Voilà plus de vingt-cinq ans que Lucie Bergeron écrit de la littérature jeunesse, explorant de nombreux genres et thèmes pour s’adresser aux petits. Pourtant, ce n’est qu’en 2019, avec Dans le cœur de Florence, qu’elle se tourne vers les adolescents, public qu’elle retrouve maintenant avec La fille qui voulait tout, publié chez Soulières éditeur.

Reconnue pour être une maison d’édition qui accueille et guide ses auteurs en leur offrant une grande liberté artistique, Soulières éditeur n’a pas eu peur de la forme du récit, choisie en écho à l’éclatement de l’adolescence elle-même. « J’ai vraiment voulu faire tomber toutes les barrières parce que ça faisait vingt-cinq ans que j’écrivais pour les enfants et que des barrières, des limites, des obligations, des façons de construire les récits se sont accumulées autour de moi. L’adolescence, c’est le moment où on fait tout éclater, et cette façon de libérer ma créativité est ce qui m’apporte autant de joie et de plaisir. »

C’est ainsi qu’on rencontre Alma, jeune musicienne classique de violon de 16 ans à la croisée des chemins, alors qu’elle hésite quant à son avenir musical, dans un récit qui prend la forme d’une courtepointe — les différents passages et les nombreuses voix se mêlant pour offrir diverses couleurs et textures aux lecteurs.

Si la musique est au cœur du récit, celle-ci prenant même la parole sous forme de poésie au fil des pages, Lucie Bergeron a aussi souhaité explorer le thème de la relation père-fille. Bien que présent seulement en filigrane dans la vie de sa fille, lors de brèves rencontres dans le parc, le père s’exprime ponctuellement dans le récit, quand Alma se remémore les histoires qu’il lui racontait quand elle était petite, sur la ferme familiale, avant que sa mère demande le divorce. La langue alors privilégiée, très orale, tranche avec la narration plus classique d’Alma, changeant le rythme de la lecture et ajoutant une couleur à l’harmonie générale.

Ayant grandi dans la musique classique, Lucie Bergeron a hésité, à l’adolescence, entre celle-ci et l’écriture. C’est en quelque sorte pour comprendre pourquoi la musique prenait tant de place dans sa vie, et pourquoi elle avait plutôt choisi les mots, que l’autrice s’est lancée dans l’écriture de cette histoire où, au départ, Alma devait peu à peu se séparer de son violon. Mais Lucie Bergeron fait partie de ces créateurs qui voient leurs personnages prendre vie au fil de la rédaction et l’adolescente a refusé la direction initiale. « J’avais vraiment l’impression que plus j’avançais dans le roman et plus elle s’accrochait à son instrument, qu’elle me disait que je ne pouvais pas lui faire lâcher son violon », explique-t-elle.

Cette voix d’Alma bien réelle, tangible, on l’entend lors de la lecture de cette histoire qui réussit le pari difficile de parler de musique classique de façon très crédible à des adolescents tout en évitant le piège de l’hermétisme. Lucie Bergeron a fait lire les passages concernant le violon à son fils, lui-même musicien dans un orchestre, a écouté de nombreuses classes de maître pour voir comment ceux-ci guident leurs élèves les plus talentueux, mais a aussi toujours gardé en tête lors de son premier jet qu’il lui fallait rendre « la musique symphonique accessible ».

Par ailleurs, elle a voulu qu’Alma ne représente pas le « type classique ». À ceux qui reprochent à cette héroïne qui a grandi sur une ferme de parler différemment et de venir de la campagne, elle leur rétorque que c’est tout ce qu’elle a vu et entendu de la nature qui l’a constituée comme musicienne. « Pour moi, c’était important d’avoir une héroïne atypique par rapport à la musique classique, explique Lucie Bergeron. J’ai aussi aimé créer Madame Drosdova, parce que les professeurs russes, et la tradition russe musicale, sont importants. »

« Les plus grandes émotions artistiques que j’ai eues dans ma vie sont venues de la musique », raconte la prolifique autrice, qui a écrit cet opus sur fond de violon classique, tout comme cette entrevue d’ailleurs. Une belle façon de conjuguer ses deux passions pour créer des flammèches littéraires dans un récit qui s’adresse aux adolescents, mais qui pourrait aussi parler aux plus vieux. Ceux qui sont soumis à des limites et à des contraintes pourraient gagner à retrouver le plaisir de l’éclatement, de la ferveur adolescente.

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