Avec son talent pour allier éléments floraux et luminosité joyeuse, qui de mieux que Lucie Crovatto pour illustrer la couverture de notre édition estivale? Celle dont le nom figure dorénavant sur plusieurs albums a d’abord étudié le design graphique et a notamment travaillé dans le milieu publicitaire et éditorial, avant de faire le grand saut dans celui de l’illustration jeunesse. Depuis, ses illustrations tout en douceur et en rondeur viennent bonifier chacune des histoires auxquelles elles s’accolent.

En quoi mettre en images le monde de l’enfance est-il différent de le faire pour celui des adultes? Quel regard devez-vous porter autour de vous pour vous plonger dans la jeunesse?
Je suis mère d’un adolescent et j’habite dans une rue remplie d’enfants, ce qui fait que j’ai été presque quotidiennement plongée dans le monde de l’enfance depuis une quinzaine d’années. J’adore les albums jeunesse, les librairies sont mes lieux favoris que je visite toujours lorsque je voyage. Les livres jeunesse sont toujours les souvenirs préférés que je rapporte des pays visités. Je crois aussi que toutes mes illustrations portent quelque chose de l’enfance, qu’elles soient pour adultes ou non, mon imaginaire est très enfantin. Une anecdote assez marrante : un jour que je gardais ma nièce, je lui ai dit de faire sa sieste à côté de moi pendant que je travaillais et au bout d’un moment, elle m’a regardée dessiner et m’a dit : « Tu devais pas travailler, toi? » C’est un beau cadeau de la vie que d’illustrer des livres pour enfants comme métier, c’est se plonger pour une longue période dans un univers qui est différent chaque fois.

Illustration tirée du livre Au beau débarras : La mitaine perdue (Québec Amérique) : © Lucie Crovatto

Vous travaillez notamment principalement avec des crayons de bois. Qu’est-ce que ce type d’outils vous permet que les autres médiums ne vous permettent pas?
Je travaille essentiellement avec des crayons de couleur et de plomb. Je dessine les différentes parties de mes illustrations que je numérise et juxtapose en couches superposées dans le logiciel Photoshop en ajoutant des textures chinées ici et là. Le crayon de bois est le médium que je maîtrise le mieux. Et parallèlement, j’utilise beaucoup l’efface, un effet qui peut laisser penser que je me sers des pastels. J’adore la volupté que produit l’efface sur le trait de crayon de couleur.

De quelle façon vous êtes-vous immiscée dans l’univers décrit par Lucie Papineau dans sa série d’albums L’escapade de Paolo, Un jardin pour Tipiti le colibri, À la rescousse de Mia la tortue et Une maison pour Pippa la souris?
J’ai travaillé avec elle alors qu’elle était éditrice de l’album La gardienne du musée écrit par Simon Boulerice et nous avions envie de faire un projet ensemble. Lucie voyait un animal comme personnage principal et moi j’avais en tête une petite fille curieuse. C’est ainsi vers la découverte du monde animalier que la petite fille et son perroquet — un toui — se sont tournés pour donner naissance à la collection « Le petit monde de Camille et Paolo ».

Jusqu’où une illustratrice peut-elle aller pour rajouter sa touche, sa participation, à un livre illustré?
J’aborde le livre pour enfants comme un véritable travail de collaboration. Je lis d’abord le texte et fais des esquisses très rapidement pour voir le rythme de l’histoire. J’essaie de montrer ce que le texte ne dit pas, j’essaie aussi d’apporter ma vision à l’histoire. Par exemple, dans le livre de Simon Boulerice La gardienne du musée, il mentionnait souvent dans son texte que la peinture était laide, que les gens la trouvaient abominable, de sorte que j’ai décidé qu’on ne verrait jamais cette toile, mais que ce seraient les visages et l’expression des gens qui la regardent qui feraient ressentir cette laideur au lecteur et qu’il puisse ainsi se l’imaginer à sa façon.

