Cela fait maintenant dix-sept ans qu’Odile Josselin est arrivée chez Pastel – la ramification belge des éditions françaises L’école des loisirs qui célébrait en 2018 ses 30 ans - et plus de dix ans qu’elle en dirige le catalogue. À sa venue au Québec l’automne dernier, nous en avons profité pour prendre un café et jaser de la collection. Voici le résultat de cette rencontre.

Vous avez œuvré dans le domaine scolaire, pour ensuite passer quelques temps aux éditions Bordas, puis travaillé douze ans pour la maison jeunesse Didier, avant de déménager à Bruxelles et d’entrer chez Pastel. À travers votre expérience, comment définiriez-vous l’évolution de la littérature jeunesse?

Je n’ai pas une vision générale, je ne peux parler que de ce que je connais. Nous on publie uniquement des albums illustrés pour les plus jeunes. On a principalement des auteurs belges qui nous donnent une particularité, un ancrage. Il y a du travail de fond à faire en littérature jeunesse avec des partenaires, on a la chance d’avoir soudé des liens avec les libraires, les bibliothécaires, les parents, les pédagogues, d’avoir des auteurs qui font beaucoup de rencontres. Ce qui a changé, c’est qu’il y a de plus en plus d’éditeurs – je parle surtout de la France plutôt que du Québec, que je connais moins – la création s’est développée et il y a beaucoup de choses de meilleure qualité qui sont proposées. Il faut être bons, quoi!

Avec le livre jeunesse, on peut faire des présentoirs, des piles, mais c’est aussi le livre qui a touché un enfant et qui a envie de l’offrir à un anniversaire, c’est aussi qu’il s’est passé quelque chose en classe, c’est à travers l’expérience qu’il y a quelque chose qui s’installe. Ce qui est intéressant aussi en littérature jeunesse, c’est qu’il y a des modes pour les professionnels, mais pas vraiment pour les lecteurs. Ce qui fait que des livres comme Tu ne dors pas, petit ours?Devine combien je t’aimeLes mots douxC’est moi le plus fort se vendent bien chaque année. Ça prouve bien qu’un bon livre, il reste même si pour le moment on préfère les dessins plus en aplat, etc., ce qui compte pour les enfants, c’est l’histoire et l’identification.

Quelles qualités doit avoir un bon éditeur jeunesse?

Il faut rester dans ses convictions profondes, avoir un désir de transmission, ne pas avoir trop d’idées préconçues, laisser de la liberté aux artistes. Nous sommes le relais entre eux et le lectorat, il faut être curieux et pas trop autoritaires pour ne pas encombrer ou être frustrants dans la création.

Vous avez pris le relais de Christiane Germain à la direction de Pastel. Le transfert s’est bien passé?

À mon arrivée chez Pastel, j’ai travaillé sept ans avec Christiane Germain et on s’est très bien entendues. Et ce qui est intéressant chez Pastel, c’est qu’on peut aller au plus profond de ce qu’on veut travailler avec les artistes et les auteurs. Il n’y avait pas de réunions ou des choses comme ça, on faisait les choses ensemble. Peut-être que certaines choses, je ne les perçois pas comme elle les percevait, il y a une part de subjectivité dans notre travail. Je sais que c’est important quand on reprend un catalogue comme je le fais de continuer la mission, mais il y avait déjà des convictions qui étaient les mêmes que les miennes.

Les libraires et les lecteurs aiment beaucoup la collection Pastel et plusieurs titres de la maison sont récompensés par divers prix. À quoi attribuez-vous votre succès, dans ce milieu de l’édition où il n’est pourtant pas si facile de se démarquer?

Nous avons la chance de travailler avec des auteurs de talent et de leur laisser suffisamment de liberté et de les accompagner pour aller au fond des choses, une forme d’exigence. Quand je réfléchis aux auteurs Pastel qu’on a eus avant ou qui arrivent, ils ont cette même exigence. Après, les prix des libraires ou des enfants, ça veut dire qu’on est tombés juste. C’est d’ailleurs ces prix qui ont pour nous le plus de résonnance.

Outre le fait que Pastel est la filière belge de L’école des loisirs, est-ce qu’il y a quelque chose qui la distingue de la maison générale?

Oui, c’est très difficile pour moi de l’exprimer, mais au moment des 30 ans, c’est l’occasion de regarder ce qui est différent, et effectivement Pastel a une sensibilité différente parce que nécessairement, on ne fait pas les mêmes choix que les autres. Une grande proportion des créateurs vient de la Belgique, mais avec les ordinateurs, on peut facilement aussi travailler à distance. Il y a aussi beaucoup de Français qui viennent faire les écoles d’art en Belgique. Il y a une culture de l’illustration qui est quand même un peu différente, par exemple la culture de la BD. L’ouverture vers les cultures anglo-saxonnes, les pays du nord se fait peut-être plus aisément que la France aussi.

