chez Dominique et compagnie et en anglais chez Groundwood Books, ainsi qu’éventuellement en allemand. C’est d’ailleurs le cas de plusieurs de vos livres. Qu’est-ce qui demeure universel dans l’art, selon vous, et qui justifie que différents pays, différentes langues apprécient un même ouvrage?
Personnellement, je considère l’album jeunesse comme un objet d’art au même titre que la peinture. En tant qu’illustratrice, je tombe d’abord en amour avec un livre pour ses illustrations et ensuite avec le texte, si affinités. Le premier contact avec un album est visuel… Se pourrait-il que ce soit ce qui explique qu’il voyage plus facilement qu’un autre objet littéraire?

Extrait tiré du livre Les baleines et nous (La Bagnole) : © India Desjardins (texte) et Nathalie Dion (illustrations)

Vous faites également de l’illustration éditoriale. Quelle est la principale différence, selon vous, entre mettre son art au service d’une histoire (pour un album, par exemple) et le mettre au service d’un sujet (une commande du Boston Globe ou du Wall Street Journal, par exemple)?
Mon approche reste la même dans les deux sphères, qu’il s’agisse d’une page pour un éditorial ou d’une page parmi trente-deux d’un album jeunesse. Je souhaite que de chaque illustration (ou page) se dégage une émotion et je travaille jusqu’à ce que ça arrive. Ensuite, en illustrant un album jeunesse, on a la chance de créer un univers qui évolue et dans lequel on peut se plonger pendant des mois, tandis qu’un éditorial est une brève histoire d’un jour. Je suis, dans les deux cas, au service du sujet!

Dans Le grand méchant loup dans ma maison, texte signé par Valérie Fontaine aux 400 coups, vous abordez ensemble le difficile sujet de la maltraitance familiale. En tant qu’illustratrice, comment abordez-vous le tout? Quelles limites y a-t-il à ne pas franchir ou, au contraire, lesquelles faut-il dépasser?
Quand j’ai lu ce texte si puissant de Valérie Fontaine, j’ai fondu en larmes. C’est immensément triste qu’un tel livre soit nécessaire…

Je n’avais aucune idée de comment j’allais le faire, mais je voulais illustrer ce conte. Puis, le moment venu, je me suis laissée guider par mon intuition et ma sensibilité. Je savais simplement que je voulais faire quelque chose de tendre malgré la dureté du sujet. Comme pour prendre dans mes bras et accueillir ce petit lecteur qui se sentirait concerné par ce conte. J’ai fait le pari d’évoquer l’ambiance dans la maison entre les gestes de violence plutôt que de les montrer. La violence a mille façons de s’exprimer et je ne voulais pas en choisir une et risquer que le petit lecteur visé ne reconnaisse pas sa situation et se referme. Idem pour les décors.

La directrice artistique, May Sansregret, m’avait promis une « carte blanche » pour illustrer ce texte — ce dont je me méfie toujours, car j’ai appris à travers les années que la fameuse carte blanche s’avère trop souvent être plutôt un drapeau rouge annonçant son contraire, mais dans ce cas-ci, c’était vrai. Je suis vraiment reconnaissante envers May de m’avoir suivie dans cette démarche plutôt minimaliste.

Photo : © Mathilde Dion-Lavertu

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