Comme moi !, Lucie CrovattoOn retrouve beaucoup d’éléments liés à la faune et à la flore dans vos ouvrages, notamment dans les récents Une maison pour Pippa la souris et Comme moi! Comment travaillez-vous pour rendre réels écureuils, oiseaux, fleurs et autres éléments vivants?
Le défi n’est pas de rendre les animaux parfaitement réels, mais davantage d’incorporer des éléments qui sont d’un niveau documentaire à une histoire de fiction. Le ton et le style doivent être un peu entre les deux : pas complètement réalistes, mais assez pour que les jeunes puissent utiliser ce livre aussi à titre de référence. Un hybride entre le documentaire et la fiction, autrement dit.

Illustration : © Lucie Crovatto

S’il y a un qualificatif pour parler du Sablier de Papijo (Dominique et compagnie), cet album merveilleux qui fait honneur à la lenteur, c’est « lumineux ». Vos couleurs, principalement dans les teintes de jaune, y sont éclatantes, vaporeuses, invitantes, soyeuses. Comment abordez-vous, en tant qu’artiste, ces effets de lumière?
Oui, je voulais l’album de Papijo lumineux, car faire les choses simplement, ce n’est pas ennuyant et je voulais transmettre cette joie à travers des couleurs étincelantes. Comme vous dites, ce sont les jaunes et les couleurs chaudes qui donnent cette lumière très éclatante à cet album. J’ai aussi intégré petit à petit des grains de sable qui tombent, comme des petites poussières dans les rayons du soleil, chaque fois que les personnages font une activité significative. Ces grains créent une ambiance vaporeuse et magique. La qualité de l’impression était par ailleurs très importante pour moi : le choix du papier fait en sorte que les couleurs sont saillantes! Nous nous sommes arrêtés sur un papier 100% postconsommation, pour aller avec les valeurs que transmet le livre, et les imprimeurs d’ici ont fait un excellent travail pour que l’album soit des plus vifs!

Vous illustrez la série Au beau débarras, signée par Simon Boulerice (Québec Amérique). Qu’appréciez-vous particulier dans cette série? Qu’est-ce qui vous inspire le plus?
Dans cette série, j’ai adoré incarner les personnages si colorés écrits par Simon et camper les lieux du beau débarras en inventant un endroit comme s’il existait quelque part au coin d’une rue, un bâtiment avec une aura vintage, des personnages joyeux tous très différents les uns des autres, mais qui se complètent dans une belle harmonie. J’ai pensé à une couverture où le protagoniste de chaque histoire serait devant la porte d’entrée du beau débarras et où chacun regarderait à travers la vitre. Ainsi, sur chacune des couvertures, tour à tour se succèdent Abdou dans La mitaine perdue, Borrasca dans La flûte désenchantée et finalement le petit Arun et son bout de crayon bleu dans Le ciel incomplet; on reconnaît facilement la collection grâce à cette vieille porte en bois qui lui donne son petit ton rétro.

Quels sont vos projets en cours de création?
Lucie Papineau, connaissant ma passion pour la restauration de vieilles maisons, m’a offert avec les Éditions de la Bagnole un beau texte à illustrer qui mettra en vedette l’architecture sous forme de fiction, probablement pour une sortie au printemps 2023. Pour les éditions Dominique et compagnie, je poursuis dans la nouvelle collection « Débridée » avec un album qui sera visuellement très différent du premier. À l’opposé du Sablier de Papijo, qui était saturé en couleurs vives, ce livre sera fait avec une utilisation très économe de la couleur (parution à l’automne 2022). Et j’aimerais aussi écrire et illustrer mon premier livre au cours de 2023. Bref, de belles surprises à venir au courant des prochains mois!

© Extrait tiré du livre Le sablier de Papijo de Roxane Turcotte et Lucie Crovatto (Dominique et compagnie)

Photo : © Myriam Thibeault

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