Huit années se sont écoulées depuis sa dernière incursion en littérature pour adolescents, et pourtant, l’autrice et journaliste Julie Champagne n’a jamais quitté ce public qui est si cher à son cœur, au contraire. Rédactrice en chef chez Curium, revue scientifique destinée aux adolescents, elle a le plaisir de le côtoyer au quotidien.

« Je suis aux premières loges de ce qui les fait vibrer, de ce qui les interpelle. J’étais donc plus présente que jamais, je crois, mais mon énergie était plus consacrée à leur parler sur un ton d’information, à les renseigner », explique-t-elle alors que nous discutons de son parcours et des voies parallèles empruntées ces dernières années.

Les rejoindre à travers la fiction est toutefois différent, surtout avec un roman aussi intimiste. En vérité, on sent tout de suite à la lecture de Cancer ascendant autruche qu’il y a quelque chose d’éminemment personnel qui se cache entre les lignes, impression qui se confirme quand la voix de l’autrice faiblit au moment d’évoquer le point de départ de ce récit. Si sa série précédente L’escouade Fiasco était basée sur des anecdotes vécues et a été un hommage à ses amitiés adolescentes, ce livre-ci est quant à lui né d’un drame réel dans sa famille, le cancer d’une tante qui lui était chère, et nécessitait une tout autre approche des souvenirs.

En vérité, il aura fallu dix ans à Julie Champagne pour porter ce projet, le laisser grandir à son rythme, pour s’autoriser à l’écrire. Et il est important pour elle de spécifier que, bien que racontant le combat d’une mère contre le cancer et les tentatives désespérées de sa fille pour trouver des solutions (tout en se gardant bien d’affronter la vérité), Cancer ascendant autruche n’est pas un calque de la réalité. C’est plutôt « la finalité, les grands thèmes, la luminosité qu’on peut percevoir malgré l’épreuve, la destination finale [qui] sont quand même proches de moi », dévoile l’autrice.

Le thème de l’impuissance est particulièrement mis en évidence au fil des pages. « On a tous, je crois, une Sam au fond de nous qui voudrait sauver quelqu’un d’une maladie et tout faire pour y arriver », note Julie Champagne, qui s’est beaucoup attachée à ce personnage. À son image, Sam a une pensée bavarde, un esprit qui explore sans cesse l’univers des possibles, les digressions se suivant les unes les autres dans le roman et formant une carapace autour de cette adolescente atypique. À ses côtés, son petit frère Marcus offre un contraste frappant. Avec sa candeur extrême, il donne une touche de folie à certaines scènes et a permis à l’autrice de créer une chimie familiale malgré la maladie, une bulle de légèreté à l’ensemble.

Pour éviter la lourdeur du propos, la forme du roman a aussi été travaillée, le cadre habituel ayant été éclaté grâce aux messages qu’envoie Sam tout au long du récit, alors qu’« elle écrit des lettres comme des bouées à la mer » à tout un tas de destinataires, un écho à son désir viscéral de se mettre en action devant le drame. Ces passages clés ont servi de phares à l’autrice au fil du récit alors qu’elle a dû se détacher de ses habitudes d’écriture, mais aussi d’humaine, tout simplement.

En effet, pour celle qui se targue d’utiliser l’humour pour désamorcer toutes les situations et a fait du sarcasme son arme de prédilection, une des grandes difficultés de ce récit a été d’assumer pleinement la profondeur de certaines scènes. « C’est un défi que je me suis donné comme auteure : laisser vivre l’émotion sans la désamorcer par un trait d’humour. » Au fil de l’écriture, elle a donc dû accepter de plonger en elle-même et de faire face à la tristesse qui remontait parfois alors qu’elle allait puiser dans des émotions bien réelles.

« Il y a certains passages que je ne peux pas lire, ce serait trop proche de moi. Je peux parler [de Cancer ascendant autruche] de façon positive, je peux même faire des blagues, mais certains passages sont tellement à vif, même après tout ce temps. »

La fin est notamment d’une grande sensibilité, alors que, après avoir tenu l’émotion à distance longtemps grâce à sa verve et à sa façon bien à elle de gérer la situation, la tête bien enfoncée dans le sable, Sam doit faire face à la réalité, offrant un grand moment de symbiose avec ses lecteurs.

Difficile de quitter des personnages qui ont cohabité si longtemps dans son esprit? « Oh, oui! » s’exclame l’autrice, qui avoue avoir beaucoup de difficulté à laisser partir Sam et Marcus et pourrait bien un jour leur faire un clin d’œil dans un autre récit. Dans tous les cas, elle sait que l’écriture de Cancer ascendant autruche a changé sa façon de raconter, de penser ses personnages, d’entremêler la fiction et la réalité. « Il y a un avant et un après », dit-elle, un sourire dans la voix. À suivre, donc!


Pour en savoir plus sur ce livre, suivez le balado Situation initiale sur Sophielit.ca, où l’épisode d’avril est dédié à Julie Champagne.

Photo : © Chantale Lecours

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