Vous êtes complètement indépendants de L’école des loisirs dans vos choix?

En terme de décision, oui.

Vous publiez environ combien de livres par année?

Entre trente et trente-cinq. Ça permet de suivre les auteurs de la maison, d’en accueillir des nouveaux, ça permet de faire des achats à l’étranger pour faire connaître d’autres horizons graphiques, d’autres manières de raconter, parfois de faire aussi des choix un peu patrimoniaux en reprenant des titres qui ont été publiés il y a longtemps, comme ceux par exemple d’Helen Oxenbury que j’adore.

Ça vous arrive alors de découvrir de nouveaux talents?

Oui, Julien Béziat par exemple, j’ai reçu son premier projet par mail. Et je participe à des jurys dans les écoles d’art et découvre d’autres artistes dans les foires internationales.

Comment se passe la sélection des ouvrages que vous décidez de publier, est-ce que ça doit passer par un comité?

Non, je décide, je n’ai pas de relectures à faire faire. Évidemment, il faut que ça marche un peu. J’ai un cadre, on m’a donné la confiance pour m’occuper d’un catalogue, donc je le fais dans cet esprit.

Vous arrive-t-il parfois de faire preuve d’audace et de sortir du cadre?

Oui, je trouve ça intéressant, même pour dynamiser les lieux. Par exemple, il y a un livre que j’ai publié qui s’appelle La grande forêt d’Anne Brouillard, il y a un peu plus de pages, il y a des pages un peu plus BD, un peu plus de textes et elle envisage d’en faire plusieurs. Anne Brouillard elle est très connue, elle a beaucoup de talent, mais je n’avais jamais travaillé avec elle. Je voyais bien que c’était un projet compliqué, ce n’est pas ce qu’on fait d’habitude, mais c’est superbe, on enrichit le catalogue avec quelque chose d’un peu surprenant même si ça s’adresse aux enfants. Il ne faut pas que ce soit quelque chose de cérébral.

Chaque livre possède sa particularité donc. En même temps, vous diriez qu’il faut quels critères pour avoir un bon livre jeunesse?

Il faut une bonne histoire, il faut avoir envie de tourner la page. Il y a très peu de pages, mais quand même, sur trente-deux pages par exemple, il faut à la fois être concis et il faut suffisamment de rebondissements, d’humour, d’attachement aux personnages pour rester dedans et pour le recommencer. À la première lecture, j’essaie de me mettre dans la peau d’un lecteur enfant.

Oui, car un livre jeunesse qui va plaire à l’adulte ne plaira pas nécessairement à l’enfant et vice versa. C’est difficile pour un adulte de savoir ce qui plaira aux enfants, non?

C’est un risque, hein. Et oui, il faut se remettre dans l’esprit de l’enfant qu’on était. Quand mes deux filles avaient l’âge pour les albums, elles mettaient toujours le doigt sur des choses auxquelles je n’avais pas pensé. Pas qui remettent en cause le projet, mais elles voyaient certains détails que je n’avais pas vus.

Combien y a-t-il de titres dans votre catalogue?

De disponibles, il y en a autour de 600. On en a publié plus de 900, il y en a certains malheureusement qu’on ne peut pas garder au catalogue, mais il y en a beaucoup qui y restent. On peut trouver en fonds des livres qui ont un certain nombre d’années.

Vous, est-ce que vous étiez une enfant lectrice assidue?

Moi, je n’avais pas tous ces albums. J’avais les livres de la collection Rouge et or et ceux de la Bibliothèque rose, mais c’est tout, je n’avais pas d’albums.

Parmi les récents titres de Pastel, vous pouvez nous en pointer quelques-uns?

Il y a La nuit de Berk de Julien Béziat – qui fait suite à l’album Le bain de Berk qui a remporté le Prix jeunesse des libraires du Québec 2018 dans la catégorie hors Québec 0-5 ans. On a un très bel album illustré par le Québécois Stéphane Poulain, Le géant, la fillette et le dictionnaire, ensuite on a Une histoire à grosse voix d’Émile Jadoul qui est intéressant par son rapport avec l’intimité de la lecture et en même temps il fait son effet s’il est lu en groupe. Il y a un livre, Adorable, c’est tout moi!, de Carl Norac avec le petit hamster Lola qui rêve à travers un jeu télé d’être la plus adorable pour gagner. Attention, ce n’est pas moral, mais quand derrière une histoire amusante on parle de quelque chose d’important, c’est intéressant.

Oui, lire un livre avec un enfant, c’est l’occasion d’aborder certains sujets, en plus d’établir un rituel et de créer un moment propice pour renforcer l’attachement.

Il y a une vidéo très intéressante sur le sujet où on voit le bébé aller du livre à l’adulte et de l’adulte au livre, en fait il navigue tout le temps entre les deux. C’est exactement le rôle du livre.

 

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Photo : © Pastel

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