Isabel Allende

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Auteure de romans au succès planétaire, Isabel Allende s'est récemment offert, avec La Cité des dieux sauvages, un détour du côté de la littérature dédiée aux adolescents. À travers le récit de l'expédition qui a pour but de dénicher une bête mystérieuse tapie au cœur de l'Amazonie et à laquelle se joint le jeune Alexander Cold, la romancière chilienne explore une toute nouvelle facette de son œuvre, riche en folklore et en leçons de vie. En plus d'offrir à ses petits-enfants le plus beau des cadeaux en leur dédiant cette fabuleuse aventure, elle avoue avoir elle-même beaucoup appris au cours de l'écriture de ce premier volet d'une trilogie.

On raconte que La Cité des dieux sauvages est né d’une promesse faite à vos petits-enfants. C’est vrai ?

Oui. Je racontais déjà depuis plusieurs années des histoires à mes enfants et je leur avais promis qu’un jour, j’écrirais quelque chose pour eux. Je ne pouvais pas le faire alors qu’ils étaient encore en bas âge ; et parce qu’en majeure partie, j’ai énormément de difficulté à écrire pour de très jeunes lecteurs. Mais maintenant qu’ils ont grandi, je peux cerner plus aisément leurs intérêts et m’en servir pour mes livres. En quelque sorte, mes petits-enfants m’ont aussi inspiré mes personnages. Par exemple, pour décrire Alexander, je me suis basé sur l’exemple d’Alessandro, qui a aujourd’hui douze ans, et j’ai tenté de brosser son portrait à l’âge de quinze ans. Quant à Nadia, elle est née de l’inspiration de Nicole et Andrea, mes deux petites-filles.

Et l’Amazonie semblait alors le lieu idéal pour ce qui, au fond, constitue un roman d’apprentissage.

Mon petit-fils m’a donné l’idée de situer cette première aventure en Amazonie, car cette région est au centre d’enjeux écologiques et politiques, en plus d’être associée aux mystères, à la magie et au danger. Mes lecteurs y trouveraient tous les éléments qui les intéressent : je me suis donc rendue là-bas et j’ai passé plusieurs semaines à me documenter.

Et quel est donc le rôle de ce fameux songe que vous avez déjà évoqué comme étant le point de départ de votre roman ?

C’est un rêve qui date déjà de plusieurs années — après la mort de ma fille en fait. J’étais alors en panne d’inspiration puis j’ai eu ce songe à propos de quatre indiens Yanomamo d’Amazonie qui transportaient une boîte destinée à un conquistador. À l’intérieur se trouvait quelque chose qui aspirait tous les sons du monde. Le bruit d’un ruisseau, les cris des singes, le vent sifflant entre les branches, le rire d’un enfant ; tout était, d’une certaine manière, volé au monde par cette chose tapie à l’intérieur de la boîte. En me réveillant, je me suis mise à réfléchir à toutes ces histoires entourant l’Amazonie qui pouvaient être racontées et, incidemment, m’aiderait à sortir de l’impasse.

En raison de l’engouement populaire qui entoure les aventures de Harry Potter, beaucoup d’auteurs se sont aventurés dans les avenues de la fantasy mais bien peu laissent place, comme vous, aux subtilités du réalisme magique. C’est une partie de votre héritage culturel ?

Certes ! Je suis tout à fait à l’aise avec le réalisme magique parce que c’est une tradition littéraire d’Amérique du Sud. En revanche, j’avoue ne pas éprouver le même sentiment envers la fantasy ; je suis trop réaliste pour cela. Le réalisme magique se distingue de ce genre parce qu’il est basé d’abord sur quelque chose de concret. Par exemple, Harry Potter se sert parfois d’une cape d’invisibilité dans ses aventures. Dans La Cité des dieux sauvages, on rencontre des indiens invisibles parce qu’ils peinturent leur corps aux couleurs de l’environnement qui les entoure. De plus, ils avancent calmement, en parfaite communion silencieuse avec la nature. Aucun d’eux n’a recours à un objet magique. Même lorsque Nadia et Alexander se transforment en leur animal totémique, c’est parce qu’ils ont pris une drogue prescrite par un chaman pour s’imprégner de la force et de l’agilité de celui-ci. Il s’agit d’un transfert d’esprit et non pas d’une transformation féerique à proprement parler.

Vous accordez une grande importance aux mythes et légendes de l’Amazonie. C’est un sujet que vous connaissiez déjà ?

Une bonne partie des légendes qui traversent ce livre m’étaient déjà connues. La plus populaire demeure celle de l’Eldorado, qui fascine depuis plus de 500 ans. Les conquistadors étaient convaincus qu’ils trouveraient en ses murs faits d’or une fontaine de Jouvence qui redonnerait la santé à qui s’y abreuverait. J’ai donc utilisé cette légende, principalement parce qu’Alexander a besoin de sauver sa mère malade. Par ailleurs, l’Eldorado considère le jaguar noir comme le prince de la nature en Amérique du Sud — particulièrement dans les mythologies aztèque et maya —, et Alexander y est naturellement associé. Quant à l’aigle, il s’est imposé lorsque j’ai moi-même vécu des expériences chamaniques. Bref, il m’a donc été facile, ayant grandi en écoutant ces légendes, de les incorporer à la trame de mon récit. Le reste provient de recherches plus récentes afin de m’imprégner de la culture locale et de mieux comprendre la situation de l’Amazonie.

Est-ce que cette expérience, visiblement très personnelle, a changé votre rapport avec l’écriture pour la jeunesse ?

Ça a certainement changé ma vision. J’adore écrire dans ce registre, et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de poursuivre les aventures d’Alexander. J’ai déjà terminé le second tome, qui se passe cette fois dans les montagnes de l’Himalaya, de ce qui deviendra une trilogie. Le troisième tome se situera en Afrique centrale. Lorsque j’écris ces romans, j’ai une approche complètement différente du reste de mon œuvre. J’y suis entièrement soumise, et lorsque je désire revenir vers mon public habituel, je dois tout bouleverser. Or, je ressens une grande liberté à écrire pour les adolescents ; ils confrontent beaucoup mieux l’impossible que le adultes. Je n’ai pas à tout leur expliquer…

Et qu’en est-il des leçons exprimées dans La Cité des dieux sauvages ? Celle qui concerne l’écologie, par exemple ?

Je crois que les jeunes d’aujourd’hui demeurent beaucoup plus intéressés par les questions environnementales qu’ont pu l’être les gens de ma génération. C’est aussi une question qu’il est impossible de ne pas prendre en compte à propos de l’Amazonie : on saccage actuellement cette ressource et les Indiens en souffrent énormément. C’est un élément clé de mon livre, qui s’interroge en outre sur la vraie nature des hommes. Sommes-nous condamnés à être cupides et violents ? Pouvons-nous améliorer la condition humaine ? Enfin, en grande partie à cause de mes antécédents féministes, j’ai aussi accordé beaucoup d’importance au thème du respect. En définitive, j’ai placé énormément de mes préoccupations au sein d’un même roman !

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La Cité des dieux sauvages, Isabelle Allende, Grasset

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