Isabelle Arsenault : L’aplomb fulgurant d’une discrète

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Elle ressemble aux héroïnes qu’elle dessine : pure beauté naturelle, réservée et timide, sans pour autant manquer d’aplomb. En voyant Isabelle Arsenault débarquer de son vélo pour me rejoindre au café où nous avons rendez-vous, j’admire le mélange de talent et de renommée qui font sa réputation (et quel talent!) grâce à sa manière singulière de saisir la poésie du monde entier, surtout celle propre à l’enfance, pour l’illustrer ensuite avec la passion des acharnées à l’ouvrage; je me dis que les auteurs désireux de travailler avec elle doivent faire la file. Récemment, c’est avec la non moins talentueuse auteure Fanny Britt qu’elle a collaboré, d’abord en illustrant l’album Jane, le renard & moi, puis Louis parmi les spectres. Rendez-vous avec une créatrice à part entière.

« Je dirais qu’Isabelle, c’est la puissance déguisée en douceur, le torrentiel voilé de discrétion », me dira d’elle sa complice à l’écriture, Fanny Britt, avec qui la chimie a opéré dès les premiers jets de la création du fameux album Jane, le renard & moi, inspiré de la vie de l’incomparable Jane Eyre, personnage culte de Charlotte Brontë, qui a eu une vie dont rêveraient tous les auteurs et illustrateurs jeunesse. Vendu à plus de 20 000 exemplaires, traduit en plusieurs langues et ayant reçu une pléthore de nominations et de prix plus tard, dont celui du Gouverneur général en littérature jeunesse pour les illustrations, cet album porte-bonheur qui continue de rayonner partout autour du monde a scellé la relation « successful » entre Arsenault et Britt, en plus de marquer d’une pierre blanche la trajectoire de l’illustratrice.

L’album qui change une vie
« Fred me l’avait dit que cet album allait changer ma vie », déclare Isabelle Arsenault. Fred, ou Frédéric Gauthier, est nul autre que son mari, le père de ses deux garçons et son éditeur, cofondateur de la maison d’édition québécoise La Pastèque, qui recevait ses lettres patentes en 1998 avant de connaître le succès et la réputation qu’on lui connaît, en publiant Arsenault, certes, mais aussi des auteurs, illustrateurs et bédéistes de la trempe de Michel Rabagliati, Pascal Blanchet, Cyril Doisneau, Marianne Dubuc, Élise Gravel, Jacques Goldstyn, Jean-Paul Eid, pour ne nommer que ceux-là.

Dans leur résidence débordant de livres du quartier Mile-End à Montréal – dont la vie de ruelle servira d’ailleurs de toile de fond dans un prochain album dont elle signe aussi les textes pour le Québec, mais aussi pour le Canada anglais et les Américains – comme au boulot, Fred est son plus précieux complice, un motivateur, fin conseiller éditorial, visionnaire et dévoué. Entre eux, depuis leur première rencontre professionnelle – qui s’est vite transformée en coup de foudre – dans un café, alors qu’Isabelle était au sortir de son baccalauréat en design graphique à l’UQAM en 2001, l’alliance ne saurait être plus enrichissante. « J’ai beaucoup de respect pour Fred, pour ce qu’il a bâti, son opinion compte pour moi, il m’inspire comme éditeur, comme lecteur, comme père… »

Oui, ça ressemble un peu à un conte de fées. Trop humble, prudente et sérieuse, tout en esquissant toujours le début d’un sourire à la commissure des lèvres, ce n’est pas la trentenaire originaire de Sept-Îles qui décrirait haut et fort l’histoire ainsi. D’autant plus que son chemin, elle l’a forgé en besognant fort-fort dès la petite école alors qu’elle tentait toujours de se dépasser, entre autres pour épater son père, un ancien directeur d’usine dont elle a hérité du talent en dessin. Introvertie et appliquée, c’est en puisant à l’encre d’une jeunesse heureuse que cette cadette d’une famille de trois enfants s’exprimait le mieux, sûre dès son plus jeune âge qu’elle ne voulait faire que ça de ses dix doigts : illustrer. Son père, comme sa mère, une talentueuse manuelle, l’ont toujours encouragée, tout comme ses enseignants en arts plastiques durant son adolescence passée au Collège Beaubois dans l’Ouest de l’île de Montréal où elle n’a cessé de peaufiner son art.

Ses petits hommes et le courage
Désormais maman, ses fils de 9 et 12 ans lui montrent chaque jour le monde de leur point de vue, sources infinies d’inspiration, si bien qu’ils ne sont pas étrangers à la création de Louis parmi les spectres, nouvelle histoire imaginée par Fanny Britt qui l’a d’emblée séduite. « On est dans un univers plus masculin que dans Jane, le renard & moi par exemple, j’aimais l’idée d’explorer de nouveaux thèmes, dont celui du courage chez les garçons. » Créé en partie en s’isolant dans son chalet des Laurentides avec pour seuls compagnons sa chatte Valentina et les mots de sa précieuse collaboratrice, elle a donné formes et couleurs à ce Louis de 11 ans qui apprend le courage « à la dure » auprès d’une maman qui a peur de tout et d’un papa qui pleure quand il boit. Entouré de son ami Boris et de spectres, ce nouveau héros du duo de gagnantes saura conquérir le cœur des lecteurs, les petits comme les grands.

Au contact de la nature, Isabelle Arsenault se plaît. Pas étonnant, donc, que ses illustrations soient parsemées d’arbres, de fleurs, d’animaux et de ciels dégagés ou ennuagés. Nostalgie, mélancolie et poésie teintent ses planches, rendant son travail reconnaissable entre tous les autres, unique avec ses traits d’une splendeur à couper le souffle. Quand je lui fais remarquer que c’est sans doute pour se rapprocher de la nature justement qu’elle s’est retirée en solo dans les bois durant cinq semaines, elle ricane : « Euh… je travaillais du matin jusqu’à tard le soir, je mangeais moyennement bien, et il pouvait m’arriver d’ouvrir la porte pour prendre une bouffée d’air avant de retourner à mes affaires. En fait, j’avais pris du retard, je savais que c’est de cette manière que j’allais être efficace en si peu de délais. » Quant à Fred, il se pointait de temps à autre avec des denrées pour que sa douce tienne le coup… Fin de l’idée romantique que je me faisais d’une Isabelle Arsenault créatrice dans les bois. Qu’à cela ne tienne, ce dévouement total n’est pas près de la faire souffrir. Elle a atteint son objectif de vivre exclusivement de son art. Mais, les deux pieds sur terre, elle n’est pas du genre à s’emballer ou à se péter les bretelles. Sans être une sempiternelle angoissée, elle sait que sa chance, il faut la faire, ne jamais s’arrêter trop longtemps pour en jouir. Surtout, rester aux aguets, être vigilante et bosser encore, encore et encore. « Maintenant, je veux durer », affirme-t-elle avec cet aplomb qui tranche avec sa réserve naturelle. Ses deux facettes de sa personnalité lui ont bien servi jusqu’à maintenant. Qui oserait en douter? Et bien sûr qu’elle va durer.

Photo : © Cindy Boyce

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