La littérature jeunesse en 2016 : c’est quoi? Le point de vue de la libraire

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Chantal Fontaine est libraire chez Moderne et siège également au comité de lecture 0-4 ans de Communication-Jeunesse, en plus d'être membre du jury du Prix jeunesse des libraires du Québec. Son expertise étant sans conteste, nous lui avons poser quelques questions pour mieux cerner la littérature jeunesse québécoise, en 2016. 

Selon vous, qu’est-ce qui distingue la littérature jeunesse québécoise contemporaine de celle d’ailleurs?
Spontanément, je dirais que les auteurs d’albums français me font rire; ils maîtrisent l’art de la chute, du bon mot qui clôt l’histoire. Les auteurs de littérature québécoise, toujours sur le plan des albums, m’émeuvent, me touchent, me bouleversent davantage. Je dirais que les auteurs québécois osent plus; ils abordent des sujets plus difficiles, plus tabous, risqués, donc. Ils enrobent leurs histoires avec beaucoup de sensibilité mais ne craignent pas de bousculer l’univers doré des enfants. Ainsi, Elliot, de Julie Pearson et Manon Gauthier, Le tragique destin de Pépito, de Pierre Lapointe et Catherine Lepage, et le tout récent Y’a pas de place chez nous, de Andrée Poulain offrent une réalité plus crue mais très actuelle. Ce constat me fait penser que les auteurs et les éditeurs québécois sont peut-être davantage à l’écoute de la marche du monde, si je puis dire, ainsi que plus prosaïquement, du milieu scolaire. Les romans ne sont pas pour autant en reste avec Mon frère n’est pas une asperge, de Lyne Vanier, Eux et Camille de Patrick Isabelle ou Fé M Fé d’Amélie Dumoulin. Les auteurs québécois appréhendent avec justesse les tourments de l’adolescence. Rares sont les gros romans, cependant. Les histoires sont courtes et certes efficaces, ou bien morcelées en série. Craint-on de faire peur à nos jeunes avec un pavé ou n’est-ce qu’une question d’argent? Pourtant, nos jeunes lecteurs dévorent de belles briques de la littérature étrangère.

J’ajouterais à cela que nos auteurs possèdent assurément une belle plume et n’hésitent pas à plonger dans la prose ou la poésie. Ils ont du rythme, de la couleur dans leurs mots, et les enfants, peu importe l’âge, sont capables de l’apprécier. Je pense à la collection « Clin d’œil » chez Isatis, aux maisons d’édition La montagne secrète et Planète rebelle, aux « Poésies pour Zinzins » de François Gravel et au magnifique Quand j’écris avec mon cœur de Mireille Levert.

De nos jours, à quoi sert la littérature jeunesse?
À instiguer le goût de la lecture, évidemment, ce qui favorise l’apprentissage, et ce, peu importe la matière. Courte tranche de vie : feu mon oncle, un intellectuel vraiment bourru mais que j’appréciais beaucoup, avait l’habitude de dire que « si tu ne sais pas lire et écrire, tu ne sais pas penser ». C’est tellement vrai! J’aime à croire que la littérature jeunesse peut vraiment éveiller les esprits, élargir les consciences et contribuer à faire de nos enfants des adultes allumés, équilibrés, empathiques et citoyens du monde. Le mode de vie effréné que l’on mène n’échappe pas aux enfants, et ceux-ci y sont confrontés quotidiennement : vite le bus, vite l’école, vite la leçon de musique ou le cours de natation; bref, entre la routine et les écrans, la lecture offre aux enfants un moment d’arrêt, une pause, et l’esprit peut s’évader, enfin. Il ne faut pas oublier que par la lecture se développent l’imagination et la créativité, de magnifiques outils pour une société toujours en mutation. C’est aussi une magnifique façon d’aborder des thèmes plus rébarbatifs et un outil fabuleux pour présenter des problématiques ainsi que leurs solutions potentielles.

Quelles grandes thématiques reviennent le plus souvent dans la littérature jeunesse québécoise?
Les différences, quelles qu’elles soient, et la difficulté de vivre avec celles-ci, de les apprivoiser; l’amour et l’amitié, avec ce que ça compte comme hauts et bas; le quotidien scolaire et familial : le vivre-ensemble, l’intimidation, la solitude, le divorce…; le bien-être et son contraire : la quête d’identité, à 7 ou 15 ans, n’est jamais simple, par exemple.

La littérature jeunesse québécoise actuelle est-elle didactique, moralisatrice?
Selon moi, c’est raté lorsqu’elle est moralisatrice! Elle est forcément didactique lorsque les auteurs présentent des sujets difficiles. Le tout est de le faire avec subtilité et c’est tout un art! Parce que l’enfant, qu’il ait 5 ou 12 ans, n’est pas dupe. Il n’aura pas envie de lire ou de se faire lire un livre qui lui dicte quoi faire ni comment le faire. C’est la limite de la didactique. Heureusement, la plupart des auteurs québécois parviennent à passer leur message aux enfants d’une heureuse façon, ce qui fait le bonheur des parents et celui du milieu de l’éducation. La littérature jeunesse québécoise se prête admirablement bien aux discussions, qu’elles se déroulent en milieu scolaire ou en famille. Je pense au toujours pertinent Simon Boulerice avec son Edgar Paillette ou son Jeanne a le sourire à l’envers, à Deux garçons et un secret d’Andrée Poulin et Marie Lafrance, au magnifique L’Arbragan et au Dragon vert, entre autres, de Jacques Goldstyn. Cependant, la littérature jeunesse québécoise n’est pas que porteuse d’un message et c’est très bien ainsi! Nos auteurs savent aussi lâcher la bride et produire des albums ou des livres tout simplement divertissants.

Quelle est la plus belle qualité de notre littérature jeunesse?
Étrangement, c’est la question la plus difficile, pour moi. Son ouverture sur le monde? Ses auteurs qui sont vraiment à l’écoute des enfants? Son dynamisme, parce qu’elle est jeune et qu’elle se cherche sans doute un peu? Sa diversité, surtout. Que l’on songe à Méchant Far West de Marthe Pelletier et Richard Écrapou ou à Tommy l’enfant-loup de Samuel Archibald et Julie Rocheleau, la littérature jeunesse québécoise est originale et ne manque pas de mordant! En tout cas, un peu de toutes ces réponses, j’imagine! Elle est riche autant que fabuleuse et je suis très heureuse d’avoir le nez dedans!

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